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Chapitre IX

C’est loin Vladivostok ? Non, première à droite, 120 kilomètres !

La fête est finie !

Accès libre
Mise à jour le 20 septembre 2024
Temps de lecture : 19 minutes

Résumé des chapitres précédents :

La situation internationale est à l’esprit de tous les militants. Dans la population, les questions de salaires et de travail se posent. Après la répression de novembre 1938, Titi Lecerf est enfin libéré de prison. Après une manifestation, il a pu réintégrer l’entreprise qui l’avait licencié.

Patrick Moinot, épris de la jeune Monique se rend à l’église afin de l’apercevoir. C’est une première pour lui. Et cette messe de la résurrection le surprend en tout, surtout le sermon du curé sur la paix… intérieure. Enfin, à la sortie, il rencontre Monique et est invité prochainement à un thé.

Dans la rue des Groseilliers, Titi est remonté, il a été muté à un emploi qui ne correspond pas à sa qualification, et il tempête. Daniel Renoult et Alice sont invités chez les Le Bellec mais Daniel n’est pas à la soirée. Il pense à Mado.


Chapitre IX : C’est loin Vladivostok ? Non, première à droite, 120 kilomètres !

Le 19 avril 1939

Arsène-Henry relut son manuscrit, ajouta une virgule pour donner de la respiration à une phrase, puis, émettant un grand soupir de lassitude, se décida à refermer le dossier qui contenait sa prose. Il prit l’attache, la glissa dans le passant, fit une boucle et posa le tout dans le tiroir central de son bureau. Cela faisait des semaines qu’il ne pouvait plus se concentrer sur la rédaction de son livre sur les soieries japonaises et son humeur s’en ressentait.

Sa charge de représentant de la France au Japon lui pesait, les télégrammes de Paris affluaient sans cesse, passant du coq à l’âne. Un jour, il fallait rassurer le gouvernement japonais qui s’inquiétait de rumeurs insistantes sur la conclusion d’un accord militaire entre l’Angleterre, l’URSS et la France qui pourrait viser l’Extrême-Orient, un autre jour, il fallait, à la demande de Georges Mandel, relancer les ambassades anglaise et américaine au sujet de l’interdiction des exportations vers le Japon de minerais, métaux, pétrole etc…, les dernières demandes françaises n’ayant toujours rien donné. Même les autres missions diplomatiques s’en mêlaient. Corbin, l’homologue d’Arsène-Henry à Londres, l’informait que le Japon aurait refusé une convention militaire avec l’Allemagne tournée contre l’URSS, la France et l’Angleterre et lui demandait de vérifier cela auprès des autres ambassades. Jusqu’à Léon Noël, en poste à Varsovie, qui l’informait que la presse gouvernementale se félicitait des succès nippons en Chine. « Il vaut mieux une Asie jaune qu’une Asie Rouge » ! Et, dans la foulée, cette même presse jugeait piètrement l’armée soviétique, la qualifiant d’impuissante.

Bien sûr, en plus de tout ce tintamarre, les obligations courantes ne manquaient pas et il fallait courir partout. L’été arrivait et, avec lui, la chaleur qu’il n’appréciait que modestement car il transpirait et n’aimait pas cela. Mais ce matin, en plus de toute la presse qu’il fallait analyser, enfin, que ses services analysaient et dont ils lui communiquaient une synthèse qu’il devait parcourir, deux télégrammes l’alarmaient : en plus des deux contre-torpilleurs japonais de type Amagiri qui mouillaient à moins de 6 miles de la côte tonkinoise et à propos desquels Bonnet en personne lui demandait d’émettre une note de protestation auprès des autorités, des avions japonais venaient de survoler l’Indochine.

— Jamais deux sans trois, murmura pour lui-même Arsène-Henry en posant un document de ses services, soulignant d’un trait rouge et gras que l’agence Asahi annonçait que la ligne de défense maritime du Japon était étendue de mille miles nautiques.

