Liberté Actus
qrcode:https://liberte-actus.fr/1260

Cet article est lisible à cette adresse sur le site Liberté Actus :

https://https://liberte-actus.fr/1260

Flachez le qrcode suivant pour retrouver l'article en ligne

Évolution des sciences

De l’immunité à l’immunothérapie

Accès abonné
Temps de lecture : 9 minutes

Mot-clé

Santé

L’immunité, ce terme employé à l’origine pour exempter d’impôts une communauté, va s’intégrer au langage médical pour désigner le fait que certaines personnes échappent à une maladie épidémique grâce à leur âge, leur constitution, ou à une inoculation.

À l’exemple de la variole, certaines maladies ne frappent qu’une fois la même personne et lui confèrent une immunité qui l’exempte de la rechute. C’est ce qui poussa les familles régnantes du XVIIIᵉ siècle, dans la crainte de perdre la totalité de leurs descendants lors d’une épidémie, à recourir au pari de la variolisation. Une pratique qui consistait à utiliser les sécrétions d’une variole bénigne pour inoculer leurs enfants. Il faut savoir cependant que le pari était osé, comme le souligne une proposition faite à un père il y a plus de deux cents ans, pour l’inciter à varioliser son enfant. « Grâce à cette inoculation, il y a trois cent soixante-quinze chances de conserver son enfant contre une de le perdre. Et il y a 6 chances sur 7 de le perdre en abandonnant son destin au hasard des dieux ou de la nature. » Sauf qu’au moment de choisir, il fallait parier sans pouvoir revenir en arrière.

C’est à la fin du XVIIIᵉ siècle qu’Edward Jenner, médecin de campagne, adepte de la variolisation, observa que lors des épidémies, les trayeuses qui avaient contracté la vaccine, une dermatose du pis des vaches, n’avaient pas la variole. Autre temps, autres mœurs ?! En mai 1796, il préleva du pus de la main d’une trayeuse infectée par la vaccine et l’inocula à un enfant de huit ans. Risquer la santé d’un enfant du peuple ne semble pas avoir posé problème à Jenner, coutumier de la pratique de la variolisation. L’enfant tomba malade quelque temps, puis trois mois plus tard, résista à la variole que le médecin lui inocula.

En France, à cette époque, la Révolution avait fait place au Directoire et Bonaparte n’était encore que général. C’est quinze ans plus tard, devenu empereur, qu’il fit vacciner son fils contre la variole. Est-ce de cette promotion impériale du vaccin antivariolique qu’on peut dater l’origine d’une nouvelle ère, où la mortalité de la variole passa de 10% à 1% en quelques années ? Rien n’est moins sûr, car l’inoculation de bras à bras multipliait la transmission de l’hépatite et de la syphilis. L’élan fut brisé et les épidémies réapparurent, avec 200 000 décès en France, entre 1870 et 1871. Ce n’est qu’avec la mise au point en 1884 d’un vaccin amélioré que la mortalité baissa jusqu’à l’éradication de ce fléau en 1980.

Après la percée de la vaccination antivariolique, on pourrait être tenté de faire du XIXᵉ siècle, le siècle qui se contenterait d’améliorer les connaissances de l’immunité vaccinale en ne cherchant qu’à découvrir le microbe responsable d’une maladie afin de réussir à créer un vaccin qui la combatte. Il faut dire que la moisson fut extraordinaire et que les noms de Pasteur et de Koch y brillèrent comme des astres dans le firmament. Mais pour avancer dans la compréhension et la connaissance, il fallait déblayer le terrain scientifique des illusions, des superstitions et des croyances. Cela peut sembler loufoque en notre début de XXIᵉ siècle, d’imaginer qu’il suffirait de laisser un tas de chiffons avec quelques graines dans un grenier, pour aboutir à la création spontanée de souris. Ce serait cependant ignorer que cette croyance était déjà ancrée dans les esprits avant Aristote et qu’elle restait une évidence pour les scientifiques du XIXᵉ.

Ce fut Pasteur, lors de ses recherches sur la fermentation, qui balaya la notion de génération spontanée. D’où venaient les agents de la fermentation ? Naissaient-ils de germes semblables à eux ou apparaissent-ils « spontanément » comme le supposait la théorie de la génération spontanée ? En quelques années, Pasteur prouva expérimentalement que les levures qui transforment le vin en vinaigre viennent de l’environnement, que des microorganismes sont responsables des maladies du ver à soie et qu’il mit au point un chauffage bref qui stérilise les liquides alimentaires. Et quand il s’attaque avec succès aux maladies humaines, il a déjà élucidé scientifiquement quelques éléments de l’hérédité, de la contagion, et établi des règles de prophylaxie.

