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Chapitre XI

Il y a un plan, mais lequel ?

La fête est finie !

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Mise à jour le 4 octobre 2024
Temps de lecture : 19 minutes

Résumé des chapitres précédents :

Ce jour-là, le dimanche, chez les Sotemaille, dans la rue des Groseilliers, rien n’allait plus. La Saute-aux-prunes n’est pas fidèle et son mari venait de s’en apercevoir. Ça bardait ! Les Moinot entendaient tout de l’autre côté de la cloison. Patrick se confia à sa mère et lui dit ses sentiments pour Monique. Évelyne vit cela comme une catastrophe, d’autant qu’il lui annonça être reçu par Madame Lagarde pour le thé.

Daniel Renoult, en entrant chez lui, entendit dans le hall une conversation entre la concierge et la mère Didier. Il mit les pieds dans le plat et ferma le clapet de la bignole. Mais il sentit que la mère Didier était ébranlée par les arguments racistes de la gardienne. Il en parla à Alice.

Une manifestation eut lieu en cette veille du 1ᵉʳ mai. Daniel s’y rendit, il avait rendez-vous avec Mado. Le rendez-vous chez les Lagarde tourna à la catastrophe pour Patrick. Et de l’autre côté du monde, les Japonais décidèrent d’être agressif envers la Mongolie.


Chapitre XI : Il y a un plan, mais lequel ?

Le 3 mai 1939

Le nouvel hôtel de ville de Montreuil était plein à craquer. Fernand Soupé, le maire, membre du comité central du Parti communiste, l’avait mis à disposition. Ainsi pouvait avoir lieu le grand rassemblement au cours duquel Jacques Duclos et André Marty prendraient la parole pour exiger une autre politique sociale et la paix. Cela faisait plusieurs jours que tous les militants étaient sur le pont pour assurer le succès de l’initiative. Daniel avait estimé nécessaire de passer chez la mère Didier afin de la convaincre de venir, ainsi que sa fille, Yolande. Il s’était dit qu’il valait mieux qu’elle vienne écouter, l’ambiance aiderait à lui ouvrir les yeux et pendant ce temps-là, elle ne serait pas dans les griffes de la bignole.

L’immense salle des fêtes du premier étage était archicomble. La foule tentait encore d’y pénétrer mais c’était impossible. Les couloirs regorgeaient de monde, les escaliers étaient pleins, et dehors, sur le parvis, une masse compacte espérait encore accéder à l’étage. Devant cette situation où certains commençaient à râler, Fernand Soupé donna des instructions et de gros haut-parleurs en forme de cornet furent accrochés aux piliers de l’entrée, permettant à la foule cantonnée à l’extérieur d’entendre les discours. Il avait refusé de prendre la parole pour ne pas trop faire attendre l’auditoire qui venait surtout pour Duclos, le député et secrétaire du Parti, et Marty, le héros de la mutinerie d’Odessa et l’organisateur des Brigades internationales.

Avant qu’il ne monte à la tribune, la mère Didier, qui avait réussi à se faufiler on ne sait comment, attrapa Daniel par le bras.

— Salut mon gars ! Y en a du monde, dis voir !

— Je suis content que tu sois venue, bonjour Yolande, fit Daniel en apercevant derrière elle la fille qui ressemblait déjà comme deux gouttes d’eau à sa mère.

— Tu crois qu’y va y avoir la guerre ?

— Ça dépend de nous tous, tu sais, mais surtout du gouvernement. Tu vois, comme ce soir, faut qu’on se rassemble et qu’on s’oppose aux fascistes et aux racistes de tout poil !

— T’as bien raison, mon gars.

Daniel, content de cette réponse, gravit les quelques marches qui permettaient d’accéder à la tribune située sur une estrade de bois.

Les orateurs furent brillants  ! Ils enchaînèrent les remarques, les analyses, les envolées qui galvanisèrent l’auditoire. Duclos termina son intervention en lançant : « Unissons-nous, républicains, démocrates, socialistes, communistes, unissons-nous sous le drapeau de la justice sociale et de la liberté  ! Et la France ne sera pas une colonie hitlérienne, elle restera une terre de liberté ! »

La foule entonna une vibrante Internationale. Puis, ce fut le tour de Marty, qui était assis jusqu’à présent aux côtés de Daniel. Marty ramassa des feuillets qu’il avait encore griffonnés jusqu’au dernier instant et se dirigea vers le micro. Immédiatement, la foule chanta à nouveau, mais cette fois une Marseillaise, dans laquelle on sentait toute la ferveur nécessaire pour gagner la paix.