Il avait l’art de se débarrasser des problèmes en les transférant sur les autres, comme tous ceux peu intéressés par leur travail. Aussi, il prit une feuille de papier sur laquelle il inscrivit à la plume « Télégramme à Monsieur le ministre Georges Bonnet ». Avec une épingle, il agrafa à ce mot l’information du survol de l’Indochine. Puis, la question maritime fut expédiée aux ministères de la Marine, du Commerce et de la Guerre. Il allait s’occuper de la question des deux contre-torpilleurs en préparant une lettre qu’il ferait la plus courtoise possible à son ami le premier ministre, son excellence Hachirō Arita, lorsqu’après avoir dûment frappé à la porte, sa secrétaire entra sans attendre l’autorisation, car monsieur l’ambassadeur étant seul, la pratique voulait que l’on fasse ainsi.

— Monsieur, j’ai reçu un appel téléphonique de l’aéroport de Tokyo. Nos collègues, le colonel Ferrant et le capitaine Paszkiewicz vont atterrir en fin de matinée. Dois-je envoyer la voiture les chercher ?

— Oui, bien sûr madame… C’est une bonne nouvelle !

Arsène-Henry avait un problème avec le personnel féminin sous ses ordres. Par une mystérieuse pathologie, il ne se souvenait jamais d’aucun nom de femme travaillant à l’ambassade. Alors, il en restait à un léger silence qui faisait sourire toutes celles qui connaissaient ce travers. Mais par une disposition miraculeuse, il avait une mémoire d’éléphant en ce qui concerne les noms et prénoms des épouses d’ambassadeurs, de consuls, de ministres. Un annuaire mondain à lui seul …

Tandis que la jeune femme pivotait pour régler le problème de transport, l’ambassadeur se reprit :

— Attendez, Madame euh…, dites au chauffeur de m’attendre, j’irai également. N’oubliez pas de lui demander de mettre les fanions. Merci Madame…

Sortir lui ferait du bien. Cela faisait déjà trop de temps qu’il se concentrait sur les problèmes que le monde entier semblait vouloir empiler sur son bureau. Il prit son manteau, son haut de forme et descendit au garage où la limousine l’attentait avec le chauffeur en livrée et coiffé d’une casquette. Il s’installa confortablement sur le siège arrière et la voiture, silencieuse, souple, puissante, prit la direction du sud.

L’aéroport d’Haneda était construit en empiétant sur la mer à une trentaine de kilomètres de l’ambassade. Arsène-Henry ne pouvait cacher sa joie de regarder les avenues et parcs encore en fleurs. Les sakura, les cerisiers, étaient superbes, l’hiver avait été tardif et l’éclosion florale n’avait débuté que depuis une semaine. Il admirait la fragilité des pétales et la métamorphose complète du paysage, tout de rose vêtu. La délicatesse et la finesse de ces fleurs faisaient naître quelque chose de nouveau et marquaient donc la fin d’une époque. D’ailleurs, l’année scolaire finissait et recommençait à ce moment, de même que les embauches de jeunes gens à la sortie de leur scolarité ou en apprentissage. « Natsukashii », les Japonais nommaient ainsi cette période de fin et de début, d’achèvement et de naissance, ce qu’Arsène-Henry traduisait par « nostalgie sans regret ». Ah, qu’il aimait le Japon !

La voiture longeait maintenant de grandes étendues et, sur sa gauche, le mont Fuji enneigé, dominait l’espace. Il se dégageait de l’ensemble une grande sérénité seulement perturbée par des pylônes électriques et par le ronronnement du moteur.

Ils arrivèrent à l’aéroport. Au fond, vers la mer, l’ambassadeur aperçut un gigantesque chantier où une multitude d’hommes travaillaient. Pas de grues, pas de gros engins, des brouettes, des palanches avec de gros paniers à chaque bout et toute une armée d’ouvriers qui, ployant sous l’effort, construisaient une nouvelle piste d’atterrissage, très longue.

Immédiatement, des soldats et officiels surgirent ; ils accompagnèrent Son Excellence dans le salon diplomatique qui permettait d’accueillir les personnalités sans passer par les contrôles.

Il fut débarrassé de son manteau et de son chapeau et on le pria avec force courbettes et de gentillesses protocolaires de s’assoir dans un fauteuil de cuir près d’une table ronde sur laquelle une branche fleurie de cerisier émergeait d’un vase dont le chrysanthème impérial doré marquait l’encolure.

On lui amena du thé, du saké, des friandises. Par une vitre donnant sur le tarmac, il pouvait contempler au loin le chantier et, plus près, des techniciens s’afférant autour d’un avion qui devait décoller dans la journée.

