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Chapitre V

L’or de Moscou, de Prague et de Madrid

La fête est finie !

Accès libre
Mise à jour le 17 août 2024
Temps de lecture : 19 minutes

Résumé chapitre IV : L’Espagne est à l’agonie. Après le meeting du Vel’ d’Hiv Daniel Renoult et Mado se sont retrouvés. Ils ont parlé d’eux. L’un faible, l’autre déterminée.

L’on a fait connaissance de l’ambassadeur de France à Tokyo, Arsène-Henry, qui a beaucoup de soucis entre des problèmes politiques, une éventuelle visite au Mandchoukouo et la rédaction de son livre sur les soieries japonaises.

Rue des Groseilliers à Montreuil, Patrick Moinot s’est enhardi. Il a attendu Monique, la jeune fille qui était tombée devant lui, et il obtient un rendez-vous hebdomadaire. La solidarité s’organise pour aider Titi Lecerf, emprisonné, et sa famille. Une collecte fait le tour du quartier.


Chapitre V : L’or de Moscou, de Prague et de Madrid

Mars 1939

Dans l’immeuble cossu du 11 de la rue de Bellechasse à Paris, juste à l’angle de la rue de l’Université, au premier étage, dans un vaste appartement, à côté d’une fenêtre haute, enveloppée de lourdes tentures qui ne laissaient filtrer qu’une lumière chiche, Joseph Barthélémy travaillait dans son bureau, cette petite pièce aux murs couverts de boiseries et de rayonnages. Il compulsait des ouvrages de droits tirés de ses bibliothèques. Une pile bien alignée posée sur le bord du plateau, une autre par terre sur le tapis persan à l’épaisseur confortable. Une tasse de thé, vide, avec des traces de tanins qui marquaient l’intérieur de la porcelaine, jouxtait une lampe Empire allumée. Il noircissait des pages et des pages, en biffait des lignes, parfois l’entièreté et la feuille glissait froissée dans la corbeille qui était proche de déborder. Ce professeur émérite de droit, dont on recherchait en haut lieu les avis toujours pertinents, avait, voici peu, jeté un pavé dans la mare. Il avait établi que juridiquement, le Reich avait été fondé d’annexer les Sudètes ! Radical de gauche, il n’aimait pas le Front populaire, en particulier les mesures comme celle de la création de l’Office national interprofessionnel du blé, les congés payés ou encore la semaine de quarante heures qu’il trouvait empreintes de socialisme soviétique.

Oh, pour ce qui l’accaparait ce jour-là, il aurait pu faire appel à des étudiants, mais la question était délicate et hormis un ou deux d’entre eux, il n’avait guère confiance en ces jeunes gens toujours prêts à s’enflammer pour des causes improbables. C’est pourquoi, il s’acharnait, seul, à découvrir des textes, à trouver des idées susceptibles de nourrir le travail qu’on lui avait commandé. C’est aussi pourquoi, il fourbissait ses arguments et textes, chez lui, à l’abri des indiscrétions, dans le confort de son logement.

Voici plusieurs semaines, le chef de cabinet de Paul Marchandeau, le garde des Sceaux, sous couvert du secret, lui avait demandé s’il pouvait accomplir une tâche délicate, d’une portée politique énorme et dont on ne pourrait pas faire état publiquement. Il l’avait accueilli au ministère, dans une grande pièce qui en imposait, et après les échanges de banalité d’usage, il avait demandé à l’émérite professeur de droit s’il pouvait contribuer à restaurer l’État, à faire en sorte que l’on tourne la page des gabegies des années Front populaire, et qu’après avoir remis la France au travail, soient redonnées à l’Empire ses lettres de noblesse. Bref « que l’on remette définitivement de l’ordre dans ce bazar créé par les agitateurs professionnels », selon les mots du ministre exaspéré d’une situation trop confuse.

Les idées de Joseph Barthélémy, catholique de conviction, homme de droite sans trop l’affirmer, étaient malléables. Lorsqu’on lui demandait un conseil, il s’empressait toujours de répondre positivement et faire les recherches nécessaires pour satisfaire le commanditaire. Peu osaient remettre en cause la qualité de son travail. Aussi, trouvait-il justement qu’on ne le mettait pas souvent à contribution. Pourtant, comme pour les Sudètes, il n’hésitait pas à donner son avis, même quand on s’abstenait de le lui demander. Mais en toute discrétion.

