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André Taponier - Domaine Public
Il y a 110 ans

Le carnet B contre les antimilitaristes

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Mise à jour le 8 août 2024
Temps de lecture : 5 minutes

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Syndicalisme

Sorte d’ancêtre de l’actuel « fiche S », le carnet B, sous la Troisième république, signalait les étrangers soupçonnés d’antimilitarisme et d’espionnage. Avant la Première Guerre mondiale, il fiche l’ensemble des militants antimilitaristes.

« Il faut demain faire la grève pour faire voir aux gouvernants que, s’ils nous donnent des fusils, ce sera pour tirer sur eux ».

Ce 30 juillet 1914, veille de l’assassinat de Jean Jaurès, les bruits de guerre sont dans toutes les têtes. À Lens, un cortège de 800 personnes parcourt les rues de la ville avant de se rendre à une conférence donnée par les orateurs de la SFIO et des syndicats, sous la direction d’Émile Basly, le député-maire de Lens.

Un outil de surveillance policière

Émile Bacqueville, terrassier à Sallaumines et trésorier du « Jeune syndicat » des mineurs dirigé par Benoît Broutchoux, escalade la tribune par surprise et y prononce un véritable réquisitoire contre la guerre, affirmant qu’il «  préférerait, en cas de guerre, recevoir douze balles dans la peau contre un mur que de se faire tuer pour les capitalistes  ».

Anarchiste, Émile Bacqueville avait déjà été condamné en 1910 par la Cour d’assises du Pas-de-Calais à trois mois de prison et à 300 francs d’amende pour « provocation de militaires à la désobéissance », suite à un article antimilitariste dans L’Action syndicale, le journal du « Jeune syndicat ».

Comme Benoît Broutchoux, Bacqueville était inscrit au Carnet B du Pas-de-Calais. Créé en 1886 par le général Boulanger, géré par les préfectures et les gendarmeries, le Carnet B est l’instrument principal de surveillance des suspects, français ou étrangers, sous la Troisième république en France. Tandis que le Carnet A recense les étrangers en âge de servir sous les drapeaux, le Carnet B fiche les étrangers suspectés d’antimilitarisme et d’espionnage. Il est, en quelque sorte, l’ancêtre de l’actuelle fiche S.

Dans les années 1910, alors que l’Internationale socialiste d’une part, et la CGT d’autre part, envisagent le recours à la grève générale contre la guerre, les autorités s’inquiètent et utilisent le Carnet B pour recenser tous les militants antimilitaristes susceptibles de saboter la mobilisation en cas de guerre. En 1914, 2 400 à 2 500 noms sont inscrits, dont 1 771 pour une raison autre que l’espionnage.

Comme l’ont montré les historiens Jean-Jacques Becker et Annie Kriegel, l’inscription au Carnet B résultait d’un « faisceau de présomptions fondé sur trois données : le rôle syndical, l’engagement politique de l’intéressé, la ou les condamnations qu’il a subies à l’occasion de telle ou telle manifestation ».

Zèle du préfet du Pas-de-Calais

En 1914, on dénombre seize inscrits au Carnet B dans l’arrondissement de Béthune. La plupart sont des « broutchoutistes », qui appartiennent à la frange anarcho-syndicaliste de la CGT, à l’instar d’Émile Bacqueville, de Georges Falempin ou encore d’Émile Beudot, qui sera plus tard conseiller municipal de Harnes et qui est le père d’Émilienne Mopty.

À lire aussi : Un livre-hommage aux résistants à travers Émilienne Mopty ou encore Derrière la résistance des femmes du Bassin Minier

À la suite de son discours, Émile Bacqueville est arrêté par la police, puis placé en détention à Béthune, comme Benoît Broutchoux, incarcéré pour « association de malfaiteurs ». Sept personnes sont arrêtées à Arras, dont Roger Salengro, futur ministre du Front populaire.

Le Préfet du Pas-de-Calais est l’un des seuls à appliquer le Carnet B : au lendemain de l’assassinat de Jaurès, le ministre de l’Intérieur, Louis Malvy, rassuré par l’attitude des syndicats face à l’imminence de la guerre envoie un télégramme à tous les préfets, leur demandant de ne pas inquiéter les syndicalistes portés sur le carnet B afin de ne pas mettre en péril l’union sacrée.

Les inscrits au Carnet B arrêtés par excès de zèle sont relâchés et renvoyés dans leurs régiments.

Accusé de trahison après l’échec de l’offensive du Chemin des Dames, Louis Malvy sera violemment attaqué par Clemenceau qui le rend responsable des mutineries de 1917 en raison de son peu d’empressement à faire appliquer le Carnet B au cours de l’été 1914.

Le 6 août 1918, l’ancien ministre de l’Intérieur est condamné à cinq ans de bannissement par la Haute Cour qui le reconnaît coupable de forfaiture pour « avoir méconnu, violé et trahi les devoirs de sa charge ».

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