« Un certain nombre d’attentats ont eu lieu cette nuit en plusieurs points d’Algérie. Ils sont le fait d’individus ou de petits groupes isolés. Des mesures immédiates ont été prises par le gouverneur de l’Algérie et le ministre de l’Intérieur a mis à sa disposition des forces de police supplémentaires. Le calme le plus complet règne dans l’ensemble des populations. »
Ce communiqué, daté du 1ᵉʳ novembre 1954, a été transmis à l’Agence France Presse par le ministre de l’Intérieur de l’époque : François Mitterrand. Le texte n’est pas sans rappeler la question posée 165 ans plus tôt par le roi Louis XVI, tout juste informé de la prise de la Bastille et de la mort de son gouverneur : « Mais c’est une révolte ? » Et le duc de La Rochefoucauld-Liancourt de lui répondre : « Non, Sire, c’est une révolution ». Faut-il croire que, comme le monarque, Mitterrand n’avait rien vu venir ? Son communiqué voulait certainement faire la démonstration du sang-froid du gouvernement. De là à parler d’un « calme le plus complet », voilà qui tient à la fois du déni et du cynisme.
La nuit de la Toussaint avait été marquée par les attentats dans la région des Aurès mais aussi en Kabylie, dans le Nord constantinois, l’Algérois, l’Oranie. Ces actions ont été menées par l’Armée de libération algérienne (ALN) à l’appel du Front de libération nationale (FLN), que la puissance colonisatrice voit apparaître au grand jour pour la première fois. Quoi qu’il en soit, la Toussaint 54 s’ouvre sur le début d’une guerre qui durera huit longues années et sera particulièrement sanglante (600 000 morts).
Nouvelle génération et techniques révolutionnaires marxistes
Les « révoltes », si l’on veut en parler, s’étaient produites le 8 mai 1945, avec les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata. La France fêtait la victoire contre l’occupation nazie. Mais les autorités françaises ne voulaient voir que le drapeau français. La vue du drapeau vert et blanc, orné de son croissant et de l’étoile rouge à cinq branches a entraîné une répression atroce durant plusieurs jours. Le combat contre le colonialisme et pour une Algérie algérienne venait de commencer.
La France pouvait croire qu’il avait fait long feu avec l’arrestation des leaders, Messali Hadj et Ferhat Abbas. Le premier avait été déporté au Congo, le second était assigné à résidence. Le mouvement de Messali Hadj, le MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques) avait été démantelé et le courant nationaliste était divisé. Dès mars 1946, après sa libération, Ferhat Abbas crée l’Union démocratique pour le manifeste algérien (UDMA). Son attitude modérée lui est reprochée et il lui faudra évoluer.
Pour l’historien anglais Alistair Horne [1], « une nouvelle génération d’après-guerre montait à la surface, elle avait acquis une certaine connaissance des techniques révolutionnaires marxistes, et elle s’impatientait des interminables dialogues politiques, des manifestes vides et des promesses non remplies, elle respectait la force de l’énergie et, en mot, ne reculerait pas devant la violence. »
Huit ans plus tard, après un nouveau schisme au sein du MTLD, les chefs de l’Organisation spéciale (O.S), créée après les massacres de 1945, refusent que ces désaccords retardent la lutte armée contre le colonialisme. En mars 1954, Ali Mahsas (qui avait été emprisonné avec l’un des membres de l’O.S, Ahmed Ben Bella, et s’était évadé avec lui) rencontre Mohamed Boudiaf (chef du MTLD en France) et son adjoint Didouche Mourad. Ils s’accordent pour créer une « troisième force » qui, fin avril, deviendra le Comité révolutionnaire d’unité et d’action, le CRUA qui est à l’origine du FLN.
Toujours fin avril, le CRUA désigne neuf jeunes chefs : Hocine Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella, Mostefa Ben Boulaïd, Larbi Ben M’Hidi, Rabah Bitat, Mohamed Boudiaf, Didouche Mourad, Mohamed Khider, Krim Belkacem. Pour garder un souvenir de ce moment historique, six d’entre eux se font photographier dans une échoppe d’Alger. La photo est passée à la postérité, mais ils ne se verront plus durant les années de cette guerre qu’ils voulaient révolutionnaire. Le groupe est connu sous le nom des « neuf historiques » ou des « Fils de la Toussaint ».
Vers le FLN de guerre
Dans le livre La guerre d’Algérie dirigé par Henri Alleg [2], ce dernier souligne que « Du 1ᵉʳ novembre 1954 à la mi-1956, le FLN est devenu un véritable front national. La forme de l’expression de sa propre politique algérienne par le PCF s’affine et se précise en même temps que se constitue le FLN de guerre. » Dès le mois de décembre 1954, l’Humanité évoque les « actions armées des patriotes algériens » et dénonce, raconte Henri Alleg, « la police [qui] continue d’employer contre les patriotes les méthodes de la Gestapo. »
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L’Humanité et le Parti communiste français se démarquent complètement du climat ambiant de l’époque qui dénigre les combattants algériens en les ramenant à des « indigènes » sans civilisation (comme l’affirme alors le député radical et ancien gouverneur d’Algérie Maurice Viollette). Mitterrand, encore lui, dénonce de faux héros, « hors-la-loi, criminels de droit commun ». Dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, tous les représentants de groupe (sauf le PCF) parlent de « fanatisme religieux » et, comme le socialiste Guy Mollet (SFIO), les députés défendent la population pied-noir installée en Algérie « depuis des générations. » Même les cheminots FO se positionnent pour l’Algérie française.
« C’est dans ce climat, écrit René Andrieu [3], que le Parti communiste a su se battre contre la guerre, longtemps à contre-courant. S’il est un domaine où l’idéologie dominante a provoqué des ravages, c’est bien celui de la colonisation. »
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Des journalistes et des militants sont poursuivis, comme c’était le cas lors de la guerre du Viêt-Nam, inculpés et emprisonnés pour (article 76 du Code pénal) « participation à une entreprise de démoralisation de l’armée ayant pour objet de nuire à la défense nationale ».