Grand, bedonnant, le regard inquiet, les cheveux poivre et sel séparés en leur milieu par une raie, une moustache bien blanche, reste d’une barbiche qu’il avait supprimée récemment, l’homme semblait paterne, bon enfant et rassurant.

Le chef de cabinet le mit dans la confidence : après avoir jugulé les militants syndicaux, « ils nous laisseront tranquilles pour un bout de temps avec leurs grèves, il faut mettre au pas ces agitateurs aux ordres de l’étranger. Vous me comprenez, Monsieur le professeur ? »

— Bien sûr, mon ami, mais jusqu’où faudra-t-il aller  ? Car je ne peux travailler que si l’objectif est clair.

— Et vous, vous pensez pouvoir aller jusqu’où ?

— Il faut déjà identifier ce que vous nommez les agitateurs. S’il s’agit des hommes inféodés à Moscou, les communistes, ou ceux sous la coupe de Berlin et de Rome ?

— Ceux de Berlin font allégeance en ce moment, depuis la venue de Monsieur von Ribbentrop, les choses se sont clarifiées et les Allemands ont assez à faire avec leurs frontières Sud et Est. Les Italiens se tiennent à carreau depuis le voyage du président Daladier en méditerranée. Non, le gouvernement pense à ceux de Moscou, qui menacent les structures de l’État.

— Hum, ce n’est pas une mince affaire. La constitution, les lois, les principes de notre République les protègent. Ils sont comme un poisson dans l’eau en France. Ils sont connus, et comme vous le savez, notre histoire les cuirasse. Alors, on ne pourrait s’en prendre à eux que par petites mesures, par à-coups, graduellement, s’emparer du moindre détail pour le monter en épingle et malmener leurs organisations. D’ailleurs, convenons cher ami, que celles-ci sont pléthoriques, elles touchent à tous les domaines. Un argent important y circule.

— Ah, l’or de Moscou… laissa tomber le chef de cabinet, les yeux un peu dans le vague.

— Oui, ces diables rouges sont les rois de tous les trafics possibles, on l’a bien vu avec l’Espagne… ils ont été jusqu’à créer une compagnie de navigation qui a pignon sur rue ! C’est vous dire leurs moyens, mais vos services ont toujours eu du mal à étayer le début d’une preuve d’un quelconque trafic, fit d’un ton un peu acide Barthélémy, ton qu’il regretta aussitôt. Il tempéra immédiatement : « À moins que la police et l’Intérieur ne disent pas tout »…

Le chef de cabinet ne sembla pas comprendre la critique. Il murmura, comme pour lui-même :

— Oh, la rumeur suffit. Tout le monde est persuadé de la chose, et il n’y a qu’à laisser œuvrer des confidences bien ciblées, la vie fera le reste.

— Oui, c’est tout de même délicat.

Barthélémy modifia sa posture dans le fauteuil, tira sur les pans de son gilet sous la veste, se passa l’index droit sur la lèvre supérieure en faisant frémir ses poils de moustache. Ses yeux semblèrent se concentrer sur un détail du grand miroir au cadre doré et tarabiscoté derrière le chef de cabinet. Soudain, il reprit avec son accent des Pyrénées, sa région natale :

— Sinon, j’ai l’idée de faire suite aux décrets sur les étrangers que nous avons déjà préparés et qui j’espère seront utiles.

On les lui avait demandés et il avait produit un gros travail pour répondre au besoin de limiter la présence étrangère sur le sol national, surtout à présent que les réfugiés espagnols avaient en quelque sorte envahi le Sud de la France. Il était légèrement contrarié que rien ne soit paru au Journal officiel. Avait-il travaillé pour des prunes ?

D’un geste de la main, le chef de cabinet lui fit comprendre qu’il n’y avait aucun problème. Joseph Barthélémy, sensible à ce signe, allait poursuivre quand son interlocuteur reprit la parole :

— Cette affaire n’a que trop duré, je peux vous dire que monsieur le Ministre a encore exprimé au Président du Conseil sa surprise que rien ne soit paru, car il ne manque que les signatures nécessaires. Une question de jours, Monsieur le professeur, une question de jours, je vous assure.