Lorsque tout fut terminé, que la foule commença à refluer, Soupé proposa à Renoult, Duclos et Marty de se retrouver quelques instants dans son bureau. Seul André Marty ne connaissait pas les lieux, ils le guidèrent donc vers l’étage où un vaste couloir permettait d’y accéder. Dans la pièce, sur une table qui pouvait accueillir une douzaine de personnes, un seau à glace avec des glaçons presque fondus contenait deux bouteilles de champagne. Des coupes étaient disposées autour et sur des assiettes, des petits gâteaux secs patientaient en attendant d’être dévorés.

Sans formalités, tous s’installèrent et Daniel sortit sa bouffarde qu’il chargea d’un peu de tabac gris.

— Alors qu’en pensez-vous ? demanda Soupé.

— Une réussite  ! C’était nécessaire. Les gens attendent des explications et vous avez été parfaits, dit Daniel en prenant sa pipe d’une main. J’ai ressenti le besoin d’avoir ces réponses en parlant avec des gens dans la rue. La guerre, c’est loin, compliqué, et ils sont submergés par le quotidien, comment vivre, avec quoi, voilà leurs grands problèmes. Maintenant, reste une question à laquelle quelqu’un pourra peut-être répondre : que va-t-il se passer  ? La réaction construit quelque chose, mais quoi ?

La bouteille avait été débouchée, Soupé s’en était emparé avec un torchon pour l’entourer. Il servit dans les coupes, celle de Duclos déborda, mais il ne s’en aperçut pas, perdu dans ses pensées. Marty revint sur son intervention :

— C’est une question Daniel, moi, je tiens des comptes : trente-cinq, agression et colonisation de l’Abyssinie par Mussolini avec la bénédiction des accords de Rome signés par Laval  ; juillet trente-six, agression de l’Espagne par Mussolini et Hitler et invention de la non-intervention  ; mars trente-huit, invasion de l’Autriche et trahison de la France et de l’Angleterre  ; septembre trente-huit, Munich, invasion partielle de la Tchécoslovaquie et livraison de la ligne Maginot tchèque aux Boches  ; mars trente-neuf, fin de la Tchécoslovaquie, puis le tour de Memel, de l’Albanie, et demain, Daniel, se sera Dantzig, la Yougoslavie, le Maroc !

— Oui André, ça, c’est le résultat, c’est le visible. Mais on va où ? Ici, en France en ce moment ?

— C’est la vraie question, dit Duclos comme sortant d’une torpeur. Je ne suis pas certain que l’on ait tout vu dans les décrets-lois qui sortent en rafale. Le possible report des élections législatives jusqu’en quarante-deux, voire quarante-trois, ça m’interroge bougrement  ! Et puis, le décret-loi contre la propagande étrangère… Et si nous étions visés ?

— On ne fait pas de propagande étrangère, s’indigna Soupé.

— Je ne dis pas que nous en faisons, mais regarde les flots de haine qui sont déversés par Daladier sur nous, et ça a commencé l’an passé avec son discours de Marseille, je crains qu’ils ne soient prêts à tout  ! Ils pourraient s’en prendre à la Troisième Internationale et zoup, on passe à la trappe.

— Les Français ne laisseraient pas faire cette infamie  ! protesta Marty. On ferait des tracts, des grèves, des manifs, ça pourrait aller loin !

— Jacques touche juste, fit Daniel. Les manœuvres en cours ne relèvent pas du hasard. Il faudra regarder de près tous les décrets-lois. Tu sais si quelqu’un de chez nous s’en occupe à la Chambre ? demanda-t-il à Duclos.

— Heu, non, je vais voir, tu as raison.

Daniel poursuivit son idée :

— Mais si demain ils nous interdisent de nous exprimer, cela va être très, très difficile. Vous savez, à la création du Parti, la lutte était à mort. En Russie, les Blancs massacraient les Rouges. Et en Allemagne, l’interdiction du parti, l’emprisonnement des camarades, les camps de concentration, les disparitions, c’est toujours une lutte à mort. Alors, et si c’était notre tour ici en France ?

Duclos et Soupé n’avaient pas vécu comme Daniel, aux premières loges, ces années de 17 à 21, l’affrontement sanglant avec les contre-révolutionnaires soutenus par l’Europe entière et les États-Unis. Duclos n’aimait pas que l’on pointe son engagement après le congrès de Tours. Il n’était entré au Parti qu’après sa création tandis que Renoult, lui, était dans la bataille avec Marcel Cachin pour l’adhésion à la IIIᵉ internationale.

