La guerre et ses atrocités, Raja El Zoghbi connaît hélas trop bien. Aujourd’hui médecin anesthésiste au CHU de Lille, cette Libanaise originaire de la plaine de la Bekaa a fait ses études de médecine générale en Ukraine et s’est spécialisée à Rennes, en Bretagne. Elle vit en France depuis 12 ans. Mais elle a commencé à exercer en 1995 dans le sud du Liban.
Elle était présente à Cana lorsque l’armée israélienne a mené une attaque atroce dans le cadre de l’opération « Raisins de la colère ». C’était entre le 11 avril et le 27 avril 1995. « J’étais pour la première fois confrontée à la guerre », se souvient-elle. Ce ne sera pas la dernière. Raja a aussi vécu la libération du Sud Liban en 2000 avec de nombreux blessés du Hezbollah arrivant dans son service. Elle travaille alors dans un grand hôpital universitaire. Elle est toujours dans le Sud Liban quand, le 14 février 2005, l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri est victime d’un attentat à Beyrouth, avec 21 autres personnes. L’assassinat de cet ex-membre de l’opposition anti-syrienne déclenche un mouvement populaire, la « Révolution du Cèdre » qui force la Syrie à retirer ses troupes du Liban dès le mois de juin.
Un second Gaza
Un an plus tard, l’armée israélienne mène un raid aérien dans la nuit du 30 juillet 2006. On est en pleine guerre israélo-libanaise. Raja El Zoghbi, toujours là, va rester 33 jours d’affilée à l’hôpital.
Mais les conditions de vie, les contrariétés quotidiennes finissent pas l’épuiser. Plus que les membres du Hezbollah. « Je travaillais dans leur fief, mais ils laissaient les médecins exercer en paix, même s’ils connaissaient notre opposition à leurs idées. » Aux conditions de vie s’ajoutent les conflits internes, entre Hezbollah et autres partis. La laïque qu’elle est en a assez. Elle décide de rentrer en France.
À présent, elle appelle tous les jours sa famille restée au Liban. « Quand les bipers ont explosé, les 17 et 18 septembre, j’ai compris que la guerre allait commencer. Mes parents vivent dans un village plutôt calme et reçoivent des gens de leur connaissance qui ont dû quitter leur domicile en raison des bombardements. Bien-sûr, ils vivent très mal la situation. Ma nièce me dit qu’elle ne dort pas la nuit à cause du bruit des bombes. Elle est très angoissée et confie que s’il se passe quelque chose, il faut quelqu’un pour réveiller les autres. »
Au Liban, les dirigeants ont trop peu appris de l’histoire
Raja en est persuadée, la guerre va durer plusieurs mois au moins. Elle craint un second Gaza. « Les dirigeants israéliens ne veulent pas la paix parce qu’ils ne veulent pas d’un État palestinien », répète-t-elle en rappelant les longues années d’occupation du Liban de 1982 à 1987 et d’une partie du sud jusqu’en 2000. La création du Hezbollah n’est pas fortuite, glisse-t-elle en substance. Face à lui, il n’y a pas de gouvernement libanais à proprement parler tant les politiques sont corrompus. Walid Joumblatt, le chef de la communauté druze, comme les autres.
Désabusée face à des acteurs et à des jeux qu’elle peine à comprendre, dont l’Iran et les États-Unis, et face aux « mensonges d’Israël », elle avoue « ne plus croire à la démocratie, à l’égalité, à la liberté d’expression ». Ce qu’elle craint, contrairement à Lara (notre précédent portrait) c’est le retour d’une guerre civile au Liban. « Parce que, dit-elle, trop peu ont appris de l’histoire. On ne peut construire le Liban sans un équilibre entre les différentes minorités, c’est-à-dire sans les chrétiens, les sunnites, les chiites. Pour trouver cet équilibre, il faut des intelligences et des patriotes qui font précisément défaut au gouvernement ».