Barthélémy était aux anges, heureux que ses compétences soient reconnues à leur juste valeur, il n’était pas orgueilleux, mais il appréciait la gratitude comme une récompense. Alors, se rehaussant, il annonça :

— Voyez-vous, Cher directeur de cabinet, avec leurs histoires d’Internationale, pour tout le monde, les communistes sont inféodés à Moscou. C’est plus tangible encore que l’or de Moscou, puisqu’eux-mêmes revendiquent des idées et des ordres venus d’une puissance étrangère… Et, en mettant en avant qu’ils sont sous l’autorité d’une puissance étrangère, on peut, par extension, penser qu’ils ne respectent pas les lois de la République et de là à estimer qu’ils ne sont pas français. Les étrangers ne pouvant être des élus de la Nation, leur affaire est faite.

— Ah, oui… Alors là, je vous suis, personne ne peut contester cette logique. Écoutez, travaillez là-dessus avec votre équipe, Monsieur le professeur, mais rédigez s’il vous plait et mettez rapidement la chose au point.

Le chef de cabinet ayant obtenu ce qu’il souhaitait, se leva et donna congé à Barthélémy. Celui-ci, heureux d’avoir été sollicité par un ministre, dégoulinait de reconnaissance.

Une fois la porte refermée, le chef de cabinet reprit place dans le siège aux accoudoirs dorés et murmura pour lui-même : quel mollasson…

Dans les couloirs du ministère, en allant rejoindre le métro comme tout le monde, sa sacoche de cuir sur le côté qu’il tenait de sa main gantée, Barthélémy était fier de lui. L’idée d’utiliser l’Internationale communiste pour assoir l’idée de communistes agents de l’étranger lui était venue comme cela, dans le feu de la conversation. Il s’était aperçu de l’intérêt soudain du chef de cabinet pour cet angle d’attaque, et il jugea avoir touché juste, après, il avait brodé et inventé. Soudain, il estima confiner au génie. À coup sûr, le ministre le remercierait en personne et lui confierait une nouvelle tâche.

Rien qu’en énonçant la problématique, son esprit s’était mis au travail et il voyait déjà les articles de décrets se suivre les uns après les autres dans une logique imparable.

Une giboulée tapait aux carreaux de la fenêtre du bureau de Jules Lagarde qui était en entretien avec un délégué de la chambre patronale. Les deux hommes se regardèrent et le visiteur commenta :

— Une sacrée saucée  ! On a vraiment un mois pourri. Heureusement que les affaires se portent bien.

— Ah, mon ami, c’en est bien fini de la semaine des deux dimanches, comme l’a dit à la radio Paul Reynaud, il était temps… Mes comptes se sont bien redressés en fin d’année et l’ambiance est au travail. Mes ouvriers fournissent plus, discutent moins, bon, ils râlent toujours, mais surtout, je n’entends plus parler de la CGT qui appelait à la grève pour un oui, pour un non.

— Je pense que le redressement de l’économie n’est pas terminé. J’ai vu justement le ministre Paul Reynaud, il m’a fait part d’objectifs gouvernementaux très rassurants. Pour une fois que nous avons des dirigeants à l’écoute des problèmes du patronat, il faut en profiter mon cher.

Jules Lagarde, en entendant que son visiteur avait rencontré le ministre, que celui-ci lui faisait des confidences, sentit que les battements de son cœur accéléraient. Il était en liaison avec des gens influents et ne regrettait pas d’avoir investi dans l’avenir. Jules avait un raisonnement simple, il arrêtait son opinion à la faveur de ses comptes. Ils étaient bons, il s’enthousiasmait sans se poser de question, ils étaient mauvais, il n’écoutait plus les raconteurs d’histoires et se refermait comme une huître titillée dans son eau par un intrus. Ainsi, lorsque Gontran de la Puisaye avait pris contact avec lui, un homme d’une belle élégance, au port altier, doté d’un nom avec particule, membre du conseil d’administration d’une grande banque, il s’était senti très rapidement en confiance. De la Puisaye, qui affirmait descendre d’un comte chouan, ayant fait partie de l’expédition de Carnac en 1795, lui avait dit tout l’intérêt que lui et ses amis du CSAR [1] portaient aux dirigeants des petites entreprises, le terreau laborieux de la France. De la Puisaye lui avait exprimé les choses très clairement : les Rouges devraient être en prison. Il fallait protéger les patrons de leurs ennemis qui étaient aussi les ennemis de la France ! Tout un éventail de sentences dans lesquelles il se retrouvait. Et quand l’homme avait abordé la question de l’absolue réserve, de la confidentialité de leurs entretiens, qu’il lui avait dit que pour être efficace, il fallait être discret, voire muet, Jules Lagarde s’était mué en agent secret au service d’une cause. Puis, de la Puisaye lui ayant murmuré que les hommes les plus en vue, les plus importants attendaient leur heure pour agir, il s’était senti lié par le serment d’un conjuré aux inconnus qui servaient la même cause.

