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Dossier

La TVA sociale est la miséricorde de la Sécurité sociale

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Mise à jour le 20 juin 2025
Temps de lecture : 13 minutes

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Santé Sécurité sociale Retraites

Ne pensez pas que la TVA sociale soit une vertueuse mesure destinée à sortir la sécu de l’ornière. Non, la miséricorde dont il s’agit est plus proche de la dague du même nom dont les combattants se servaient jadis pour achever leurs adversaires à terre.

Depuis plusieurs jours, la Sécurité sociale est sous le feu des critiques les plus virulentes.

Une offensive politique contre la Sécurité sociale

La Cour des comptes a rendu le 26 mai son rapport annuel sur les Lois de financement de la Sécurité sociale et constate un déficit prévisionnel avec un résultat négatif attendu de -22,1 milliards d’euros, dont 13 pour la seule branche maladie. La Cour prévoit que le déficit prévisionnel sera supérieur de près de 5 milliards aux estimations. Les hypothèses de croissance étaient trop optimistes. Plus grave, la Cour des comptes pointe un risque inédit de crise de liquidité. La Sécurité sociale pourrait se trouver à court de capacité de financement de ses besoins de trésorerie en raison de déficits cumulés qui excéderaient ses capacités d’emprunt. C’est ce qui permet aux médias stipendiés au service de leurs propriétaires lucratifs de sonner l’hallali d’une institution au bord de l’asphyxie financière. Alors que l’Institution célébrera ses 80 ans le 4 octobre prochain, c’est un bien funeste anniversaire que notre Sécurité sociale s’apprête à fêter.

Avec 40 milliards d’euros d’économies demandées à la Sécurité sociale, le Gouvernement s’apprête à réaliser l’une des plus grandes saignées historiques dans les dépenses sociales. Mais surtout, le Président Macron a engagé les « partenaires » sociaux à envisager une révision majeure des modalités de financement de la Sécurité sociale en utilisant la supercherie de la TVA sociale. Partant du principe que la Sécurité sociale est trop dépendante des revenus du travail, il s’agirait d’augmenter la TVA sur les biens de consommation pour alléger encore les cotisations sociales patronales afin de redonner de la compétitivité aux entreprises. Mesure historique du MEDEF, il a bien évidemment exprimé son vif intérêt. Nous avions d’ailleurs révélé en septembre 2024 dans Liberté Actus la relance de ce mantra du syndicat patronal.

Derrière la manœuvre présidentielle se cache une volonté de jeter le discrédit sur la Sécurité sociale afin de préparer l’opinion publique à la destruction finale de notre modèle social issu de 1945.

Un déficit à relativiser

Il convient pourtant de relativiser le déficit prévisionnel de 22,1 milliards d’euros de la Sécurité sociale. Le déficit public global (État, collectivités et Sécurité sociale) est prévu à 5,8 % du PIB, soit environ 150 milliards d’euros pour l’ensemble des administrations publiques. Le déficit de la Sécurité sociale représente seulement 15 % du déficit public total, soit en proportion du PIB autour de 0,7 %, contre 5,3 % pour l’ensemble des administrations publiques.

Les 22,1 milliards d’euros de déficits sont aussi à mettre en rapport aux 640 milliards d’euros de prestations annuelles des régimes de base soit 2,4 % des sommes en jeu ou l’équivalent de 8 jours de fonctionnement courant de la Sécurité sociale. Par ailleurs, les déficits de la Sécurité ont été divisés par trois depuis 2021.

Des causes structurelles bien identifiées

La cause de ce déficit ne tient nullement à la fraude sociale ou à un dérapage incontrôlé des dépenses.

Il est en grande partie structurel, lié à des dépenses de santé, de retraite et de prestations sociales. Il est aussi largement affecté par des politiques de réduction du coût du travail (exonérations de cotisations).

Il tient, du côté des dépenses, d’une part aux mesures ultra nécessaires et insuffisantes du Ségur de la santé de revalorisation de la rémunération des soignants de notre pays dont la crise sanitaire a démontré la situation et à la revalorisation des montants des prestations de soin dans un contexte d’inflation. Le gouvernement n’a pas financé ces mesures par de nouvelles recettes. S’ajoute à cela la très nette augmentation des soins de ville.

