« C’est pas du vin ! ». La guéguerre fit rage durant 30 ans entre les amateurs de vins pour savoir si les 12 appellations du Beaujolais, à 97 % du Gamay, méritaient de faire partie de la grande famille des pinards.
Jusqu’en 1951, un vrai vin était de garde et les vins primeurs – consommés dès la fin de la vinification – de la vulgaire piquette.
En septembre 1951 paraissait un arrêté interdisant la vente des vins de l’année avant le 15 décembre, empêchant les viticulteurs de commercialiser leur vin et d’en retirer des profits dès la mise en bouteille. Une fronde comme sait en produire le monde viticole faisait rapidement reculer le gouvernement qui, dans une note du 13 novembre 1951 précisait « dans quelles conditions certains vins peuvent être commercialisés dès maintenant sans attendre le déblocage du 15 décembre ».
Le Beaujolais nouveau était né.
Du Beaujol’pif...
Mais la jeunesse du vin, la prédominance du gamay noir à jus blanc, l’assemblage limité à 15 % avec d’autres cépages (Chardonnay, Aligoté, Melon, Pinots, Gamay de Bouze et de Chaudenay) comme sa clarté rosée en faisait un sous-vin, un peu comme il existe des bières de soif dans les grandes marques industrielles et de vraies bières, artisanales. Beaucoup croyaient d’ailleurs que le Beaujolais n’était que du vin rouge allongé d’eau, ce qui n’était pas faux, mais dans d’autres pays européens.
Le Beaujol’pif, c’était le vin qu’on commandait par défaut au restaurant. Pas cher, désaltérant, de quoi donner bonne conscience aux soiffards.
Certains producteurs peu scrupuleux contribuèrent également à cette réputation par l’ajout d’une levure, renforçant le léger goût de banane et destinée à faciliter la vinification afin de pouvoir commercialiser le vin le plus rapidement.
… à un vrai produit de terroir
Conscients de ces réalités, les producteurs s’engagèrent alors dans un effort collectif pour améliorer la qualité des appellations du Beaujolais : le Beaujolais, le Beaujolais Villages, le Brouilly, le Chénas, le Chiroubles, le Côte de Brouilly, le Fleurie, le Juliénas, le Morgon, le Moulin-à-Vent, le Régnié et le Saint-Amour.
Enfin, on sortait de l’impersonnel Beaujolais pour donner à connaître des terroirs, entretenus par des êtres humains, qui cultivaient, cueillaient, assemblaient dans des paysages différents le jus de raisins aux goûts divers.
Ce n’est qu’en 1985 que la fête du vin nouveau fut définitivement fixée au 3ᵉ jeudi de novembre. Dans la même décennie, ce qui n’était qu’une info reprise un peu partout se transforma en mot d’ordre général, national puis international : « le Beaujolais nouveau est arrivé ! ». La moitié de la production part en effet à l’étranger. La tradition est respectée jusqu’en Asie, notamment au Japon et en Corée du Sud qui, compte tenu des décalages horaires, consomment le Beaujolais le même jour que nous, mais avant nous.
Un vin tendance
Des années 80 au début des années 2000, le breuvage connut donc un regain qui retomba, notamment en France, après de nouvelles querelles portant sur la qualité de certaines appellations que certains supposaient trafiquées.
Le Beaujolais retrouva un temps sa réputation de piquette jusqu’à l’apparition d’une nouvelle tendance au vin léger, fruité et prêt à boire.
Hormis les déboires climatiques, les vins du Beaujolais se font donc une nouvelle santé. Leur succès commercial a par ailleurs entraîné un développement des vins de primeur dans les autres vignobles de France, puis dans d’autres pays producteurs de vin, comme l’Italie.
En France, le lancement solennel du vin primeur a lieu, depuis 1988, lors de la fête traditionnelle des Sarmentelles à Beaujeu (Rhône), « capitale historique du Beaujolais », où une procession de brouettes remplies de sarments enflammés précède la mise en perce des premiers tonneaux aux douze coups de minuit.
Le Beaujolais nouveau est incontestablement devenu une fête commerciale. Mais c’est aussi aujourd’hui un moment de mise en avant de la richesse des terroirs du Beaujolais et du travail de l’Homme.
Alors buvons un coup, mais avec modération !