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Plus qu'une fête, l'âme d'un peuple

Le carnaval de Dunkerque

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Mise à jour le 30 mars 2025
Temps de lecture : 7 minutes

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Dunkerque

Retour sur le carnaval de Dunkerque qui anime la ville portuaire et les communes voisines depuis le 11 janvier. 16 semaines débridées pour honorer une tradition culturelle locale.

Les rituels antiques qui marquaient les saisons et évènements naturels récurrents, phagocytés par l’Église catholique, sont, au fil des siècles, devenus jours de fête et ont souvent retrouvé leur caractère originel, païen.

Il en va ainsi des carnavals, associés au calendrier chrétien et se déroulant généralement entre l’épiphanie du 6 janvier et le mardi gras, entre le 3 février et le 9 mars.

Généralement, mais pas toujours. Il en est ainsi du carnaval de Dunkerque, d’une durée de 16 semaines (plus de 3 mois et demi), du 11 janvier au 27 avril cette année et qui déborde allégrement de la ville portuaire pour s’étendre aux communes littorales voisines.

Les Islandais et Jean Bart au-dessus de tout

C’est qu’ici, même si on célèbre Pâques, l’Épiphanie, Mardi gras et tout ce qui permet de faire la fête, on célèbre d’abord ceux qui constituèrent l’âme de la cité, « les pêcheurs à Islande ». Des marins-pêcheurs et un Dunkerquois qui, dans l’ordre divin, arrive juste avant Dieu, le corsaire Jean Bart !

Roturier de naissance, le marin fut anobli par Louis XIV pour avoir notamment sauvé la France de la famine en récupérant cent dix navires de blé capturés par la flotte hollandaise, ce qui mit fin à la spéculation sur le blé qui tomba de 30 à 3 livres le boisseau. Le marin, aux qualités exceptionnelles et au courage qui emportent tout… voilà qui parlait aux « Islandais » qui pêchaient « à » Islande durant 7 mois pour nourrir le pays et parfois n’en pas revenir. On comprend mieux les fêtes débridées qui depuis le XVIIᵉ siècle rythment chaque printemps dunkerquois.

Le prix de la vie

Si aujourd’hui on meurt moins souvent en mer de la pêche qu’il y a encore quelques décennies, la profession est toujours proportionnellement la plus dangereuse. 10 morts et 406 accidents en 2023 ; 5 morts pour 10.000 salariés contre 0,64 pour 10.000 dans le BTP. Cette réalité et la mémoire collective font que dans la cité ouvrière de marins-pêcheurs, de sidérurgistes, de métallos et de dockers, on connaît le prix de la vie et qu’on sait exorciser les peurs.

Pourtant, beaucoup des dizaines de milliers de carnavaleux, les « masquelours », n’ont plus rien à voir avec ces métiers où l’on meurt plus que dans d’autres.

La mémoire encore, qui fait chanter Putain d’Islande : « Depuis trois jou’s, t’es déguisé / T’es maquillé, et t’as picolé / Te v’là à c’t’heure, su’l’point d’parti’ / Cap sur l’Islande, mort aux flétans / Tu vas laisser femmes et enfants / Et p’t’ête mouri’ là-bas su’ les bancs / Pou’ des morues ou des z’harengs / Va dans la bande, pense qu’au présent. » Un chant émouvant, qui résume le carnaval ; avec le parler typique de la ville où le « r » final est escamoté, comme le fait Jean-Paul Rouve dans « Les Tuche »

Hommes et femmes travestis

Et pourquoi se déguiser en femme ? Loin des explications psychanalytiques, les Dunkerquois l’expliquent par le fait que les marins-pêcheurs ayant préparé leurs paquetages, certains prenaient les vêtements de leurs femmes pour se déguiser lors des « foyes » (bringues), payées par l’armateur avant le départ. Il faut se souvenir qu’au XVIIᵉ siècle, les vêtements coutaient chers. Puis la « foye » quitte les tavernes et la fête se répand dans les rues, les familles se déguisent, chantent, dansent et créent la « Visschersbende » (la bande des pêcheurs).

Au fil des siècles et de l’amélioration des conditions sociales, le costume (le clet’che) se diversifiera, la caricature et le grotesque étant souvent recherchés par les hommes tandis que les femmes, souvent travesties en hommes, apportent une élégance qui tranche avec les chansons paillardes entonnées d’un même allant par tous les genres.

Le carnaval ne se regarde pas, il se vit

Le clet’che est l’élément indispensable à tout masquelour : manteau de fausse fourrure, bas résilles, boa fluorescent, chapeau bigarré, maquillage outrancier ou élaboré... ; bricoleur, vous vous fabriquerez un berguenaere (parapluie à long manche). Ce déguisement ne s’achète pas tout fait, chacun élabore le sien, récupère des « fouffes » ou va au marché du samedi se fournir chez les forains spécialisés. Ce qui surprend toujours le visiteur.

Difficile de suivre cette démarche lorsqu’on n’est pas de Dunkerque. Il suffit alors de se grimer a minima, de porter un chapeau bizarre, un boa qui brille… cette simple marque de respect envers les bandes vous fera accepter avec indulgence. Car ici, ce qu’on déteste, c’est être regardé sans participer… et on vous le fera savoir. « On n’est pas au zoo ! » rappellent cette année encore des masquelours qui n’imaginent le carnaval que participatif. C’est d’ailleurs le seul moyen de vous faire inviter dans une « chapelle » si vous n’êtes pas d’une bande.

Witche, witche, witche…

Ici le respect se mesure à votre capacité à partager. Donc à rire, à boire (sans excès), à re-rire, à piétiner en rangs serrés et à chanter. Car il faut faire l’effort de chanter si vous voulez participer. Pas seulement le salut à Cô-Pinard ou la Cantate à Jean Bart, qui conclut le rigodon et qui voit des milliers de masquelours s’agenouiller en chantant « Jean Bart, salut, salut à ta mémoire (...) »

Personne ne vous demandera au début de connaître les dizaines de chants du répertoire carnavalesque. Mais il y a un minimum à respecter, d’autant que pas mal sont faciles à retenir. Pas très fines certes, et compréhensibles malgré le parler dunkerquois, mélange de flamand, de picard et d’anglo-saxon.

Nul besoin d’être linguiste pour comprendre le sens de « Wiche, wiche, wiche / Viens jouer avec mon wiche / Cinq minutes, c’est pas longtemps / Et mon wiche y s’ra content ». Malgré tout, pour que vous ne mourriez pas idiot, l’Office de Tourisme de Dunkerque a publié un « Carnaval pour les nuls » qui vous apprendra tout sur les expressions, les règles à respecter, le dress-code, les lieux sympas, les chants et toutes les dates des bals et sorties qui ne s’arrêteront que dans un mois.

Donc, mononc’, matante, un gros zôt’che et bon carnaval.

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