Sans s’en apercevoir, les quatre hommes avaient bu leur coupe, la bouteille était presque vide. Soupé déboucha la seconde et servit.

— Non, merci, c’est bon pour moi, dit Daniel en posant sa main sur le col de son verre.

Les autres ne dirent pas non. Soupé resservit en faisant attention cette fois à ce que cela ne déborde pas. Duclos reprit le cours de sa pensée :

— Imaginons qu’au fond, leur vraie stratégie soit que l’Allemagne attaque la Russie. Car, avec leur refus persistant de ne pas conclure un accord avec l’URSS, cela revient à laisser les mains libres à Hitler. Si demain l’Allemagne attaque, ils ne sont liés par rien. Et que l’Allemagne s’épuise à l’Est a toujours eu les faveurs de la bourgeoisie. La Pologne, c’est plus difficile, car comment faire pour la défendre  ? Nous sommes à deux mille kilomètres de la frontière. Alors attaquer l’Allemagne  ? Pourquoi Daladier le ferait-il maintenant puisqu’il n’a rien fait jusqu’à présent. Laisser l’URSS seule contre Hitler…Hum, ce peut être leur tactique. Mais pour cela, il faut nous casser, car avec un Parti communiste fort en France, c’est complexe pour eux comme tu le soulignes. Ou alors faire semblant d’être agressif avec les Nazis et en profiter pour nous porter des coups sévères. Pour moi, dans tous les cas, c’est nous qui sommes d’abord dans le viseur, mes camarades. Et la finance est rassurée, le capitalisme aussi.

— D’accord, ça c’est ce qu’ils imaginent. Mais, on ne va pas les laisser faire. On va lutter, alerter le Peuple, agir… souligna Soupé.

— -Hum, c’est bien cela, tu as raison. Qui jusque-là empêche Daladier et les mous du bide de mettre en œuvre cette stratégie ? Tu l’as dit, nous.

— Oui, évidemment, affirma Soupé.

— Donc, si je te suis bien, il faudrait d’abord nous briser. En nous interdisant… émit Daniel très concentré.

— Oui, Daniel, reprit Duclos, c’est ma crainte. On doit envisager cette éventualité. J’en parlerai avec Fried pour lui demander son avis.

— Alors, là, vous voyez trop loin pour moi. Restons-en à ce que nous faisons avec les meetings, les manifestations, on va les bloquer, affirma Marty qui, ayant bu sa coupe, se resservit d’autorité.

— Je vais vous dire, reprit Duclos, les meetings, tous les dirigeants y vont. J’en ai ma claque. Comme ce soir, tous les jours, dans tous les coins de France, il y a des rassemblements avec une belle participation. D’ailleurs, ça commence à tellement les emmerder que celui de Cannes avec Maurice Thorez, vient d’être interdit… Ils nous testent avec cette interdiction, une première.

— Ah oui, j’ai vu dans l’Huma, l’interdiction n’est pas levée ? demanda Soupé.

Duclos ne répondit pas, il se leva et déclara : « Amis et camarades, je rentre, sinon Gilberte va encore me dire que je travaille trop ».

En arrivant chez lui, Daniel constata qu’Alice dormait. Il fit le moins de bruit possible et se coucha. Les draps avaient été changés et Alice avait ôté l’édredon, les jours allongeaient et il ne faisait plus froid. Il se tourna plusieurs fois dans le lit, ne trouvant pas le sommeil. Il ressassait la conversation.

En haut du talus, un bel orchis semblait narguer Daniel. Il aimait particulièrement ces plantes sauvages. La fleur est très sexuelle, comme un doigt de gant retourné. Un sépale démesuré, d’une couleur extraordinaire qui forme comme une piste d’atterrissage pour insectes. Juste au-dessus de cette langue colorée, une excroissance charnue constitue l’organe reproducteur. La beauté de ces fleurs le ravissait. Son père lui en avait montré lors d’un séjour dans les Alpes alors qu’il était enfant. L’épi assez court, la couleur de sang ne pouvaient pas tromper, comme ses petites feuilles, les mêmes que les graminées : un orchis vanille. Il suffisait de le sentir pour vérifier. Il tenta de l’atteindre, la terre sous lui se dérobait et il n’arrivait pas à grimper ce fichu talus. Dans un effort terrible, s’aidant des coudes, des pieds, des mains en se cramponnant à des touffes d’herbes, à des mottes, il progressa  ; il allait poser enfin son nez sur l’épi floral lorsque des explosions retentirent. Ça pétait de partout. Instinctivement, comme une tortue, il rentra la tête dans les épaules. Son casque le gênait. Il entendit Le Bellec hurler : « Descends de là nom de dieu  ! » mais il refusa. Il regarda devant lui et aperçut une masse de soldats fonçant sur lui, baïonnette au canon, hurlant. Derrière la première rangée, il entrevit un étendard avec la croix gammée.

