Liberté Actus
qrcode:https://liberte-actus.fr/512

Cet article est lisible à cette adresse sur le site Liberté Actus :

https://https://liberte-actus.fr/512

Flachez le qrcode suivant pour retrouver l'article en ligne

Chapitre VI

Tractations

La fête est finie !

Accès libre
Mise à jour le 24 août 2024
Temps de lecture : 20 minutes

Résumé des chapitres précédents : Si la solidarité ouvrière battait son plein dans la rue des Groseilliers, d’autres fomentaient des mauvais coups. Alors que Titi Lecerf serait peut-être bientôt libéré, que la collecte organisée pour soutenir sa famille est donnée à Claudine, sa femme, chez les Lagarde, des tractations louches ont lieu entre Jules Lagarde et un mystérieux représentant de la Cagoule. De l’argent circule sous la table. Au ministère de la Justice, le professeur émérite, Joseph Barthélémy, est chargé de préparer des décrets-lois visant directement les communistes. À Montreuil, alors que Daniel Renoult préparait l’inauguration du musée d’histoire, le maire, Fernand Soupé, l’interrompit pour lui annoncer l’invasion de la Tchécoslovaquie.


Chapitre VI : Tractations

Mars 1939

La libération de Titi Lecerf avait été fêtée joyeusement. La municipalité avait prêté le préau de l’école primaire toute proche, dans la rue Parmentier et les amis, les camarades de Titi étaient venus nombreux.

Titi n’était pas grand, un peu maigriot, les dents de traviole, la figure en lame de serpe. Il avait de la gouaille et lorsqu’il parlait, ses cheveux bien coiffés, séparés d’une raie sur le côté, se mettaient subitement en bataille. Sa femme l’avait accompagnée, un peu en recul avec les autres épouses, tandis que les gosses se blottissaient dans leurs jupes, attendant la fin des prises de paroles après lesquelles ils envisageaient d’envahir en hurlant la cour de récréation livrée à leurs espiègleries.

Comme il se doit, le représentant de la CGT prononça quelques mots d’accueil et de réconfort, puis Daniel Renoult exprima toute sa conviction que la classe ouvrière sortirait renforcée des épreuves qui l’assaillaient et que la dimension internationale des coups portés au monde du travail n’était plus à prouver, enfin, il démontra les manœuvres du grand capital qui ne devaient plus leurrer personne. Il mit toute sa ferveur à souligner que l’URSS venait, par le biais de son ministre des Affaires étrangères, Molotov, de proposer qu’une réunion se tienne afin d’examiner la situation créée par l’annexion de la Bohème et celle de Memel, en Lituanie, par les nazis. Puis, après qu’il eût imaginé tous les espoirs que cela pouvait faire naître, la France, l’Angleterre, et l’Union soviétique réunies pour arrêter le fanatisme belliqueux d’Hitler, le tout entrecoupé d’applaudissements, l’on donna la parole à Titi.

— Camarades, mes amis, j’ n’ sais pas comment vous remercier de la fraternité et de la solidarité dont vous avez, heu…, fait preuve avec ma femme, et mes gosses. J’remercie le Conseiller général, Daniel Renoult, qui vient de causer, pour avoir récolté de l’argent pour faire bouillir la marmite.

De nouveaux applaudissements l’interrompirent. D’un geste des mains, il demanda aux présents de le laisser parler. Le héros du jour poursuivit alors :

