A-t-on réellement conscience de la situation et de l’état de la sidérurgie française ? À entendre les discours lénifiants de la direction d’ArcelorMittal, tout va bien dans le secteur et nous n’aurions pas trop de souci à nous faire. Sauf que l’on ferme des sites, comme à Denain et à Reims, sauf qu’à Dunkerque et à Fos-sur-Mer, on n’investit pas à la hauteur des besoins, on ferme des hauts-fourneaux, on laisse péricliter un joyau de l’industrie française désormais sous le contrôle de grands propriétaires industriels et financiers comme l’Indien Mittal. Sauf que les cadres dirigeants ne savent apporter de réponses à l’inquiétude des salariés et de leurs organisations syndicales. On est bien loin de la logique d’Usinor et de ses perspectives des années 60.
Appelé à s’expliquer ce mercredi 22 janvier devant la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale, le président d’ArcelorMittal France, Alain Le Grix de la Salle, s’est replié derrière la crise de la sidérurgie en Europe. Ne pouvant donner aucune garantie sur le devenir du secteur (« La sidérurgie en Europe est en crise (...). Je ne peux pas aujourd’hui prendre le moindre engagement (...), les sites quels qu’ils soient, sont tous à risque en Europe et donc en France aussi »), il a notamment mis en cause les surcapacités mondiales et les exportations chinoises.
La CGT l’avait dit
La CGT connaît ce discours et ne s’en laisse pas conter. La mise en alerte qu’elle fait depuis des mois va peut-être enfin commencer à être entendue. C’est en tout cas ce qu’espère Gaëtan Lecocq, secrétaire général de la CGT d’ArcelorMittal Dunkerque, depuis la tenue du meeting organisé ce jeudi 24 janvier à Dunkerque. Transformé, un peu à son corps défendant, en donneur d’alerte, le syndicaliste a pu monter cette réunion d’ampleur avec les syndicats CGT du Nord. Parmi les invités, à la tribune, il y avait la présidente de la commission économique de l’Assemblée nationale, Aurélie Trouvé, et le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel. À la CGT, on n’a pas de mots pour répéter que le soutien des politiques est indispensable. « Que les politiques tapent un bon coup sur la table ! » a tonné Gaëtan Lecocq.
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Ce soutien passe d’abord par une mise au point et Fabien Roussel n’y a pas failli. « Jamais personne, jusqu’ici, n’avait envisagé de se passer d’acier », a-t-il commencé en apportant son soutien aux responsables cégétistes qui ont bien vu le vent tourner. En résumé, défendre la sidérurgie, c’est défendre l’industrie dans son ensemble, c’est « défendre la vie ».
Un coup de poignard dans le dos de l’industrie
Mais, poursuit le responsable communiste, c’est là qu’il convient de « dire la vérité et d’avoir un bon diagnostic ». Ainsi, lorsque le président d’ArcelorMittal France et la « presse bourgeoise » (Fabien Roussel met de côté les analyses de Liberté Actus) reprochent à l’acier chinois d’être responsable de la crise de l’acier européen en envahissant nos marchés, faut-il rappeler que, si la Chine produit effectivement la moitié de l’acier mondial, 93% de sa production est écoulée sur son marché intérieur. Seuls 7 % sont donc exportés.
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Les exportations chinoises vers l’Europe sont en retrait depuis 15 ans. En revanche, rappelle Fabien Roussel, les exportations de l’acier indien ne font que s’accroître. « Mittal organise lui-même sa concurrence avec sa production européenne [et donc française – ndlr]. » Mittal est davantage un groupe multimilliardaire qui privilégie les dividendes de ses actionnaires (2 milliards d’euros) alors que les 1,8 milliard d’euros pour décarboner sont pour une bonne part financés par des fonds publics.
« Mittal, assène Fabien Roussel, donne un coup de poignard dans le dos de l’industrie française. Il peut partir ! Si cela doit passer par une nationalisation, nous la demanderons. Oui, la question de la nationalisation, en France, est à l’ordre du jour. Nous avons besoin de produire de l’acier en France. Il en va de notre souveraineté et de notre indépendance. »
Au cours du meeting dunkerquois, le thème de la nationalisation sera souvent approuvé et repris. Et si le gouvernement estime qu’une telle solution aurait un coût trop élevé, les participants répètent à l’unisson que (financée par des prêts sur des dizaines d’années) elle coûterait beaucoup mois cher que les dégâts causés à l’ensemble de l’économie du territoire (une famille sur cinq, à Dunkerque dépend d’ArcelorMittal), et que le coût de la dépollution d’un site abandonné.
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Pour Fabien Roussel, invoquant la « bataille d’Arcelor », c’est donc « un combat long et déterminant qui s’engage ». Prenant autre autres l’exemple de Valdunes, il souligne que « c’est quand on est uni que l’on peut gagner ».
Le diagnostic sur le marché de l’acier établi rejoint le jeu des questions-réponses lors de l’audition du président d’ArcelorMittal France, Alain Le Grix de la Salle, la veille à l’Assemblée nationale. « Quelle est la part des investissements hors Europe ? » Pas de réponse. « Quid de votre organisation de la délocalisation vers le Brésil et l’Inde ? » Réponse : il n’y a aucune intention, nous n’avons réalisé qu’un test… « Quel est le montant de vos dividendes et de leurs évolutions ? » Je ne sais pas.
Le premier responsable, en France, ne sait pas répondre aux députés français à des questions aussi basiques. La présidente de la commission économique de l’Assemblée nationale conclut : « Les gouvernements libéraux qui se sont succédé ont laissé faire. Ils ont laissé faire le grand déménagement », entendons, la politique de délocalisation vers des pays où la main d’œuvre est moins chère.
À l’aciérie, on regarde d’abord la météo !
La logique démontrée ce 23 janvier à Dunkerque est imparable. Gaëtan Lecocq avait fait un état des lieux du site ArcelorMittal Dunkerque. Il a rappelé le retrait, le manque d’investissements pour maintenir l’outil industriel. Et cela a été confirmé par un représentant des entreprises sous-traitantes désormais marginalisées. Cela explique bien des choses comme les accidents qui se produisent trop souvent sur le site de production. Le dernier en date étant l’incendie sur une bande transporteuse de la cokerie qui aurait pu être évité. L’écume de la souffrance d’un site que les actionnaires abandonnent peu à peu, en retirant leurs investissements, comme ils le font aussi à Fos-sur-Mer.
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Gaëtan Lecocq parvient à susciter les rires de l’assemblée du meeting. Des rires qui font mal à l’estomac bien sûr.
En faisant l’état des lieux de ce qu’est devenu ce grand site, plein de promesses, il y a tellement longtemps, il débute en évoquant l’aciérie. C’est le cœur de l’usine. Pourquoi fait-il rire amèrement : « À l’aciérie, narre-t-il, on regarde d’abord la météo avant de la faire tourner. » Que veut-il dire ? Ici, salle de l’Avenir à Dunkerque, tout le monde comprend. L’aciérie, c’est là que l’on reçoit la fonte et que l’on fabrique l’acier. Le cœur de l’usine. Mais il y a des fuites. Et il y a une fusion. Avec de l’hydrogène. Si de l’eau pénètre dans le convertisseur, c’est la catastrophe assurée. « Alors, on attend la météo. »
Beaucoup de vérités ont été dites ou rappelées lors du meeting de Dunkerque. Détail non anecdotique : ce dernier s’est déroulé dans la salle mythique de l’Avenir, là où les dockers se sont battus durant des décennies pour leur statut.