Cette place n’est que le prolongement de celle qu’elles prirent dans les luttes du Front Populaire. Elles savent ce qu’est la dureté et l’épuisement du métier de mineur, ce qu’il faut pour nourrir leur famille, ce qu’est l’exploitation capitaliste… Elles sont aguerries aux luttes syndicales et politiques.
Dès septembre 40...
Dans ces premiers mois de guerre, à la dureté de la situation vont s’ajouter les évacuations, les arrestations et les atrocités de l’armée allemande et des SS, qui touchent de nombreuses familles du bassin minier. À Courrières, on brûle les maisons, on massacre 70 personnes dont de nombreuses femmes, on fusille 11 mineurs polonais.
Dès septembre 1940, les premières protestations sur le manque de ravitaillement s’associent aux premières grèves. Elles contraignent, dès octobre 1940, les autorités allemandes à interdire tout arrêt de travail ou manifestation de rue.
Cette répression, la baisse des salaires et des ravitaillements, les pénuries, la hausse des cadences pour alimenter la machine de guerre allemande relancent et renforcent de nouveau les sentiments anti-allemands et patriotiques. Dans les corons, à l’instar de leurs maris ou de leurs compagnons au fond des puits, les femmes de mineurs diffusent leurs colères. Elles soutiennent les premiers débrayages comme à Montigny-en-Gohelle, Harnes, Liévin, Éleu, Sallaumines, Avion, Méricourt, Courrières…
Une grève pensée et organisée
Face à la terrible répression, penser que ce type de mobilisation collective soit spontané serait oublier que ces femmes et ces hommes savent déjà ce qu’ils encourent. Ils savent déjà ce qu’ont fait les nazis dans leur propre pays.
La rapidité de l’étalement des premiers débrayages n’est pas étrangère aux réseaux qu’ont su reconstituer les militants communistes et dans lequel une femme jouera un rôle central : Martha Desrumaux.
Martha qui fut d’ailleurs à l’origine du cahier de revendications proposé et réécrit dans chaque fosse.
Pour la première fois, les mineurs grévistes ne viennent pas aux portes des fosses. Ce sont les femmes qui, par dizaines, vont convaincre les mineurs réticents à ne pas descendre. Elles savent pourtant que depuis le 27 mai, une cinquantaine d’arrestations ont déjà eu lieu, dont celles de cinq femmes.
Malgré cette répression, dès 4 h 30 le 4 juin 1941, elles parcourent les corons pour convaincre les femmes de marcher vers les Grands Bureaux de Billy-Montigny malgré la présence des gendarmes allemands stupéfaits de ne pas les voir déguerpir.
Pas d’carbon pour ché Boches !
Parties de chaque ville, elles se rassemblent à Sallaumines, pilotées par Émilienne Mopty, Yvonne Braeckman, Marie Bigotte, Zoé Devernelle, Marie Defrenne, Justine Delforge, Mireille et Marie Platers, Euphrasie Ziarkowski, Lucienne Tison, Louise Choquet, Louise Delvallée, Théodora Brassart, Esther Brun, Zulma Beuvry, Raymonde Debarge, Micheline Bowenczak, Florence Gueltier, Louise Lelong, Amélie Apourceau et bien d’autres.
À 17 h, elles sont plus de 1.500, regroupées devant le siège de la Compagnie des Mines, pour exiger l’ouverture de négociations sur les 10 points de revendication des 100.000 mineurs en grève.
C’est par la répression que répond la préfecture sur ordre et avec l’appui des forces d’occupation du Général Niehoff, schlagues et mitraillettes en main. Il faut plusieurs heures pour que la manifestation se disperse. Elles le font avant qu’explose le cri qui marquera la suite de ce mouvement : « Pas d’carbon pour ché Boches ! ».
Le lendemain, la machine de répression s’accélère alors que la grève atteint son apogée. Près d’un millier d’arrestations dont de nombreuses femmes considérées comme les meneuses. La plupart seront libérées rapidement. Quelques-unes seront internées et d’autres s’impliqueront au côté de Charles Debarge et d’autres groupes de résistants. Traquées de nouveau et arrêtées, elles seront déportées, mais d’autres femmes se lèveront pour continuer ce combat. Quelques-unes en reviendront, mais pour Émilienne Mopty, ce sera la décapitation pour l’exemple à Cologne.
L’égalité dans les luttes…
Pour moi qui n’ai pas connu cette période de l’occupation nazie, je vois d’abord des femmes refusant qu’on les fasse taire, alors que leurs familles ont faim. Je vois des femmes qui ne sont pas derrière les hommes, mais à côté d’eux, à égalité, dans un combat pour la dignité et pour résister à l’occupation de leur pays.
Cette mobilisation a un caractère qui dépasse l’exigence revendicative et démontre sa dimension patriotique.
Je vois des femmes aux côtés de leurs maris, leurs fiancés, leurs frères et leurs pères pour que ne dorment jamais tranquilles ceux qui ont choisi la collaboration avec les industriels fascistes et nazis, en donnant les noms de ceux qui résistent.
Je vois des femmes qui ont gagné les consciences, de celles qui feront vivre des solidarités dans les corons pendant que beaucoup d’hommes seront prisonniers, internés et déportés et que d’autres ne reviendront pas.
… et des droits conquis et à conquérir
Ces femmes que l’on reverra à la Libération porteront l’exigence des droits des femmes et des familles inscrits dans le programme du Conseil National de la Résistance et dans la Déclaration universelle des droits de l’homme.
À la Libération, dans ce bassin minier s’est ouvert, par leur engagement dans la Résistance, une nouvelle page de progrès de la condition humaine. Il s’en ouvrira d’autres par la suite pour contraindre au respect des différences et à l’égalité universelle entre les hommes et les femmes.
Des progrès sont encore à réaliser d’autant qu’à l’opposé, au niveau européen comme en France, l’extrême droite qui gangrène de nouveau nos pays n’hésite pas à voter contre plusieurs mesures visant à faire reculer les inégalités femmes-hommes ou améliorant leurs conditions de travail et leurs protections sociales.
À nous de faire en sorte que leurs voix ne s’éteignent pas et d’être toujours fidèles à leurs combats en faisant vivre cette phrase de Lucie Aubrac : « Le verbe résister doit toujours se conjuguer au présent ».