— Je dois vous dire que les ministres, les juges, sont des…, des…, des crasses de meule, des spolisateurs, et que ces salopards ont jamais écouté les avocats, ni les témoins et que j’avais rien fait de mal en organisant la grève chez GEF en novembre. Ils ont décidé que nous irions au gnouf avec les potes pour faire plaisir aux tôliers, dont c’tte crapule de Giraud, et aux copains de Daladier. Avec les camarades, nous avons réussi à garder nos idées, nos élans révolutionnaires. Ah, vous z’auriez vu la gueule des matons quand on est rentrés en chantant l’Internationale… C’était à se gondoler. Pour nous punir, ces vaches nous ont casés avec les droits communs comme ils disent, c’est-à-dire avec des assassins et des voleurs. J’peux vous dire qu’ils nous ont pas emmerdés, on s’est pas laissé faire. Alors, j’vais vous dire un truc : c’est pas le moment de faiblir, ils sont prêts à tout pour défendre les capitalisses, il faut que nous restions unis comme les doigts de la main. Et on gagnera comme en 36. On a prévu un coup à boire, alors merci encore et en avant pour la lutte finale !

Aussitôt l’Internationale fut entonnée.

Patrick, comme tous les enfants des Moineaux, était présent. Le matin même, il avait demandé à Monique si elle viendrait à cette petite fête. Pourquoi donc avait-il demandé cela ? La réponse était connue d’avance. Mais il s’était pris à rêver.

— Non. C’est quoi votre petite fête ? avait-elle demandé. Il y aura des manèges, des stands ? Je n’en ai pas entendu parler.

Patrick avait ri et elle s’était un peu renfrognée.

— Non, c’est un ami de mon père qui a été licencié de chez GEF et mis en prison. On l’accueille pour sa libération.

— Licencié de chez GEF ? Il a dû faire de grosses bêtises pour être remercié par Monsieur Giraud, le patron, c’est un ami de mon père. Et vous lui organisez une réception ? C’est un peu le monde à l’envers !

— Oh, non ! Il avait préparé la grève…

— Ah ! Mon père et ma mère n’aiment pas les grévistes et encore moins les syndicats. Vous comprenez, ils donnent du travail aux ouvriers et ceux-ci n’en sont même pas reconnaissants.

Patrick réalisa le gouffre qui les séparait. Mais cela ne lui retirait pas le désir qu’il éprouvait de la serrer dans ses bras, de lui donner des baisers, peut-être même l’embrasser sur la bouche. Par une espèce de ténacité têtue, il s’arc-bouta.

— Je vous demandais cela, c’était surtout pour que nous passions un moment ensemble, parce que j’aime bien être à vos côtés.

Monique rosit. Mais elle était surprise qu’il ait pensé l’emmener dans une telle réunion.

— Si vous voulez m’inviter quelque part, évitez, Patrick, de me proposer des rencontres avec des ennemis de mon père, ce n’est pas convenable. Quant à vous, changez vos fréquentations  !

— Mais enfin ce ne sont pas… Bon, vous avez raison, je ne sais pas à quoi je pensais quand je vous ai dit cela. Mais tenez, dans quelques jours, il y a l’inauguration du musée d’Histoire au parc Montreau… Qu’en dites-vous ?

— Je ne savais pas qu’un musée serait inauguré. Vous dites un musée d’Histoire ? C’est un peu la fonction de tous les musées d’être un lieu où l’on présente des preuves historiques, des objets, des sculptures… Je ne sais pas encore. Je vais demander à ma mère. Mais le parc Montreau, je n’y suis jamais allée.

— Pas de soucis, je vous emmènerai, c’est après le fort de Rosny.

— Je vous répondrai la semaine prochaine.

— Dites Monique, c’est long une semaine. Il peut s’en passer des choses. On ne peut pas se voir avant ?

— Je n’ai pas le droit de sortir en dehors du jeudi et de la messe de dimanche. Vous allez à la messe ?

— Oui, pas tous les dimanches, mentit Patrick, prêt à tout.

— Eh bien, on peut s’apercevoir à Saint-Pierre-Saint-Paul, dimanche. Monique tourna les talons et s’enfuit à son cours. Patrick avait encore progressé, mais aller à la messe ! Il s’était aventuré, il n’y connaissait rien.

