Les organisateurs des États généraux de l’information vous ont contactée suite à vos travaux dans le cadre d’une mission flash à l’Assemblée nationale sur l’éducation aux médias et à l’information. Que pensez-vous des conclusions des EGI ?
Sylvie Merviel : Avec une quarantaine de chercheurs, nous avons écrit un livre, qui sera prochainement publié, en marge de ces États généraux. Je constate, à la lecture du rapport de 300 pages des EGI, le tropisme qui va vers la presse traditionnelle « main stream », avec une sorte de défense corporatiste des journalistes. Mais il occulte le nouveau monde numérique et cette réalité actuelle qui fait que n’importe qui peut aller mettre des contenus sur n’importe quel support et toucher les citoyens tout aussi librement qu’un journaliste, sans respect de la déontologie, sans connaissance de la façon de bien se comporter dans l’échange de l’information. Nous avons voulu mettre un éclairage spécifique sur cet aspect.
On ne peut aller contre les nouveaux outils technologiques
Certains essaient de dire que les écrans sont dangereux pour nos enfants, qu’ils génèrent de la fatigue informationnelle. Mais il est inutile de penser qu’on va revenir en arrière. Donc autant faire avec.
Faut-il se méfier de l’intelligence artificielle générative quand on sait qu’elle peut agir dans deux directions : produire du contenu sans faire d’effort (par exemple un article journalistique), manipuler en imitant et en donnant des informations erronées ?
L’intelligence artificielle est un outil. J’ai travaillé avec les tout premiers générateurs de texte dans les années 80. Ce n’est pas une invention récente. Cela existait avant ChatGPT, sur la base d’une autre technologie qui était plutôt celle des systèmes experts. Par exemple, Jean-Pierre Balpe, qui avait créé des générateurs de romans dans les années 80, avait déjà mis en évidence que ce qui est important, ce n’est pas la production de textes. Ce qui est important, c’est le style qui permet de reconnaître un auteur. Le style se définit par deux composantes essentielles : le vocabulaire, c’est-à-dire les mots qu’il sélectionne et avec lesquels il va travailler, et la syntaxe de ses phrases. Comme le dit Jean-Pierre Balpe, qui est poète, on ne peut pas faire du Baudelaire sans se faire démasquer. C’est la même chose avec l’intelligence artificielle parce qu’elle n’a pas de style. Elle ne fait que copier. L’avenir, pour cette IA, c’est d’avoir chacun un outil individualisé qui va reproduire notre propre style.
C’est possible ?
Bien sûr que c’est possible. Ces outils sont dans un apprentissage permanent. Au fur et à mesure que vous allez les utiliser et vous les approprier, ils vont utiliser votre propre langage et votre façon de vous exprimer. Donc, la production avec tel outil, pour vous, ne sera pas la même que pour moi.
Si je vous comprends, au lieu de craindre un outil comme l’IA, il faut savoir l’apprivoiser et le mettre à notre service ?
Exactement. Aujourd’hui, l’enjeu est de savoir rédiger ce que l’on appelle des « prompts », c’est-à-dire la requête que l’on adresse à l’outil. C’est cela qui détermine la qualité de ce qu’il va produire. Le fait qu’il vous propose un brouillon n’est pas grave. Ce qui est intéressant, c’est de partir de ce brouillon pour travailler dans votre style.
Ces outils qui évoluent seront demain à la disposition des journalistes professionnels qui sont aujourd’hui étudiants. Comment les préparez-vous ?
Ce qu’on défend à l’université polytechnique Hauts-de-France depuis de nombreuses années, c’est justement une maîtrise technologique très profonde. J’ai été conseiller scientifique au ministère des Enseignements supérieurs de la recherche et de l’innovation. À l’époque, de 2007 à 2014, j’ai pu constater que beaucoup de formations dites reconnues en journalisme faisaient dans la reproduction de méthodes de travail actuelles et ne projettent pas sur l’innovation à venir. À Valenciennes, nous formons les étudiants aux nouveaux outils qui arrivent et à être à l’écoute, pendant toute leur carrière, des innovations technologiques. L’enjeu est donc de leur en donner la connaissance et la maîtrise. Et ce, tout en les encourageant à cultiver leur esprit critique et en les invitant à trouver leur propre style, c’est-à-dire leur mode de pensée, leur façon de s’exprimer, leur positionnement dans la société.