Il prit du thé, une friandise. Un civil entra et se dirigea vers lui. En s’excusant de le déranger, il l’informa que le Mitsubishi avec ses compatriotes allait atterrir d’une minute à l’autre. Il remercia et le thé, parfait, le décontracta si bien qu’il fut pris d’une légère somnolence.

Il en fut tiré par l’arrivée soudaine du colonel et du capitaine, l’air fatigués mais souriants. Il avait dû s’assoupir un moment et n’avait pas fait attention à l’heure. Après les congratulations et remerciements, ils partirent sans s’attarder vers la voiture dans laquelle des bagagistes disposaient les effets des deux attachés militaires. Par convenance, durant le trajet, il ne fut abordé que des choses insignifiantes. Une fois à l’ambassade, il leur demanda de le rejoindre à seize heures dans son bureau.

Ils étaient disposés autour de la grande table réservée aux réunions de travail, près d’une fenêtre et aux côtés du bureau de l’ambassadeur. Le capitaine prit la parole. Un drôle de cérémonial y avait présidé. Arsène-Henry avait proposé que le colonel Ferrant commence, mais celui-ci donna la parole au capitaine. C’est donc lui qui débuta par un topo sommaire sur les capacités aériennes de l’armée nipponne du Mandchoukouo. Selon lui, les pilotes étaient extrêmement bien entraînés et maîtrisaient parfaitement leurs appareils. Ils avaient assisté à de faux combats aériens et à de nombreuses voltiges. Les biplans Kawasaki Ki-10 étaient maniables, pouvaient atteindre 400 km/h et grimper à un plafond de 10 000 mètres, ce qui les rendait invisibles en cas de nuages bas du type stratus ou stratocumulus. Ils étaient bien armés mais ils commençaient à dater selon le capitaine.

— Nous avons eu la possibilité, poursuivit Paszkiewicz, de voir évoluer des Nakajima Ki-27. Alors là, ce sont de superbes appareils, des monoplans. Ils ont tous les derniers perfectionnements sauf leur train. Celui-ci est fixe car, d’après les militaires avec lesquels j’ai pu parler, ils n’ont pas confiance dans les trains rétractables, sujet à des pannes et ennuis. Mais du coup, ils perdent en vitesse. Enfin, il atteignait tout de même les 470 km/h. De beaux engins très bien armés qui peuvent faire beaucoup de dégâts. J’aurais aimé en piloter un mais…

— Bien, est-ce tout ? demanda Arsène-Henry qui ne s’intéressait que modérément à ces questions.

— Oui, Votre Excellence, répondit, vexé, Paszkiewicz.

— Alors à vous, colonel.

— Votre excellence, nous avons été fort bien accueillis. Les Japonais savent être généreux, hospitaliers, même sur des terrains de manœuvre. Nous avons eu toutes les possibilités de parler et de demander des renseignements. Leur fierté est innée. La discipline, de fer. Nous avons été particulièrement intéressés par leurs exercices vers le lac Khassan. J’ai apporté une carte.

Il défit une sacoche que l’ambassadeur n’avait pas remarquée, elle était à terre, et sortit une carte sur tissu pliée avec soin. Il la déplia sur la table et la tourna afin qu’elle soit dans le bon sens pour Arsène-Henry.

— Voyez, c’est là, nous étions à une quarantaine de kilomètres. Regardez, là passent les voies ferrées qui se dirigent vers Vladivostok qui n’est qu’à 120 kilomètres. Or, une bataille a eu lieu au lac Khassan l’année dernière. Elle s’est soldée par une victoire soviétique que les Japonais contestent, ils estiment la situation finale équilibrée. Mais les Russes l’ont payé cher et selon les Japonais, leur équipement est mauvais, leurs soldats pas motivés. Bref, une victoire par le nombre. Et les Japonais ne l’ont pas digérée. D’autant que le rêve de la conquête de la Sibérie passe par là. Je soupçonne l’armée du Mandchoukouo de ne penser qu’à la revanche.

Le colonel marqua une pause pour regarder l’effet produit sur Arsène-Henry.

— Ah oui, et là c’est l’île de Sakhaline, et là les Kouriles. D’après ce que l’on m’a dit, les paysages y sont magnifiques.