Alexis Leger, dans son bureau du quai d’Orsay, réfléchissait à la situation. Les Soviétiques demandaient une conférence internationale avec l’Angleterre et la France avec, à l’ordre du jour, la rédaction d’un traité tripartite offrant des garanties en cas d’agression hitlérienne. Ils se montraient pressants. Leger examinait toutes les données du problème. Si des négociations intervenaient, cela freinerait les ardeurs de l’Allemagne. Mais de là à se diriger vers un accord, il y avait un pas qu’il ne se sentait pas de franchir. Le ministre, Georges Bonnet, n’aimait pas les Soviétiques et n’était pas prêt à leur concéder quoi que ce soit. Alors comment faire  ? L’opinion publique ferait tout pour que les discussions aient lieu. Du côté de l’Angleterre, la situation était similaire. Il avait eu une conversation avec Lord Halifax, le secrétaire d’État aux Affaires étrangères, le Foreign Office. Celui-ci avait fait part de réticence à discuter avec Joseph Staline, surtout d’un accord militaire, car, estimait-il, depuis les purges dans l’armée soviétique, celui-ci ne valait plus grand-chose. Signer un accord avec eux revenait à soutenir une armée moribonde.

— Cher Alexis Leger, avait conclu Halifax, si nous sommes contraints par la Chambre à envoyer une délégation, elle demandera des engagements difficilement acceptables pour les Soviétiques, et il coulera de l’eau sous les ponts.

— Oui, Monsieur le Ministre, vous avez certainement raison, mais vous n’avez pas de frontière avec l’Allemagne.

— Mon cher, le risque aujourd’hui, ce sont les Polonais qui le prennent !

— Monsieur le Ministre, puis-je faire part de notre conversation à mon ministre, Monsieur Bonnet ?

— Of course, mon cher.

Leger raccrocha. Ce n’était même pas la peine qu’il en parlât avec Bonnet, celui-ci considérait toujours qu’il fallait discuter avec Hitler, le faire réintégrer la communauté internationale. Leger savait que son patron était dans les pas de Chamberlain. Mais pour l’instant, il ne voyait pas pourquoi refuser une discussion avec l’URSS, la seule à pouvoir tenir tête à l’Allemagne.

Un autre téléphone, il en avait trois sur son bureau, sonna. Il décrocha et une secrétaire lui annonça que Paul Baudoin, de la Banque d’Indochine, familier des ministres, toujours disponible pour donner des conseils, désirait lui parler. Leger soupira. S’il ne le prenait pas, celui-ci rappellerait cent fois. Pire, il avait été envoyé par Daladier et Bonnet rencontrer dans le plus grand secret le gendre de Mussolini, le conte Ciano, ministre des Affaires étrangères. Leger avait appris de Bonnet, sous le sceau de la plus grande discrétion, que ce dernier envisageait de faire des concessions aux Italiens en même temps que Daladier ferait sa tournée méditerranéenne. Leger avait demandé des précisions, avait interrogé le ministre : pourquoi le quai n’avait-il pas été associé ? Le mutisme de Bonnet fut total et, porta au comble de l’exaspération Alexis Leger. Il valait donc mieux prendre au fil ce Baudouin. « Passez-le-moi mademoiselle ».

— Bonjour Monsieur Baudoin, quel bon vent vous amène ?

Dans le combiné, Baudouin lui donna ses salutations, puis, il embraya directement sur le sujet qui l’occupait :
— Monsieur le Secrétaire général, je viens vers vous pour me mettre à votre disposition. Mes fonctions à la Banque d’Indochine mais aussi à l’Union financière d’Extrême-Orient, me font rencontrer beaucoup de monde. Je rentre à l’instant d’Italie où j’ai négocié avec le conte Ciano sur mandat de votre ministre, Monsieur Bonnet. Je dois vous dire que le conte Ciano est très intéressé par Djibouti et la ligne ferroviaire abyssinienne Djibouti-Addis-Abeba. Je lui ai fait comprendre que nous ne pouvions céder sur des exigences formulées par le gouvernement italien concernant la Corse et la Tunisie. Les choses étant publiques, tout le monde en conclurait que nous céderions à un chantage, ce qui n’est pas envisageable.