Le piège des exonérations patronales

Le blocage austéritaire des salaires s’est traduit par un très faible dynamisme des entrées de cotisations et des contributions sociales d’autant que les progressions de salaire au voisinage du SMIC ne génèrent quasiment plus d’entrées de recettes complémentaires du fait d’exonérations quasi intégrales de cotisations patronales à ce niveau de rémunération. S’ajoutent à cela que 2,6 milliards d’euros d’exonérations (en particulier sur les heures supplémentaires) ne donnent lieu à aucune compensation depuis que le Président Macron a décidé de mettre fin à la règle de compensation intégrale en vigueur depuis 1994.

S’il existe un déficit excessif des comptes publics, il n’est donc pas à chercher du côté de la Sécurité sociale dont 96 % des dépenses reposent sur des prestations sociales et non des dépenses de fonctionnement.

La part spécifique de l’État (hors Sécu) représente donc la majorité du déficit public.

La situation financière des administrations de Sécurité sociale (ASSO), lorsqu’on les considère dans leur ensemble (y compris l’assurance chômage et les retraites complémentaires), est nettement plus favorable que celle de l’État.

Selon les prévisions de l’INSEE et de l’Unédic, l’assurance chômage (gérée par l’Unédic) prévoit un excédent de +8,7 milliards d’euros en 2025. Les organismes de retraite complémentaire (comme l’Agirc-Arrco) sont également en excédent depuis plusieurs années. En cumulant ces résultats avec ceux du régime général de la Sécurité sociale, les ASSO devraient afficher un excédent global supérieur à 2 milliards d’euros en 2025.

La dette sociale confiée à la CADES (Caisse d’amortissement de la dette sociale) s’élève à environ 140 milliards d’euros. En comparaison, la dette de l’État français dépasse les 3 100 milliards d’euros, soit plus de 22 fois plus élevée.

Une crise de liquidité organisée ?

Alors pourquoi la Cour des comptes pointe-t-elle crise de liquidité d’ici la fin 2025 ?

Depuis 1996, la CADES absorbe la dette sociale à long terme. Mais une part croissante est désormais portée par l’ACOSS (Agence centrale des organismes de Sécurité sociale), qui gère la trésorerie à court terme. Cela crée un déséquilibre de financement : la dette s’accumule sans solution de portage à long terme. Selon Pierre Moscovici, président de la Cour des comptes « la taille du marché sur lequel l’ACOSS se finance pourrait ne pas être suffisante pour absorber un volume d’emprunt aussi important. » Autrement dit, si l’ACOSS doit emprunter massivement pour couvrir les déficits, elle pourrait ne plus trouver de prêteurs ou devoir emprunter à des taux très élevés, ce qui déclencherait une crise de liquidité.

Ce n’est pas la première fois qu’un tel problème se pose et sa solution est le transfert de dette à la CADES qui s’est déjà posée entre 2020 et 2023 avec des déficits exceptionnels générés par la crise sanitaire ; plus de 100 milliards d’euros ont ainsi été transférés dans l’indifférence générale. C’était le quoiqu’il en coûte ! Or, avec 22,1 milliards potentiels de transfert en 2025, le volume de dette ACOSS à reprendre par la CADES est nettement plus mesuré.

Alors pourquoi un tel emballement de la Cour des comptes ?

Simplement car un transfert de la dette suppose d’affecter des ressources nouvelles sous forme de prélèvements obligatoires pour payer des charges d’intérêt aux investisseurs, surtout dans un contexte de remontée des taux d’intérêt. Actuellement, l’amortissement de la dette sociale est financé par la CRDS (impôt jumeau de la CSG au taux de 0,5% qu’acquittent tous les travailleurs du pays), une fraction de CSG (ponctionnée sur les ressources de la Sécurité sociale et donc sur les prestations) ainsi qu’un transfert de fonds en provenance du fonds de réserve pour les retraites. Un nouveau transfert de dette ACOSS devrait par conséquent se traduire par une nouvelle affectation de CSG qui va peser une nouvelle fois sur le pouvoir d’achat des salariés actifs et retraités et réduire les ressources de la Sécurité sociale.