Si la découverte de Jenner reposait sur une circonstance exceptionnelle, à savoir l’existence chez l’animal d’une maladie proche de la maladie humaine, dont l’agent provoque une protection chez l’homme, Pasteur va, par contre, mettre au point pour ses vaccins, une méthode d’atténuation de la virulence des microbes. Reste la rage, une maladie mortelle provoquée par un virus, un élément contagieux totalement invisible pour l’optique de l’époque et qui devra attendre 1960 pour être photographié par un microscope électronique. Pasteur adapte bientôt sa méthode d’atténuation au virus de la rage et, après avoir traité des chiens enragés, un événement va forcer le destin pour le conduire à la vaccination humaine. Qui ne connait l’image d’Épinal du petit Alsacien Joseph Meister, mordu par un chien enragé et traité pendant 10 jours avec des injections de moelles rabiques de moins en moins atténuées. Ce qu’on sait moins, c’est que les répercussions de ce succès furent à l’origine de la création de l’Institut Pasteur.

L’avenir semblait assuré, la science se laissait bercer par les réussites de la vaccination quand la mort du chien Neptune dans le laboratoire de Richet et Portier dévoila la face sombre de l’immunité. Le 14 janvier 1902, Neptune avait reçu une première injection d’actinotoxine extraite de la physalie et une heure plus tard, il gambadait. Le 10 février, alors qu’il est en très bonne santé, il reçoit une injection de la même toxine, et il présente immédiatement des tremblements, des vomissements et meurt en quelques dizaines de minutes de ce que l’on nomma l’anaphylaxie. Jusque-là, l’immunité était considérée comme protectrice, mais peu de temps après la disparition de Pasteur, la découverte de l’anaphylaxie, cette réaction cataclysmique qui survient à distance d’un premier contact, va sortir l’immunité des seuls microbes, pour montrer bientôt qu’elle concerne aussi les cellules du sang et d’autres cellules. L’immunité va pouvoir s’attaquer au cancer !

Si tout un chacun peut s’immuniser avec un germe atténué pour être protégé contre le même gène virulent, les cellules cancéreuses ne sont pas des microbes. Et même si les traces de l’utilisation d’une infection pour combattre une tumeur remontent à l’Antiquité et que le chirurgien William Coley a rapporté la guérison d’un ostéosarcome chez un patient atteint d’un érysipèle, une infection cutanée provoquée par un streptocoque, il ne reste apparemment que l’utilisation du BCG dans le cancer de la vessie non invasif, comme traitement à base de substances microbiennes. Si les cellules cancéreuses ne sont pas comme les microbes, c’est parce qu’elles sont issues de cellules du « soi », et bien que transformées, ce ne sont pas des cellules étrangères, elles n’induisent donc pas de réponse immunitaire.

Il faut dire qu’au fil du temps, les connaissances se sont accumulées. On a découvert qu’il existe deux systèmes immunitaires et que le système inné et le système adaptatif coopèrent « pour le meilleur et pour le pire ». Alors, plutôt que d’utiliser la totalité de la cellule cancéreuse comme on utilise les germes dans la vaccination antimicrobienne, on va essayer de s’attaquer aux protéines des cancers en administrant des anticorps monoclonaux fabriqués spécifiquement en laboratoire pour se fixer sur une protéine nécessaire à la croissance d’une tumeur et l’empêcher de fonctionner. Le rituximab, qui sera approuvé en 1997 pour des leucémies, ouvrira la voie de l’immunothérapie des cancers.

Sauf qu’un blocage existe encore. On se rend compte que les cellules immunitaires sont contrôlées par des systèmes antagonistes de récepteurs activateurs et de récepteurs inhibiteurs. Des mécanismes qui empêchent habituellement que l’immunité devienne pathogène. Il suffira donc de lever l’inhibition pour libérer l’activité des traitements anticancers. Et cette inhibition des contrôles immunitaires sera récompensée par le Nobel, en 2018, pour « la découverte d’un traitement du cancer par inhibition de l’immunorégulation négative ». Elle sera suivie par le Nobel de chimie décerné en 2020 pour la découverte des CAR-T cells (Chimeric Antigen Receptor-T) où l’on prélève les lymphocytes T du patient pour les modifier génétiquement afin de reconnaître les cellules cancéreuses quand ils seront réintroduits dans l’organisme dont le système de défense aura été affaibli par une chimiothérapie.

Depuis, il ne se passe pas de semaines sans qu’on annonce de nouvelles études, de nouvelles réussites thérapeutiques, mais aussi de nouvelles déconvenues. La science progresse par paliers en utilisant de nouvelles technologies pour soulager et guérir. Et les progrès décisifs viennent bien souvent de recherches mésestimées, à l’exemple du vaccin à ARN messager, une technique qui débouchera probablement sur de nouveaux traitements anticancéreux. Il est donc indispensable de subventionner la recherche et la formation des étudiants, cette pépinière de futurs découvreurs.

Sources utilisées : Institut Pasteur, Revue du praticien, Le Quotidien du Médecin

Message d'abonnement

Ces articles peuvent vous intéresser :

Soutenez-nous

Faire un don

En 2024, nous avons bâti un journal unique où les analyses se mêlent à l’actualité, où le récit se mêle au reportage, où la culture se mêle aux questions industrielles et internationales. Faites un don pour continuer l’aventure.