Leger, soupira au téléphone et émit un petit « c’est heureux ». Baudouin poursuivit, inexorablement.

— Par contre, leur donner des facilités à Djibouti, n’est-ce pas, en quoi cela nous contrarierait-il ? Ciano a fait patte de velours, Cher Monsieur Leger, il m’a assuré de ses bonnes intentions. Il m’a parlé de déclarations mal traduites déformées. Il se veut conciliant. Et il était pleinement satisfait lorsque je lui ai annoncé que nous envisagions de sécuriser totalement la présence des ressortissants italiens à Tunis, ce qui est bien la moindre des choses.

— Effectivement, soupira Leger.

— Mais il ne m’a pas parlé de l’affaire de Prague. Le Pacte d’acier est solide, ne nous y trompons pas. Je voulais vous informer de ces avancées. Monsieur le secrétaire général, je dois également vous dire que nombre de mes amis ne pensent pas utile de recourir encore à un nouveau traité pour mettre fin aux appétits de l’Allemagne. Hitler le prendrait très mal, et vous connaissez mieux que moi ses colères soudaines. Il ne faut pas l’énerver, au risque de lui faire faire une nouvelle erreur. Avec mes relations, nous pensons urgent de rétablir l’Empire dans toute sa puissance. C’est d’ailleurs l’opinion du président Daladier. Les 100 millions de sujets français sont un argument de poids pour dire à l’Allemagne, comme en quatorze, ne venez pas chez nous, nous serons encore plus forts que la dernière fois. Aussi, l’Empire compte davantage, n’est-ce pas, que nos engagements à l’Est. Qu’avons-nous besoin de soutenir une Pologne qui ne veut pas être soutenue ? Si les Allemands veulent l’envahir, après tout, c’est leur problème. En nous tournant vers l’Empire, nous rassurons Hitler. L’URSS ? Qu’irions-nous faire dans cette galère, je vous le demande. En contrepartie d’un recentrage de notre politique, nous pourrions être plus fermes avec le Japon, car je dois vous dire que le commerce là-bas n’est pas aisé, avec une espèce de menace permanente du Japon sur les affaires. Je le vois bien à la banque. Nous leur vendons du minerai, du bois, que sais-je, et ils lorgnent sur les côtes du Tonkin, ils vitupèrent pour accaparer des îlots qui n’auraient comme seul avantage de nous encercler par voie maritime. Voilà, cher Monsieur Leger, le but de mon appel, un appel à l’intelligence française. Et au bon sens.

— J’ai pris bonne note Monsieur Baudouin, j’en parlerai à Monsieur le Ministre dès que possible. Bien le bonsoir, mon cher.

Leger raccrocha.

Dès l’aube, ce fut le branlebas de combat. La CGT avait rameuté tout Montreuil. La colère et l’indignation étaient vives. Le Parti en était, Daniel Renoult, ceint de son écharpe, allait et venait au milieu de la foule en casquette et béret. Par chance il ne pleuvait pas et une grosse bassine, où un café fumait, posée sur une espèce de roulotte, constituée d’un brasero monté sur un chariot, était là pour réchauffer les gosiers. Des gobelets en métal gris circulaient. Il ne fallait pas chercher la qualité, le breuvage était un jus de chaussette, celle-ci accrochée à un couvercle, remplie de café moulu et de chicorée, trempait dans l’eau frissonnante.

Des militants fourbissaient des pancartes. Leurs montants semblaient bien gros. En fait, des manches de pioches permettaient de brandir de petits écriteaux, car l’outil se métamorphoserait en trique bien utile en cas de charge policière. Beaucoup parlaient entre eux par petits groupes. De nombreuses usines étaient représentées par des délégations. Il y avait peu de femmes. Il valait mieux au cas où l’affaire tournerait au vinaigre.