— Votre excellence, certainement. Je me permets de rappeler que Sakhaline est pour moitié japonaise et le nord russe, enfin soviétique. Voilà mon raisonnement : si les japonais percent la frontière du Mandchoukouo, ils coupent les arrières soviétiques et peuvent s’emparer de Vladivostok. S’ils le font, la marine japonaise n’a plus qu’à liquider le sort de Sakhaline. Depuis les purges, les Russes ne sont pas au mieux de leur forme. Bon, les Japonais ont des efforts à réaliser sur la cavalerie. Leur blindage est dérisoire et les tanks datent des années 20. Mais, avec de l’audace, ils peuvent être terribles. Nous avons d’ailleurs assisté à des manœuvres nocturnes. Je dois dire que le soldat japonais est imbattable la nuit. Des yeux de chat, une patience à toute épreuve, ils m’ont épaté. Demain, Votre Excellence, nous vous remettrons notre rapport officiel.

— Messieurs, je vous remercie pour l’exceptionnel travail que vous avez réalisé. Le ministère sera content… enfin je l’espère.

Joseph Barthélémy, heureux comme tout, quittait la rue de Bellechasse pour se rendre au ministère où le directeur de cabinet de Marchandeau, le ministre de la Justice, l’avait mandé. Il était gai comme un pinson. Sa joie se laissait mesurer aux airs qu’il fredonnait et que lui seul devait connaître.

— Allo, mon cher Monsieur Barthélémy ?

— Oui, à qui ai-je l’honneur ?

— Le directeur de cabinet de Monsieur le Garde des Sceaux, le ministre Paul Marchandeau.

— Ah… Bonjour cher ami, justement, je me demandais ce que vous deveniez. Je vous informe que j’ai beaucoup avancé depuis notre rencontre.

— C’est parfait ! Justement, je vous appelle à ce sujet, le gouvernement souhaite profiter de la promulgation d’une vingtaine de décrets lois pour insérer votre travail. Pouvez-vous m’apporter le résultat de vos investigations, Cher ami ?

— Mais bien sûr ! Quand désirez-vous que je vous le dépose ?

— Écoutez, mon cher, il y a urgence. Pouvez-vous en début d’après-midi ?

— Hum, je consulte mon agenda. Alors, nous sommes le 19, voilà, le 19 en début d’après-midi vous dites ? Hum, c’est que j’ai déjà un rendez-vous, mentit Barthélémy, la page de son calepin n’indiquant rien.

— Ah, c’est très fâcheux, une urgence, comme je vous l’ai dit. Et en fin de matinée, cela vous serait-il possible ?

Barthélémy n’avait pas envie de sauter son déjeuner, mais il voulait absolument se faire valoir, être important.

— Je vais tenter de décaler mon rendez-vous en arguant une nécessité de la plus haute importance. Donc je peux être dans vos murs vers … disons… 14 heures 30.

— Dernière limite, mon cher, dernière limite, on doit faire des vérifications constitutionnelles, et…

— Mais je les ai faites, c’est prêt à être signé ! s’indigna en coupant le directeur de cabinet, le juriste de renom.

— Ah parfait… néanmoins il faut que les ministres signataires l’aient en main le plus vite possible.

— Bien sûr, je fais diligence, je fais diligence, mon ami. Alors à tout à l’heure.

— Oui, à tout à l’heure, sans faute. Mes respects, cher ami.

— Bonne fin de matinée, mon Cher.

Et Barthélémy avait raccroché. Cela faisait une bonne semaine qu’il avait terminé la commande ministérielle, que les vérifications avait été réalisées. Simplement il attendait, comme une diva, que l’on se manifestât. C’était chose faite ! Ah, il aurait pu se rendre immédiatement chez Marchandeau, mais il voulait prendre son temps, et surtout ne pas rater le déjeuner que Françoise, sa bonne, faisait mitonner. Ah, pour fêter cela, il remonterait de la cave de l’immeuble un bon Pomerol.

Maintenant qu’il marchait vers la station de taxi la plus proche, il regrettait d’avoir repris du confit d’oie avec les flageolets, mais le château Haut-Brion 1928 demandait ce deuxième morceau.

Joseph Barthélemy s’installa dans le fauteuil face au directeur de cabinet, il entraperçut son reflet dans le grand miroir derrière son interlocuteur. Ses cheveux blancs rendaient sa couperose plus rouge que de coutume.

— Merci d’avoir décalé vos obligations, Cher ami. Alors ces textes ?

