Quel regard portez-vous sur la place des femmes dans la société française d’aujourd’hui ?
La société progresse. Le procès Gisèle Pelicot a montré qu’il y a une prise de conscience collective importante sur les questions de genre, sur les violences dans le cadre familial contre les femmes. On ne peut pas nier la prise de conscience chez un certain nombre d’hommes et de femmes de la réalité de ces violences. J’ai l’impression qu’elles sont de moins en moins tolérées. Le regard social a changé sur ces questions.
C’est une évolution qui est arrivée très vite ?
Je pense que cela a commencé dans les années 70, lorsque Gisèle Halimi a défendu une jeune fille qui s’était fait avorter. C’est à partir de là que l’on a commencé à médiatiser la question de l’avortement. Ensuite, on l’a fait pour le viol. À travers de grands procès, dans un contexte d’importantes mobilisations féministes (manifestations, pétitions, organisations nouvelles) on a avancé à partir du moment où ces questions sont arrivées dans le débat public. Désormais, on accuse les agresseurs et on culpabilise moins les agressées. La responsabilité sociale a été inversée, même si tout n’est pas gagné.
Tout n’est pas gagné et le féminisme fait toujours débat…
Il y a des problèmes dans le féminisme ou en tout cas dans une partie du féminisme. Deux affaires me semblent révélatrices. Il y a d’abord la manière dont une partie du mouvement féministe traite la question des violences sexuelles et des viols qui ont été commis le 7 octobre 2023 lors des attaques du Hamas en Israël. On perçoit de grosses difficultés à condamner clairement ces actes. Et avant cette journée du 8 mars, on a constaté toute une polémique autour de la participation à la manifestation du collectif « Nous vivrons ». C’est un collectif de femmes juives sionistes, mais elles manifestent pour le droit des femmes. On a voulu les exclure de cette manifestation et les organisatrices ne prennent pas clairement position. Il y a une concurrence infondée entre la solidarité envers le peuple palestinien et la solidarité envers les femmes agressées le 7 octobre. Or, ce jour-là, il y a bien eu un massacre des femmes.
Vous évoquez un autre aspect qui pose problème au mouvement féministe. Quel est-il ?
C’est l’affaire Julien Bayou, l’ancien député écologiste (Les Verts). Je salue le mouvement MeToo comme un progrès qui a vraiment permis la libération de la parole. Il a permis de mettre en avant un certain nombre d’agressions (cela a d’ailleurs commencé dans le milieu du cinéma avec l’affaire Harvey Weinstein) et de dénoncer les violences faites aux femmes par des hommes moins puissants [que le réalisateur américain - ndlr]. Sans MeToo, le procès Pelicot n’aurait pas eu le même traitement médiatique. Il faut que la parole des victimes soit entendue. En revanche, il faut aussi laisser la justice faire son travail. Or, Julien Bayou a été victime d’une cabale interne [au sein de son parti – ndlr] alors que la justice n’était pas passée. La présomption d’innocence devait s’imposer, ce n’est pas négociable. C’est le propre d’un État de droit. Ce n’est pas ce qu’il s’est passé. Il a finalement été blanchi dans des circonstances exceptionnelles, la procédure judiciaire ayant été classée sans suite pour « absence d’infraction ». Pourtant, la direction des Verts a publié un communiqué du bout des lèvres et des responsables -comme Sandrine Rousseau qui refuse de revenir sur ses accusations- gardent leur position. C’est très grave.
Vous dites que le mouvement MeToo a contribué à faire changer les choses de façon déterminante, à libérer la parole des femmes victimes d’agressions sexuelles. Mais quel est le rôle de la gauche dans cette évolution sociétale ?
MeToo n’est pas un mouvement parti d’un camp politique. Il est parti des victimes elles-mêmes. La gauche l’a soutenu et encouragé, mais j’ai l’impression que c’est une bonne partie de la société qui a changé. Même s’il reste des secteurs où les idées sexistes continuent de prédominer.
Comment considérez-vous les différents regards portés sur les femmes dans des pays comme l’Iran ou l’Afghanistan et les discours qui sont tenus ici sur les tenues vestimentaires ?
Si cela avance ici, il ne faut évidemment pas crier victoire trop tôt. Il y a des pays, comme ceux que vous citez, et bien d’autres, où l’égalité hommes-femmes n’est pas du tout gagnée. Il est clair que l’idéologie islamiste est profondément sexiste et rétrograde sur le terrain du droit des femmes. C’est pour cela que le féminisme doit être universaliste. Je veux dire par là que son discours sur le droit des femmes ne doit pas s’arrêter aux frontières du monde occidental.
Pouvez-vous aller plus loin sur le ou les discours que l’on entend ici à propos du voile islamique qui serait un choix et une liberté ici et une contrainte là-bas…
On constate, dans les pays occidentaux, et donc ici en France, une dépolitisation de la question du voile. En réalité, le voile n’est pas un accessoire de mode ni un bout de tissu contrairement à ce que disent certaines féministes. C’est un drapeau. C’est un vêtement imposé par les islamistes dès qu’ils sont majoritaires quelque part. Dans les pays où ils ne sont pas majoritaires, ils militent activement pour que les femmes le portent parce que cela représente le modèle de société qu’ils souhaitent. Un modèle où les hommes et les femmes n’ont clairement pas le même statut et où le corps des femmes est un enjeu. Évidemment, il ne s’agit pas de dire que toute femme voilée est une militante pour une société comme la société afghane, iranienne, etc. Il y a des militantes, et il y a des femmes en quête spirituelle intérieure, par exemple. Il faut nuancer parce que, à l’échelle individuelle, il y a mille raisons de porter le voile.
Dans votre livre « La Gauche contre les Lumières ? », vous évoquez une critique de l’universalisme qui mènerait, sur le féminisme en l’occurrence, à des discours différentialistes à gauche. De fait, on craint aujourd’hui une montée de communautarismes qui s’opposent à l’universalisme.
Je dirais qu’en France, il y a deux extrêmes droites. Celle que l’on connaît avec le Rassemblement national et Reconquête d’une part, l’extrême droite islamiste d’autre part. Toutes deux jouent un rôle identitaire et fonctionnent en symbiose. Et ça, la gauche n’ose pas trop le dire. Ou plutôt, il y a ceux qui, au PS, le disent et adoptent une attitude claire comme Michaël Delafosse, le maire de Montpellier, ou Carole Delga, la présidente de la Région Occitanie. Il y a ceux dont le discours varie en fonction de leur degré de complaisance vis-à-vis de la France insoumise, comme Olivier Faure. Et puis, il y a ceux qui, comme la France Insoumise, relaient la propagande islamiste. À chaque fois qu’il y a un sujet, ils s’alignent sur les positions des islamistes. Cela a par exemple été le cas lors de la polémique sur l’abaya. Et puis, à gauche, d’autres (les Verts, le PCF), sont un peu comme Olivier Faure. Dans l’ensemble, la gauche, pour dénoncer l’islamisme, est parfois gênée par la peur, légitime, de stigmatiser les musulmans de France. Mais il ne faut pas confondre l’islam et l’islamisme. Par ailleurs, la montée de l’extrême droite peut être paralysante. Mais ne pas dénoncer l’islamisme ne peut qu’aggraver la situation.