Titi Lecerf était ému mais n’en laissait rien paraître. Car c’était pour lui que le syndicat avait organisé le débrayage et la manifestation qui allait emprunter la rue de Paris, cette longue artère bordée de manufactures, d’entrepôts, de bougnats adossés à de petits bistrots où chacun avait ses habitudes. Tout au long de la rue, des cheminées de briques surgissaient de hangars et de fabriques, comme autant de haut-fourneaux miniatures. L’air se chargeait de suie lorsque le vent rabattait les fumées. La circulation fut interrompue, la police surgit d’abord avec des agents en pèlerine grimpés sur leur vélo, puis avec deux fourgons qui déboulèrent en cornant. Des policiers en sortirent équipés de leur fusil en bandoulière et de leur matraque blanche.

Daniel alla voir le gradé et s’entretint avec lui.

— Tout se passera bien, Monsieur le commissaire, c’est une manifestation pacifique pour demander au patron de GEF de réintégrer un des ouvriers licencié pour faits de grève.

— Monsieur Renoult, je veux bien vous croire, mais je suis aux ordres du Préfet. Si celui-ci me demande de disperser la foule, je serai contraint de le faire.

Les choses étaient dites, les deux hommes retournèrent à leur troupe. Une banderole fut déployée en travers de la chaussée et aux cris de « Réintégration », le cortège se mit en marche. Bientôt une Internationale retentit. Les grévistes avançaient résolus, le regard noir. Certains avaient rembourré leur galurin avec de vieux chiffons pour protéger leur crâne. Titi, avec sa gouaille, remerciait les présents, ceux qu’il n’avait pas encore vus avant que le cortège ne s’ébranlât. Au fur et à mesure de la progression, des passants, des retardataires se glissaient dans la manifestation.

Des drapeaux rouges flottaient, des tracts circulaient. La carriole du café chaussette était remisée, on ne pouvait pas s’embarrasser de cela. Dans la masse, on retrouvait des habitants de la rue des Groseilliers, même la Saute-aux-prunes en était. La solidarité, c’est une affaire de tripes. Robert Moinot, le père de Patrick, était venu avec des camarades de la carrière, fallait les voir. Des épaules larges comme des armoires à glace, des bras musclés comme des cuisses, des cous que l’on ne distinguait pas tant ils étaient massifs. La cagnotte que Robert avait remise solennellement à Claudine Lecerf avait dépassé le montant d’un mois de salaire, mais cela ne suffisait pas, avec les trois mois de taule. Tout le monde avait été gauche lors de cette remise. L’argent avait été déposé dans une boîte de conserve entourée d’un papier rouge avec un bolduc pour le maintenir. Robert était venu avec une bande de camarades de la rue des Groseilliers pour donner le résultat de la collecte aux Lecerf. Il avait, au nom de tous, remis cette sorte de tronc, il avait bafouillé, Claudine avait pleuré, la boîte avait failli verser tant elle était lourde de toutes ces pièces. D’ailleurs, elle n’avait pas osé compter, et après leur départ, elle avait déposé la boîte qui trônait sur l’étagère, entre la pile d’assiette et les quelques verres empilés. Depuis, lorsqu’elle avait besoin, elle plongeait la main dedans, en tirait une poignée de picaillons et allait faire des courses.

Titi avait été très reconnaissant de tout cela et les liens de camaraderie entre lui et Robert s’étaient renforcés. Ils devenaient inséparables.

Dans la manifestation, naturellement, ils s’étaient retrouvés côte à côte, criant leur indignation et leur revendication. Lorsqu’un des deux sortait son paquet de clopes de sa veste, il le tendait naturellement vers l’autre afin qu’il puise une cigarette au tabac brun très fort.