Mais la gestion de la dette de la Sécurité sociale par la CADES est-elle légitime ? Est-il normal de confier l’endettement de la Sécurité sociale, autrement dit ses déficits cumulés, à un organisme financier autonome qui dépend de la finance spéculative internationale ? Pourquoi Alain Juppé, le père fondateur de la CADES, n’a-t-il pas opté par un transfert de l’endettement de la Sécurité sociale à l’Agence France Trésor qui assure l’émission de titres de dette de l’État français ? D’autant que l’endettement de la Sécurité sociale provient quasi exclusivement des décisions politiques de l’État, via ses gouvernements successifs !

Un choix idéologique au service du grand patronat

Le Gouvernement Bayrou, en s’appuyant sur le rapport de la Cour des comptes, mène une campagne de dramatisation afin de préparer l’opinion publique à de nouveaux sacrifices sociaux pour mieux masquer son souhait d’approfondir encore les cadeaux concédés au grand patronat français. Or, c’est bien de ce côté-ci qu’il convient de trouver les causes des déficits de la Sécurité sociale. Les dispositifs d’allégement de cotisations patronales ont atteint en 2024 un record historique faramineux : si l’on cumule l’ensemble des mesures d’exonération et la transformation du CICE en allégement pérenne de cotisations sociales, près de 80 milliards d’euros d’exonérations d’allègements de cotisations ont ainsi été concédés aux entreprises françaises ; 100 milliards si l’on y ajoute les autres mesures d’exemption d’assiette (assurance complémentaire d’entreprise, épargne salariale, etc.).

Les médias se focalisent sur l’assistanat ! Ils devraient donc pointer du doigt les premiers assistés de notre pays : le grand patronat français. Au nom de la chimérique compétitivité des entreprises sur les marchés mondiaux et de la politique de l’offre, la rémunération du travail a connu un choc d’austérité colossal par le biais d’une réduction massive des ressources principielles de la Sécurité sociale : la cotisation sociale. Or, pour compenser ce manque à gagner (partiellement, car une partie des exonérations ne sont plus compensées), les gouvernements successifs n’apportent comme solution que de soumettre les Français à une funeste alternative : soit une augmentation de leurs impôts (la CSG et la TVA sociale demain) soit la réduction massive des prestations sociales, des remboursements de soins et une probable nouvelle réforme des retraites. C’est ce que nous pouvons craindre des récentes annonces de réduction des prises en charge des affections longue durée (ALD) avec comme scénarios envisagés des modulations sur les niveaux de revenus et de respect des prescriptions thérapeutiques.

La TVA sociale, impôt injuste par excellence

Le spectacle autour de la TVA sociale n’est qu’un nouveau coup contre le travail. Rappelons que la TVA sociale existe déjà puisque 28 % de la TVA collectée dans notre pays est d’ores et déjà consacrée à compenser les exonérations de cotisations patronales et qu’elle a démontré son inefficacité économique. La nouvelle TVA sociale consistera à réduire les cotisations sociales patronales et à compenser cette baisse par une hausse de la TVA (taxe sur la consommation).

La TVA est un impôt indirect et proportionnel, donc injuste socialement : les ménages modestes consacrent une part plus importante de leur revenu à la consommation. Cela revient à faire payer la protection sociale par les consommateurs, y compris les plus pauvres, au lieu des employeurs. Et n’espérons pas que les employeurs répercutent ces baisses en augmentations de salaires. Depuis 30 ans que l’on allège les « charges patronales » aucune augmentation des salaires n’a jamais été constatée : les entreprises choisissent évidemment d’accroître leurs marges et privilégient la rémunération des actionnaires.

Vers une privatisation rampante de la protection sociale

La TVA sociale ouvre la voie à une privatisation quasi complète de la protection sociale.

La réduction des dépenses de Sécurité sociale a pour conséquence de nourrir les acteurs présents sur la prévoyance d’entreprise et des assurances complémentaires, eux aussi engagés sur les marchés financiers spéculatifs selon la directive européenne Solvabilité II.

Il est temps de rompre avec ces politiques de régressions sociales et de redonner du pouvoir aux travailleurs et à renforcer leur capacité à influencer les décisions qui les concernent, à défendre leurs droits, et à participer activement à la vie économique et sociale.

C’était le programme des ordonnances de 1945 sur la Sécurité sociale. Revenons-y !

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