— Ils arrivent ! beugla-t-il aux hommes dans la tranchée.

— Planque-toi, cria encore Le Bellec, mais c’était trop tard. Un soldat le terrassait, une botte sur la poitrine et s’apprêtait à enfoncer son arme. Il se vit perdu. Le soldat lança un kommunist kaput et enfonça… Daniel cria : Mado !

Alice le secoua : « Réveille-toi Daniel, tu fais un cauchemar, c’est rien, un mauvais rêve… »

Il sortit de son délire, il était en sueur, tout de travers dans le lit. Alice avait allumé une lampe de chevet. Elle se leva et alla chercher un verre d’eau dans la cuisine. Daniel entendit le robinet puis les pas d’Alice revenant. Elle était en chemise de nuit, un filet dans les cheveux, des pantoufles usées jusqu’à la corde aux pieds.

— Bois ça, et rendors-toi, tu te lèves tôt demain.

Elle ne lui dit rien d’autre. Elle se recoucha, éteint la petite veilleuse et fit semblant de s’endormir. Pourquoi avait-il hurlé le nom de cette Mado qu’elle pensait oubliée depuis longtemps ?

Tout au bout, de l’autre côté de la terre, en Extrême-Orient, vers la frontière entre la Mongolie et le Mandchoukouo, sur la crête d’une dune, trois cavaliers mongols examinaient les alentours, dressés sur leurs étriers. Un lieutenant, identifiable à son grade cousu sur la manche de sa veste près du poignet, n’avait pas besoin de jumelles pour examiner la colonne de poussière et de sable qui s’élevait au loin. Son regard perçant avait identifié des automitrailleuses japonaises. Les soldats avaient en main leur fusil, prêts à s’en servir.

Ils étaient sur leurs chevaux, des bêtes courtes mais robustes. Leur encolure épaisse et leur croupe musclée soulignaient leur puissance. Des bêtes racées, endurantes, rapides. Les trois hommes surveillaient la frontière. Ils connaissaient le terrain comme leur poche. Mais affirmer que, dans une étendue semi-désertique, où une végétation rare et sèche s’éparpillait au sol, la démarcation entre les deux pays était sur telle colline ou sur telle dune, relevait d’une mission impossible. Et le vent jouait des tours en déplaçant les monticules !

Pour tout cavalier mongol, la seule contrainte au déplacement était liée à la capacité physique de sa monture. Se lancer à la poursuite d’un lièvre à quelques centaines de mètres, car un aigle tournoyait au-dessus, était un jeu, une passion. Alors, pour ces nomades, limiter un galop parce que soudain on changeait de pays ne signifiait rien. Les militaires, eux, étaient plus vigilants, il ne fallait pas provoquer. Ou alors, le faire pour tester la réaction des autres …Mais aujourd’hui, pour Chuluun, le lieutenant, l’allure et le nombre des automitrailleuses ennemies soulignaient une nouvelle tension.

La colonne se rapprochait, on voyait distinctement les cocardes sur le blindage. Soudain, une rafale fut tirée du premier engin. Les balles sifflèrent autour des trois cavaliers. Ils n’étaient pas de taille. Ils tournèrent casaque et Chuluun demanda aux deux soldats, Sükh et Naranbataar, de filer vers la garnison.

Les montures furent mises au galop. Les militaires se couchèrent sur leur bête, usant de la cravache pour que les animaux aillent le plus vite qu’ils pouvaient. Derrière eux, le tactactac des mitrailleuses se rapprochait, les yeux des destriers terrorisés par la fusillade sortaient de leur orbite. Les trois cavaliers ne prirent pas le temps d’évaluer la distance les séparant des japonais. Chuluun excitait son étalon en lui criant à l’oreille. Dans cette cavalcade, un bruit plus mat se fit entendre. Naranbataar venait d’être touché ainsi que son cheval. Ils avaient fait une chute et les jambes de l’animal s’étaient brisées. Malgré sa blessure, Naranbataar se releva. Sükh tira sur la bride pour aller sauver son camarade. Une autre rafale le faucha à son tour. Chuluun comprit immédiatement la situation, les deux soldats seraient rejoints dans quelques secondes par une escouade de Japonais.