L’entreprise GEF était à mi-chemin de la rue en allant vers Paris. Le cinéma le Kursaal fut dépassé et machinalement de nombreuses têtes pivotèrent pour regarder ce qu’il y aurait à l’affiche dimanche. Une centaine de mètres plus loin, l’entreprise GEF était reconnaissable à sa façade où des dessins de jouets annonçaient l’objet de la fabrique. Lorsque les manifestants arrivèrent, ils remarquèrent un peu en amont de la rue des gardes à cheval se positionner. Plus d’une gorge fut nouée à leur vue. La banderole fut positionnée face aux fenêtres qui restaient closes. Un responsable de la CGT prit alors la parole en étant juché sur une caisse de vin qui grinça sous son poids. Il harangua la foule, et informa qu’il allait de ce pas demander une audience à la direction.

Tout le monde hurlait « Réintégration, réintégration ». L’orateur alla devant la porte à double vantaux et sonna à un bouton électrique. Quelques secondes plus tard, elle s’ouvrit et un palabre débuta. Il fut de courte durée, une délégation fut autorisée à entrer. La foule fut surprise. Au loin, les cavaliers avaient avancé de quelques dizaines de mètres. La tension montait d’un cran. Un épicier, inquiet, rentra sa camelote puis posa les lourds volets de bois sur la devanture de sa boutique et ferma à double tour l’entrée après que le grelot suspendu à la porte eut tinté une ultime fois. D’autres, un peu plus loin, firent de même.

Sortant de la station de métro Robespierre, une femme pressa le pas en direction des manifestants. Elle se faufila dans la masse, comme une habituée des attroupements. La foule avait repris son slogan, Une internationale avait été entonnée, les poings s’étaient baissés. Soudain, une fenêtre au milieu de la façade, celle du premier, s’ouvrit.

— Ahhh, fit la foule en voyant apparaître le responsable syndical qui tendait les bras et les mains en faisant un signe d’apaisement. Tous les regards étaient portés sur lui.

— Camarades !

L’assemblée fit silence, on entendit un peu plus loin un cheval hennir. Il tournait casaque.

— Camarades ! Nous venons de rencontrer la direction de GEF. Nous lui avons fait part de notre volonté de voir réintégrer notre camarade Titi. Elle ne voulait rien entendre. Nous l’avons menacée d’une nouvelle grève. Elle a demandé réflexion et elle vient de nous annoncer qu’elle était d’accord ! C’est une immense victoire ! Camarades, nous pouvons rentrer dans nos entreprises et répandre la bonne nouvelle, comme quoi la lutte paie toujours. La direction demande à ce qu’il n’y ait plus de trouble à l’ordre public, de notre côté nous, avons exigé le retrait des forces de police. La direction a promis d’appeler le préfet, dès lors que tout semblait arrangé. Camarades, je vous remercie de votre soutien sans lequel rien n’aurait été possible, je remercie également Daniel Renoult de la municipalité dont le soutien à notre lutte a été sans faille ! Camarade, nous avons gagné !

L’internationale fut immédiatement entonnée au milieu d’une forêt de poings levés.

— Bravo Daniel, je savais que vous gagneriez ! Renoult se tourna pour voir qui venait de lui prendre le bras en prononçant ces mots. Mado était là, son visage éclairé d’un joli sourire.

La porte de l’entreprise s’ouvrit et la délégation sortit. Titi alla discuter avec le responsable. Il blêmit et tira une bobine, mais une bobine !

Message d'abonnement

Ces articles peuvent vous intéresser :

Chapitre VIII Et maintenant l’Albanie !

Dans la rue des Groseilliers, chez les Lecerf, l’ambiance n’était pas à la joie. Depuis sa réintégration, Titi gueulait sur tout, déversait sa mauvaise humeur sur sa famille, sur le voisinage et, bien sûr, vilipendait Giraud, le tôlier.

Chapitre VII En route pour le lac Khassan

Au début du mois de février 1939, la Marine japonaise avait dépêché un nouveau corps expéditionnaire, ce que le quai d’Orsay ne pouvait voir d’un bon œil. Son équivalent à Tokyo, le Gaimushô, avait reçu l’ordre des militaires d’agacer Paris en représailles de l’affaire Tani.