Incidemment, de la Puisaye lui avait demandé s’il avait fait la Grande Guerre.

— Quelle question, mon ami ! Bien sûr, dans le train des équipages. Décoré deux fois, blessé une fois, j’ai tout connu, le Chemin des dames, Verdun, c’est là que j’ai reçu ma blessure et ma Croix de guerre. Ah, on en a vu des choses ! On n’avait pas froid aux yeux…

Il tut que sa blessure n’avait rien à voir avec la guerre : en descendant l’escalier d’un hôtel où il avait passé la nuit avec une créature, il avait glissé et s’était cassé la jambe. Il était souvent au volant, parfois les rênes dans une main, à convoyer une carriole jusqu’au front, et une fois la cargaison d’obus et de mitraille livrée, le soir, il avait parfois l’autorisation de sortie. Il fallait bien que le corps trouve des satisfactions que la guerre contrariait.

De la Puisaye jaugeait son homme. Il lui lança alors :

— Vous avez été un héros ! Ces batailles méritent le respect et vous honorent. Je vous assure que les grands chefs des armées d’alors sont aussi très sensibles à nos ambitions. Ce n’est pas un hasard si le maréchal [2] vient d’être désigné comme ambassadeur auprès du général Franco, avec lequel il est lié depuis la guerre du Rif …

Et puis, comme s’il avait oublié, il demanda :

— J’y pense, avez-vous un hangar à mettre à disposition pour un de nos amis ? Bien sûr, gracieusement. Il a besoin de déposer des caisses de ferraille dans un lieu sûr.

— Ne vous tracassez pas, je trouverai une solution, dites à votre ami de m’appeler afin que nous convenions de la manière de faire.

— Tss, tss, mon ami, il n’en est pas question. Je reviendrai vous voir pour terminer le sujet ! Je vous l’ai dit, discrétion…

Lagarde, rosit, bafouilla une vague excuse. De la Puisaye était satisfait. Il ne lui restait plus qu’à demander à Jules Lagarde de lui donner de quoi subvenir aux besoins de la Cause.

— Avant que je parte, vous serez gentil de penser à nos œuvres, maintenant que votre trésorerie est renflouée.

— Vous me coupez l’herbe sous le pied, mon cher !

Lagarde se recula de quelques centimètres, glissa une main devant sa bedaine, ouvrit un tiroir, en extirpa une enveloppe assez volumineuse qu’il tendit au représentant de la ligue factieuse.

— Voilà, j’avais anticipé votre demande. J’espère que vous serez satisfait. Mais j’ai un service à vous demander, osa-t-il d’une petite voix.

— Je vous écoute, répondit l’émissaire d’un ton un peu sec.

— Pourriez-vous dire à vos amis de l’industrie que je peux contribuer efficacement à la fabrication d’armes ? J’ai élargi les compétences de ma modeste entreprise, je peux maintenant usiner et faire des canons de fusils, des gâchettes, des détentes, des ressorts, bref tout ce que l’État demande actuellement, sauf les grosses pièces, je peux tout réaliser. Évidemment, je saurai être reconnaissant, dit-il dans un souffle. Le col en celluloïd de sa chemise lui devint soudain trop étroit. Il ne pouvait décemment pas défaire le bouton devant de la Puisaye. Il souffrit.

— Vous m’en voyez ravi, cher ami, je m’en occupe le plus rapidement possible…. Puis, l’air attristé, il lui dit qu’il devait maintenant partir… Lagarde en fut soulagé.

Daniel Renoult peaufinait l’inauguration du musée de l’Histoire de Montreuil. Une idée qu’il avait eue avec Duclos et pour laquelle le maire, Fernand Soupé, lui avait donné carte blanche. Face à lui, le directeur du futur établissement, Jean Bruhat, tentait de le rassurer. Celui-ci était un homme à la chevelure ondoyante, aux lunettes rondes sur un visage fier. Il était membre du Parti, spécialiste de l’Histoire, il mettait son savoir et sa culture au service de la cause révolutionnaire. Daniel étant un perfectionniste, il voulait que même l’impossible soit prévu et donc ne posât pas de problème. Il reprenait pour la deuxième fois l’agencement des salles, celle de la Révolution, celle de la Commune dont on fêterait l’anniversaire le 18 mars, et celle de la Culture. Il prévint au passage que son ami Georges Politzer, le philosophe, ferait un article dans l’Humanité du 23. Bruhat ne lui rappela pas que c’était lui qui lui avait suggéré.

