À Lille, le Comité des Sans-Papiers du Nord (CSP) a rappelé l’événement en organisant une manifestation le 24 août dernier. Il y a 28 ans, à Paris, les travailleurs sans-papiers s’étaient organisés et avaient décidé de sortir de leur invisibilité. C’était un pas essentiel pour revendiquer leurs droits, passer au-dessus de leur peur quotidienne du contrôle policier, cesser d’être exploités au travail. Cela avait débouché sur un mouvement inédit et par l’occupation de l’église Saint-Bernard.
En 1996, le gouvernement dirigé par Alain Juppé voulait se montrer inflexible en matière de politique migratoire. Fin août, près de 300 personnes, femmes, hommes et enfants occupaient l’église du quartier de la goutte d’or depuis deux mois. Une dizaine d’hommes étaient en grève de la faim. Cette action faisait suite à des manifestations, occupations de lieux publics, grèves de la faim contre le sort de ces travailleurs non reconnus et vivant dans une précarité insupportable. Mais le gouvernement avait décidé de frapper fort en délogeant brutalement les occupants de Saint-Bernard, le 23 août 1996. En forçant une porte latérale à coups de hache, avant d’embarquer les personnes manu-militari, les forces de l’ordre ont créé, involontairement, un symbole qui reste vivace. Le mouvement des sans-papiers était officiellement né.
La grève des Guinéens, à Lille, en 1996
À Lille, soutenue par la Ligue des droits de l’homme et le Mrap, une grève de la faim de Guinéens sans-papiers, parents étrangers d’enfants français, a débouché sur la régularisation de ceux-ci. Ils étaient 14. Plus tard, ce sera le tour de 300 parents d’enfants français. Enfin, une circulaire ministérielle régularise l’ensemble des parents étrangers d’enfants français.
Dans les semaines qui ont suivi, et sur le modèle de ce qui se passait à Paris et dans d’autres grandes métropoles, le Comité des sans-papiers du Nord s’est créé. Depuis, il n’a jamais cessé d’être actif, au contraire. Mais le chemin s’avère particulièrement abrupt. De 1996 (création du CSP59) à 2004, on ne compte pas moins de 13 grèves de la faim et un bras de fer permanent avec la préfecture. Les grévistes reçoivent souvent le soutien de politiques locaux, d’artistes, de personnalités nationales. Le mouvement oscille entre lueurs d’espoir, victoires et déceptions. Lionel Jospin, Premier ministre de juin 1997 à mai 2002, s’était engagé à abroger les lois Pasqua. Plus tard, le ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement publie une circulaire qui, finalement, s’avère décevante. En juin 2003, le préfet Richer est confronté à la douzième grève de la faim des sans-papiers et finit par signer un accord conditionné sur 200 régularisations.
Le 12 mai 2004 est déclenchée la 13ᵉ grève de la faim. Les grévistes mènent leur action chez eux. Elle est suivie par 500 sans-papiers. Du jamais vu. La grève est secrète pour n’être dévoilée que le 2 juin, quand les grévistes se présentent en masse au Centre hospitalier de Lille. Les responsables du CSP59 font l’objet d’intimidations et de menaces de poursuite. Avec le préfet, la guerre est totale.
Près de 500 grévistes régularisés
Les grévistes qui ne peuvent être examinés par les services, débordés du CHR, se rendent à la Bourse du Travail de Lille et s’installent dans des tentes, serrées les unes contre les autres. En 2004, Lille est « Capitale européenne de la Culture ». Le campement fait tache. Il faudra finalement attendre que le ministre de l’Intérieur envoie un négociateur, le conseiller d’État Jean-Marie Delarue, pour parvenir à un accord compliqué. Mais 460 grévistes sont régularisés et 93 d’autres départements bénéficient d’un traitement privilégié. Mais cette victoire n’enterre pas la hache de guerre entre la préfecture (le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy étant de son côté inflexible) et le CSP59 dont on veut voir diminuer l’influence.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Le combat continue et chaque semaine, depuis 28 ans, le CSP59 se réunit en assemblée générale et chaque mercredi soir, il organise un rassemblement des sans-papiers devant la préfecture du Nord avant de défiler dans les rues de Lille. Pour son porte-parole, Saïd Bouamama, les choses ne font que s’aggraver. La récente loi « Asile et immigration » ajoute encore au désarroi des étrangers. « Pour prétendre à une régularisation, c’est un vrai parcours du combattant, dit-il. Il faut prouver que l’on a un emploi depuis cinq ans, fiches de paie à l’appui. Les décisions sont discrétionnaires et les titres sont souvent limités à un an. »
Assignation à la précarité
La précarité est aussi le quotidien des travailleurs sans-papiers qui sont recrutés dans les entreprises de nettoyage ou dans la sous-traitance qui, ce n’est pas rare, utilise des personnes non régularisées pour du travail dans les collectivités publiques.
Les conditions de travail ne sont guère plus au top. Les 15 morts de travailleurs sans-papiers sur le chantier de Jeux olympiques en témoignent.
S’ajoute à cela la dématérialisation qui complique les relations avec la Préfecture. Des personnes qui bénéficiaient d’un titre de séjour d’un an peuvent ainsi retomber dans l’irrégularité, faute de renouvellement dans les délais. Avec perte d’emploi et de logement.
La très longue lutte du CSP est loin d’être achevée. Ce 2 septembre après-midi, ses représentants étaient encore en train de rencontrer le préfet du Nord.