L’affaire qui concernait deux responsables du Syndicat Maritime du Nord, à Calais, est hors normes. D’autant qu’elle s’ajoute à un combat syndical mené à partir de 2012 pour défendre les droits de 200 salariés de la compagnie maritime transmanche SeaFrance.
Rappel des faits : le 9 janvier 2012, le tribunal de commerce de Paris prononce la liquidation judiciaire de SeaFrance. Cette société, filiale de la SNCF, employait alors 872 salariés. Elle opérait notamment sur les lignes transmanche entre Calais et Douvres. Depuis le 30 juin 2010, elle était en redressement judiciaire.
Combat pour le solde des indemnités de 200 salariés
À Calais, deux syndicalistes du Syndicat Maritime du Nord se battent pour les indemnités dues aux marins. Il s’agit de Didier Cappelle et Eric Vercoutre, respectivement secrétaire général du syndicat et secrétaire du comité d’entreprise. Ils s’opposent par ailleurs au rachat de trois navires transbordeurs par la société danoise DFDS (qui opère entre Dunkerque et Douvres). Le syndicat, qui s’opposait alors à la CGT, refuse ce rachat afin de garder ces unités pour une nouvelle compagnie qu’ils voulaient créer sous forme de Scop, My Ferry Link. Cette dernière sera finalement créée avec le soutien de la compagnie Eurotunnel. Elle reprend une partie du personnel de SeaFrance mais elle ne durera que de 2013 à 2015.
Entre-temps, le Syndicat Maritime du Nord souligne que 200 ex-salariés de l’ancienne SeaFrance n’ont pas perçu la totalité de leurs indemnités en raison d’un calcul erroné. Ils attaquent la SNCF en 2014 et s’engagent dans une procédure qui sera longue. Les marins obtiennent gain de cause en 2017. Mais les syndicalistes se lancent dans un nouveau procès, en 2018, pour réclamer une indemnité de retard. La SNCF sera condamnée en 2022 et devra rembourser 20 millions d’euros à l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS).
Sauf que, du côté de la direction de la SNCF, on tente de se défendre en attaquant Didier Cappelle et Eric Vercoutre, ainsi qu’un troisième syndicaliste. Le PDG les accuse de détournement de fonds, d’abus de confiance, d’usage de faux en écriture, d’escroquerie en bande organisée, de corruption active et de recel en bande organisée. On leur reproche aussi l’utilisation abusive d’un bus et des fraudes aux chèques-vacances. Nous sommes entre 2012 et 2013. L’affaire fait grand bruit et discrédite les syndicalistes.
Gardes à vue et contrôle judiciaire
Didier Cappelle est placé sous contrôle judiciaire et tous deux font 36 heures de garde à vue. Des perquisitions ont lieu à leurs domiciles et à ceux de leurs proches. Dix ans plus tard, le tribunal déclare un non-lieu. Mais le mal est fait. Didier Cappelle ne saura rien de l’issue judiciaire. Il est mort en 2015.
Pour autant, Eric Vercoutre, devenu secrétaire général du Syndicat Maritime du Nord (désormais associé à FO) poursuit le combat. Il demande réparation pour préjudice moral et financier. Il réclame 10 000 euros de dommages et intérêts. Le tribunal judiciaire de Lille lui en accorde 1000 ainsi que 2000 euros pour les frais de justice.
Mais surtout, le 26 mai dernier, le tribunal rend un autre jugement condamnant l’État pour « déni de justice ». Il se repose pour cela sur le délai, deux ans et vingt-sept jours, entre le réquisitoire du parquet et le prononcé du non-lieu. Un délai excessif mais qui s’ajoute aux 12 années de procédure concernant les salariés de l’ex-SeaFrance.
Pour Eric Vercoutre, au moins l’honneur de Didier Cappelle, le sien et celui de leur collègue sont-ils lavés.