Barthélémy ouvrit la sacoche de cuir de veau couleur tabac qu’il avait sur les genoux et en sortit un dossier contenant plusieurs feuillets. Il donna le tout au chef de service qui défit immédiatement l’attache et lu :

Article 1 [1] : Quiconque reçoit, de provenance étrangère, directement ou indirectement, sous quelque forme et à quelque titre que ce soit, des fonds de propagande et se livre à une propagande politique, est frappé d’une peine d’emprisonnement de six mois à cinq ans et d’une amende de 1 000 francs à 10 000 francs.

Tous moyens ayant servi à commettre l’infraction seront saisis ; le jugement ordonnera, selon le cas, leur confiscation, suppression ou destruction.

Le tribunal pourra prononcer, en outre, pour une durée de cinq ans au moins et de dix ans au plus, l’interdiction de tout ou partie des droits civiques, civils et de famille, énoncés en l’article 42 du Code pénal.

Article 2…

— Heu, c’est la suite logique, mais pour la publicité, rien de plus, fit Barthélémy en coupant la lecture.

— Eh bien cela me paraît parfait.

Le directeur se replongea dans la lecture.

— Merci, je dois souligner que cette formulation vague permet, si les extrêmes vous interpellent, de dire que cela vise l’autre, ainsi, si des députés communistes s’inquiètent, on pourra répondre que c’est pour ligoter la Wilhelmstrasse [2] , et si de la Roque s’en mêle, on pourra dire que cela vise les moscoutaires !

Ce soir-là, dans un réfectoire de l’école de quartier, la cellule communiste se réunissait sous l’autorité de son secrétaire Robert Moinot. Daniel Renoult, en sa qualité d’élu habitant cet endroit, y était. Robert fit une description détaillée de la situation internationale, soulignant les risques de guerre, la position attentiste du gouvernement et de l’Angleterre et la volonté soviétique partagée par le comité central du Parti communiste d’arriver à signer un accord militaire de soutien contre une possible invasion de la Pologne par les nazis. Il proposa que des pétitions et des rencontres aient lieu à ce sujet.

La trentaine d’adhérents présents était tout ouïe. La discussion eut lieu sur la nécessité que les masses mobilisées par les militants interviennent et fassent entendre la raison au gouvernement.

Une décision de rédaction d’un tract fut prise, une autre de le distribuer aux stations de métro et aux portes des entreprises. La séance allait être suspendue lorsque Titi demanda la parole.

Robert la lui donna :

— Camarades, je m’excuse de vous demander pardon d’intervenir, mais j’en peux plus. Cette morue de Pastoureau, le délégué de la fédération de la métallurgie, un ancien jaune, y m’a fait une emmitoufle de première et je demande le soutien de la cellule. Voilà, il a discuté avec le tôlier Giraud, et y se sont mis d’accord pour me bazarder à la ferblanterie, moi, ajusteur soudeur. Tout ça parce que je suis reconnu comme de la CGT par les collègues de mon atelier dans la tôle.

Titi s’énervait, il commença à lever l’index vers le plafond, découvrant son poignet rouge et meurtri par les chaînes de sécurité.

— Alors, si la CGT branle dans le manche, je demande le soutien du Parti pour que j’retrouve ma dignité.

Daniel craignait toujours qu’une telle intervention, même justifiée comme celle-ci, ne décourageât les militants et les écartât de l’essentiel de leur tâche. Aussi il prit la parole.

— Titi, tu as raison, mais je ne sais pas si la responsabilité incombe entièrement à Pastoureau, qui s’est battu pour ta réintégration. S’il avait été un jaune, il n’aurait peut-être rien fait. Là, il a gagné sur le fait que Giraud recule et te reprenne. Alors je pense que le mieux serait que je demande au nom du Parti un rendez-vous à ton patron et que nous y allions ensemble discuter de ta dignité d’ouvrier.

— Moi, j’veux bien, mais qu’est-ce que tu veux discuter avec l’enclume de tôlier ?

— Ah, si c’est ça, c’est que tu penses qu’il n’y a plus rien à faire… coupa Daniel.

— Non, non, c’est pas c’que j’veux dire, mais l’autre il est bouché.

— Eh bien, mon camarade, nous irons le déboucher !

Notes :

[1Décret-loi paru le 21 avril 1939.

[2Siège du ministère des Affaires étrangères de l’Allemagne nazie.

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