Depuis hier, lundi 13 mai, un cycle de violence inquiétante s’est enclenché en Nouvelle-Calédonie. L’archipel, grand comme la Slovénie et peuplé par 271.000 habitants, est en proie à un mouvement social et politique d’ampleur du fait de l’examen par l’Assemblée Nationale d’une réforme de son corps électoral. En parallèle des occupations de sites stratégiques comme le port, l’aéroport ou les mines de nickel (première ressource de l’île) par l’USTKE [1], des émeutes et des pillages ont émaillé la nuit calédonienne.
En effet, en dégelant le corps électoral calédonien, le gouvernement enterre le processus de paix qui a permis le vivre-ensemble dans l’archipel pendant plus de trente ans. Contre l’avis du Sénat, qui avait déjà examiné le texte, la majorité présidentielle a fait le choix de passer en force un projet de modification constitutionnelle, sans chercher de compromis avec les forces politiques locales, en imposant un calendrier contraint.
Les accords de Nouméa ou 30 ans de paix sociale
C’est en 1998, après 10 ans de lutte, parfois violente, que Lionel Jospin promulgue les accords de Nouméa qui trouvent un équilibre entre loyalistes et indépendantistes. Ces accords prévoient, sous l’égide de l’ONU, un processus de décolonisation et un référendum sur l’indépendance. Il y en aura finalement trois, tous négatifs. Mais ces accords prévoient surtout le gel du corps électoral pour les élections provinciales : ne peuvent voter que les personnes installées avant 1998, ou dont les parents étaient installés à cette date.
Aujourd’hui, il y a donc un cinquième des électeurs qui ne peuvent pas voter à ces élections, soient 25.000 personnes, toutes non Kanaks, ce que dénoncent les loyalistes pour qui cela induit une surreprésentation des autochtones. Or, les Provinces disposent des principales prérogatives et compétences, ce qui explique la tension autour du fait de savoir qui peut voter. Du côté des indépendantistes, la crainte est de voir dilué le vote Kanak face aux métropolitains.
Une méthode brutale, inadaptée et dangereuse
Mais au-delà du débat à l’Assemblée, ce qui crispe le plus aux antipodes, c’est la méthode : les deux rapporteurs choisis à l’Assemblée sont issus du camp loyaliste, la réforme prévoit une convocation du Parlement à Versailles pour une entrée en vigueur le 1ᵉʳ juillet, les partis et syndicats de l’archipel n’ont pas été associés au travail, etc.
Mais surtout, comme le rappelle Robert Xowie, sénateur indépendantiste Kanak siégeant au groupe CRCE-K, plutôt que de précipiter cette réforme constitutionnelle, il faut entendre « les demandes du FLNKS [2] : retirer le projet de loi et mettre en place une mission de médiation conduite par une personnalité garantissant l’impartialité de l’État ».
Cécile Cukierman de retour de Nouméa
Le congrès de Nouvelle-Calédonie a voté, ce 13 mai, une résolution demandant le retrait du projet de loi réformant la Constitution soumis au vote de l’Assemblée nationale.
Malgré les nombreuses mises en garde, dont celles de trois anciens premiers ministres et de nombreux observateurs locaux, le gouvernement rompt ainsi avec le processus de décolonisation et le droit international, et renie les engagements de la République, embrasant hélas la Nouvelle-Calédonie.
De retour hier de Nouvelle-Calédonie, Cécile Cukierman, Présidente du groupe CRCE-K, alerte également, après avoir échangé avec les différentes forces indépendantistes locales, sur les risques d’escalade des violences si le gouvernement maintient son projet de modification constitutionnelle.