Liberté Actus
qrcode:https://liberte-actus.fr/920

Cet article est lisible à cette adresse sur le site Liberté Actus :

https://https://liberte-actus.fr/920

Flachez le qrcode suivant pour retrouver l'article en ligne

©LDH
Humanitaires et pratiques d'État

Le laboratoire du pire

Accès abonné
Mise à jour le 11 décembre 2024
Temps de lecture : 7 minutes

Le dimanche 29 septembre, dans Le Journal du dimanche (JDD), le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, déclarait que « l’État de droit, ça n’est pas intangible, ni sacré ».

Choquant, mais pas nouveau. Selon ses besoins, l’État s’assied sur les droits de l’Homme et la démocratie. On l’a récemment vécu lors des manifestations contre la loi El Khomri ou l’épisode des Gilets Jaunes et leurs cortèges de blessés et mutilés à vie. Mais plus insidieuse parce que quotidienne est la violation de ces droits, de Dunkerque à Berck-sur-Mer et, en général, partout où on trouve des exilés et des associations humanitaires qui leur viennent en aide.

C’est l’accablant constat dressé par Ninon Brilloit pour la Ligue des Droits de l’Homme, quelques jours après le déplacement de B. Retailleau sur la Côte d’Opale où il annonçait le renforcement des moyens de police. La LDH a en effet publié un rapport de 150 pages relatant, parfois minute par minute, les atteintes aux libertés perpétrées par la police ou d’huissiers de Justice lors des opérations d’expulsions de réfugiés de leurs tentes, des contrôles d’identité et autres descentes musclées.

Retrouvez le rapport complet de la LDH ici

Après les étrangers, à qui le tour ?

On pourrait se dire qu’il s’agit d’étrangers de passage, donc que ça passera et que s’exprimer sur le sujet fait le jeu du Rassemblement national. Comme si se taire était agir positivement.

Ce serait déjà idiot et c’est oublier que les atteintes aux libertés, comme les politiques antisociales, frappent d’abord « les autres » (pauvres, étrangers, homosexuels, handicapés…) avant qu’on se retrouve à notre tour classés parmi ces indésirables.

On connaît tous le poème du pasteur Martin Niemöller « Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste. […], Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester.  »

Le contexte mis à part — il ne s’agit pas ici de nazis — le message est clair. Toute acceptation de l’oppression vous frappera un jour.

Donc pas juste et, de plus, faux. Car les atteintes aux libertés ne frappent pas que les exilés. Les membres des associations humanitaires, y compris français, sont, eux aussi, victimes de méthodes qui font douter de la légalité des opérations de police.

Criminaliser les associations humanitaires

Emmanuelle Jourdan-Chartier, du secrétariat national de la LDH ; Jeadette Vaillant, de la LDH Boulogne ; Célestin Pichaud, d’Utopia 56, Osmose 62 de Boulogne comme Ninon Brilloit qui a plus particulièrement suivi l’association Human Rights Observers (HRO) devaient tour à tour relater des faits très documentés.

Ainsi, Utopia 56 est visée par trois enquêtes dont une pour diffamation à l’encontre des forces de l’ordre. Les deux autres concernent des appels pour de « fausses situations », mobilisant les secours. Ce que l’association conteste.

Les faits se répétant systématiquement, la LDH se demande aussi dans quelle mesure la Justice (les procureurs représentant l’État) et les Préfets ne sont pas impliqués puisque les nombreux signalements ne sont quasiment pas suivis d’intervention des institutions.

C’est la mise en place de périmètres — qui n’existent légalement pas — pour interdire aux observateurs de jouer leur rôle. Ces entraves s’accompagnent du refus d’indiquer la légalité des interventions. Ici, les représentants de l’État inventent des « réquisitions permanentes » qui justifieraient toutes leurs interventions.

Entre déclarations farfelues et infractions inventées

S’ajoutent les tentatives d’intimidation ; les bénévoles photographiés par des policiers et des escadrons de gendarmerie mobile (souvent extérieurs à la Région) avec leurs téléphones portables pour on ne sait quel usage ; des propos racistes et sexistes ; des contraventions pour des délits inventés…

Ainsi, HRO a été verbalisé 11 fois entre mi-septembre 2023 et mi-avril 2024. Huit des contraventions imputent faussement aux membres d’HRO la commission d’infractions pénales et comportent des indications erronées, comme des numéros de rue qui n’existent pas.

Ainsi le 16 décembre à 13 h 12, pour stationnement dangereux par l’agent n°00319570 alors que l’équipe est stationnée au 54 rue de Bruxelles.

Le 28 décembre 2023, un avis de contravention n°6093870869 pour une infraction à 11 h, rue de marais à Calais pour stationnement très gênant sur un trottoir. À cette heure-là, l’équipe se déplaçait ailleurs, comme en témoignent des vidéos (à 10 h 59) filmant ailleurs le retrait des forces de l’ordre. Et l’adresse sur l’avis de contravention n’existe pas.

Ou encore le 4 septembre 2022, deux verbalisations d’agents différents pour, en même temps, circuler avec un passager arrière sans ceinture et stationner de manière gênante !!!

La hiérarchie mise en cause

150 pages avec des lieux, des heures, des dates, des numéros de matricules, des immatriculations et des photographies ont donc été remis à la Défenseure des droits — Claire Hédon — pour une nouvelle intervention, sans préjuger de suites que pourraient donner les associations aux fausses déclarations visant à les criminaliser.

Déjà, le 5 décembre 2023, celle-ci visant les forces de l’ordre et leurs responsables hiérarchiques, notait que « Ce comportement atteste d’une volonté de dissuader les associations d’exercer leur mission humanitaire auprès des personnes expulsées, ce qui porte atteinte à la liberté d’aider autrui dans un but humanitaire. »

Puisque la hiérarchie a diffusé des consignes invitant les policiers à verbaliser les membres d’associations, la Défenseure des droits recommandait l’engagement d’une procédure disciplinaire et un rappel, dans l’ensemble des commissariats, de l’interdiction d’entraver le travail des associations.

Un rappel pas inutile aux principes républicains.

Message d'abonnement

Ces articles peuvent vous intéresser :

Stéphanie Roza Le féminisme doit rester basé sur des principes universels

Dans les classements internationaux, la France est passée de la 40ᵉ à la 22ᵉ position en matière d'égalité hommes-femmes. Philosophe et spécialiste des idées des Lumières et de la Révolution, Stéphanie Roza y voit un réel progrès même s'il reste encore beaucoup à faire. À l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, elle nous livre sans complaisance ses impressions sur les points noirs du mouvement féministe et de la classe politique.

Soutenez-nous

Faire un don

En 2024, nous avons bâti un journal unique où les analyses se mêlent à l’actualité, où le récit se mêle au reportage, où la culture se mêle aux questions industrielles et internationales. Faites un don pour continuer l’aventure.