Il décida malgré tout de poursuivre sa chevauchée endiablée, non par peur, mais il préféra sacrifier ses camarades pour tenter de prévenir l’état-major, la situation était grave  ! Des blindés étaient toujours à ses trousses. Il bifurqua vers le nord et poursuivit à un train d’enfer. Le sol devenait plus mou. La bête cavalait avec plus de difficultés, ses sabots pourtant larges s’enfonçaient dans le sable. Il cravacha de plus belle. Le corps toujours collé au dos de la monture, il jeta un coup d’œil en arrière, les véhicules ennemis s’enfonçaient dans la poudre sableuse. Il était sauvé  ! Il ralentit l’allure tout en maintenant un galop. Une heure plus tard, il arrivait à la garnison, épuisé, quant à la bête, elle était fourbue, le torse dégoulinant d’écume. Il appela un jeune palefrenier à qui il confia le pur-sang et courut au bureau du capitaine.

Celui-ci appela immédiatement l’état-major qui contacta le 57ᵉ corps soviétique qui assistait les maigres forces mongoles selon les termes de l’accord signé en 1936. Le capitaine raccrocha et questionna Chuluum.

— Donc vous avez perdu deux chevaux, lieutenant. Les Japonais ont attaqué ?

— Oui mon capitaine, et j’ai aussi perdu deux hommes. Peut-être sont-ils prisonniers, Naranbataar lui était blessé. Mais je me suis replié car je voulais vous informer au plus vite.

— Vous avez eu raison. Demain, je vais expédier une escouade d’une soixantaine de cavaliers sur place. En représailles, nous occuperons une partie de la zone.

— Mon capitaine, ils ont des blindés…

— J’ai bien compris. Mais dans cet endroit, le cheval est plus rapide que les engins sur roues ou chenillés.

Le lendemain, la frontière était paisible. Les cavaliers de la République populaire de Mongolie franchirent au trot le flot de la rivière Khalkhin-Gol. Sur la rive est, celle du Mandchoukouo, ils s’arrêtèrent à proximité d’un petit village, Nomonhan. Pas de forces hostiles à l’horizon. Ils bivouaquèrent. La nuit fut sereine. Le lendemain matin, laissant sciemment des traces, l’escouade rebroussa chemin.

Dans l’après-midi, alors que le temps était radieux, le ciel dégagé du moindre nuage, la troupe se reposait avant son retour à la garnison. Les chevaux soudainement s’animèrent. Ils se mirent à bouger les oreilles, deux ou trois à hennir. Quelque chose les alarmait. Les Mongols, très unis à leurs montures, les calmèrent, il n’en demeurait pas moins qu’un évènement les troublait. Ils firent silence et écoutèrent. Loin, très loin, un orage grondait…

Le lieutenant-colonel Azuma Yaozo arriva à la tête d’un détachement au village de Nomonhan, il remarqua les traces laissées par les Mongols. Il n’avait pas besoin de les poursuivre, un groupe de bombardiers l’avait dépassé et pilonnait un poste frontalier de la République populaire de Mongolie. Il estima que la punition méritée tétaniserait les ennemis et avec sa troupe, il retourna à sa base de départ, Hailar. Il se trompait.

Patrick Moinot était bouleversé depuis l’entrevue avec la mère de Monique, il vivait un désastre. Le jeudi, il attendit désespérément Monique qui ne sortit pas de chez elle pour aller à son cours. Lorsqu’il était à la maison, il épiait ce qui se passait de l’autre côté de la rue. Rien. Pas un voilage ne frémissait, la vaste demeure était comme abandonnée. Il souffrait. Sa mère vit bien qu’il y avait un problème, et le questionna.

— C’est pas tes affaires ! la rembarra-t-il.

— Mais, tu m’en as parlé avant d’aller chez les Lagarde et je vois bien que quéquechose ne tourne pas rond. Tu veux m’en parler ?

— Nan !

Elle se remit à la lessive.

Le 11 mai au soir, il attendit que son père rentre de la carrière, se décrasse dans un baquet d’eau savonneuse, derrière un rideau qui pendait d’une tringle accrochée à une armoire et au vaisselier. Lorsqu’il fut séché, habillé, coiffé, il l’interpela.

— Papa, je voudrais entrer au Parti communiste. Comment je dois faire ?

— Ah, c’est nouveau ça. Qu’est-ce qui te décide de le faire maintenant ?

— Ben, ça a l’air de chauffer, la guerre menace, et les bourgeois vont faire le malheur du monde. Alors moi je crois pas qu’on peut rester comme ça à rien faire !

Son père s’approcha et le serra contre lui.

— C’est pas rien, tu sais, ce que tu dis là ? J’en parle à la cellule et je te dis.

La suite au prochain chapitre, le 28 septembre.
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