— Donc les documents sont bien visibles et lisibles pour le public ? Tu m’assures que les textes originaux ont une traduction dactylographiée à côté ?

— Oui, Daniel, tout est en ordre. Les salles sont éclairées par les grandes fenêtres, enfin tu connais autant que moi le parc de Montreau et la villa qui abrite le musée. N’aie aucune inquiétude.

— Oui, bien sûr. Mais justement, ne penses-tu pas que la salle dédiée à la Commune soit trop petite ? Tu comprends, il faut que les gens puissent circuler et je pense que cette partie du musée sera appréciée.

— Tu m’avais déjà évoqué cette inquiétude la semaine passée, J’ai fait des essais, on peut circuler aisément à une vingtaine de personnes. Un brin d’agacement se sentait dans cette phrase.

— Bon. Pour les invitations, as-tu des retours ?

— Oui, déjà un certain nombre de camarades du Conseil général en seront, bien sûr la Municipalité…

Soudain, après que quelqu’un eut frappé, la porte s’ouvrit sans que Renoult n’ait eu le temps de dire d’entrer. Fernand Soupé, le maire, faisait soudainement son apparition, ce qui n’était pas dans ses habitudes.

— Qu’y a-t-il Fernand ?

— Ah, tu es avec Bruhat ! Non, non, tu peux rester, dit-il à ce dernier alors que le directeur du musée s’était levé, prêt à s’éclipser. Il poursuivit sans laisser le temps aux salutations : « Daniel, les Allemands viennent d’envahir la Bohème, ils sont à Prague, c’en est fini de la Tchécoslovaquie, débita rapidement le maire. La Hongrie est aussi entrée dans la danse. Je suis très inquiet… »

— Ah, pétard, c’est grave ! Ils ne reculent devant rien ! Tu vois, Fernand, nous avions raison, Munich n’a été qu’une fumisterie, Daladier s’est fait avoir dans tous les sens du terme. Je suppose que tu vas réagir ?

— Je ne sais pas encore. Parfois je me dis qu’il vaut mieux qu’Hitler ronge les os de ce côté-là plutôt que de lorgner vers chez nous.

— Attends Fernand, tu ne peux dire cela, cette grande Allemagne qui se dessine, devient monstrueuse avec son armée, sa Gestapo, ses milices. Les Soviétiques vont répondre.

Il se souvint qu’au même moment, le congrès du Parti soviétique se déroulait là-bas…

— Mais, poursuivit-il, je pense que sans attendre cela, les députés vont intervenir, et que les maires doivent se positionner. Je vais appeler Duclos pour sentir les choses.

— Et tu sais quoi ? La Banque de France, celle d’Angleterre et celle de Bâle viennent de déclarer qu’elles remettraient l’or de la Tchécoslovaquie en leur possession à la Reich Bank ! La décision n’a pas tardé, c’est le moins que l’on puisse dire. Quand on pense qu’elle avait déjà restitué l’or de l’Espagne à Franco, comme quoi, Pétain n’est pas aussi gâteux que cela !

— Le capitalisme fait le choix du fascisme. C’est terrible et cela se fait sur le dos de la classe ouvrière. Je serais à ta place je ferais tout de suite une déclaration à la population de la ville.

— Appelle Duclos et tiens-moi au courant de ce qu’il en pense. Salut Bruhat.

Soupé sortit du bureau aussi rapidement qu’il y était entré. Bruhat ne savait que dire. Il hésitait à se lever. Il regardait Daniel Renoult avec des yeux interrogatifs.

— Excuse-moi, Jean, mais j’ai manifestement des tas de choses à régler On se verra demain pour l’inauguration, si tu le veux bien, et sans attendre, établis-moi la liste de ceux qui ont répondu qu’ils venaient à l’inauguration.

Notes :

[1Comité secret d’action révolutionnaire, organisation factieuse, à l’origine d’attentats et d’assassinats, elle est proche de la Cagoule.

[2Philippe Pétain

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