« Grâce à vous, Lidl France a été à nouveau élue meilleure chaîne de magasins de l’année 2024. Nous vous en remercions. » L’information, publiée depuis octobre dernier sur le site du groupe, est affichée au-dessus des caisses. Ce jour-là, en sortant de leur magasin de cette petite commune du Nord, les clients étaient invités à revenir le jeudi suivant : un jour (l’Ascension) pourtant férié. Désormais, ce sera vrai également chaque dimanche matin pour l’ensemble des 1 550 magasins en France. Les 46 000 salariés n’auront pas le choix et devront se conformer à une pratique qui s’est répandue dans l’ensemble de la grande distribution. Jusqu’ici, de nombreux magasins Lidl y échappaient encore.
Les clients qui se sont fidélisés à cette enseigne populaire ont-ils conscience du changement qui s’opère et, surtout, de la condition des salariés qui les servent ? Rien n’est moins sûr, même si ce sont eux qui sont appelés à voter pour classer la qualité de leur magasin. Le confort et la souplesse dont ils bénéficient semblent naturels. Mais l’enseigne allemande, dont on oublie qu’elle est arrivée en France il y a plus de trente ans, avec un label dont elle ne veut plus entendre parler, celui de « hard discount », doit faire face à la concurrence. Celle de Leclerc ou de Carrefour notamment. Lidl veut aussi se recentrer sur l’alimentaire. Mais pour les salariés, la dégradation des conditions de travail n’est plus supportable. Après un mouvement de grève lancé en février dernier, les syndicats sont repartis sur une nouvelle action le 15 mai. Ils centrent leur stratégie sur une grève perlée illimitée sur les jours où se réalisent environ 60 % du chiffre d’affaires : le jeudi, le vendredi, le samedi et le dimanche.
Conditions de travail, performance et travail le dimanche
Ce choix n’est pas anodin, d’autant que « les promotions sur les articles commencent le jeudi, et non plus le mercredi », souligne Peggy Bridoux. Coordinatrice Accueil clients, elle n’en est pas moins polyvalente. Déléguée CGT, elle assure avec une collègue la défense et l’assistance des salariés sur la direction du Nord (52 magasins répartis entre Dunkerque et Saint-Amand). Sur la totalité du territoire, il y a 25 directions régionales.
Nous vous en parlions

En février, elle était bien sûr sur le terrain pour exposer les revendications de l’intersyndicale (CFTC, CGT, CFDT et FO). Elle est plus que jamais présente aujourd’hui. Mais sur le plan professionnel, elle est sans illusions sur une montée en grade dans la hiérarchie. Non pas que ce soit impossible, mais cela n’en vaut pas la peine au vu de son ancienneté. Elle adore pourtant son métier et le contact avec la clientèle. Mais comme la plupart des salariés, elle dénonce des conditions de plus en plus dures.
« Nous n’attendons rien en termes d’augmentation salariale. Tout est bloqué depuis les dernières NAO et nous avons obtenu très peu. En revanche, nous nous battons sur trois revendications essentielles : les conditions de travail, le système de performance qui est trop exigeant, le travail du dimanche et des jours fériés. »
La performance : c’est le point qui ressortait en priorité lors du mouvement de février et sur lequel la direction ne bouge pas plus que sur les autres. La CGT Lidl France l’a exprimé, en vain, dans un courrier adressé dès le 2 mai au président du comité exécutif, John-Paul Scally. « Vous avez prévu une hausse démesurée de la performance, ce qui entraîne un manque de moyens évident pour satisfaire notre clientèle, appliquer concrètement les procédures Lidl et protéger les salariés. » écrit ainsi Thierry Chantrenne de la CGT pour Lidl France.
Stress, mal-être, travail bâclé…
Les salariés se plaignent de stress, de mal-être, d’un sentiment de travail bâclé, de fatigue physique et mentale, d’un management directif, de convocations en recrudescence et de reproches quotidiens de la part des responsables et de la clientèle.
Peggy Bridoux le vit chaque journée de travail, pour elle-même et aussi à travers les sollicitations qu’elle reçoit des salariés qui n’en peuvent plus. « Ma journée commence à 6 h 00, raconte-t-elle. Il faut arriver un peu avant pour se préparer et s’équiper pour la sécurité. » Elle prépare ensuite les rayons jusqu’à l’ouverture des portes à 8 h 30. « J’ouvre en fait à 8 h 25. Ensuite, je me tape les palettes parce que les autres employés sont en caisse ». Bien sûr, cela s’ajoute à ses attributions voulant qu’elle gère le travail et l’organisation des caissiers et caissières (temps de pause, demande de renseignements pour un produit, etc.).
Mais le travail de manutention demande un rythme et une énergie qui s’amenuisent avec l’âge. À 49 ans, Peggy accumule les pathologies : épicondylite douloureuse (qui se concentre sur le coude suite à des lésions des tendons des muscles de l’avant-bras), tendinite, pincement dans les cervicales, syndrome du canal carpien, ayant nécessité une intervention chirurgicale. Et puis, il faut compter avec le froid, le chaud et l’humidité. La mise au frais des produits, le rangement dans les rayons, etc. n’y sont pas pour rien.
La lutte continue
« Ce n’est pas tant le fait de porter des colis lourds qui me fait mal, ce sont les gestes répétitifs. » Évidemment, on lui demande de ne pas porter les cartons au-dessus des épaules. « Mais quand on mesure 1m55 et qu’il faut saisir des boîtes en hauteur, comment je fais ? »
De nombreuses inaptitudes sont déclarées par les membres du personnel. Encore faut-il avoir le temps de consulter. Car aller voir son médecin traitant implique une demande d’absence ou un retard au travail. Et cela peut conduire à une convocation dans le bureau de la direction. On en ressort au mieux avec des reproches, au pire avec des avertissements.
Enfin, le port d’un casque sur les oreilles pour les personnes en caisse n’est pas qu’un élément positif. « On s’échange des choses qui ne sont pas toujours agréables les uns pour les autres. On peut se moquer, railler… » Voire faire de la délation. C’était pire lorsque fonctionnait un groupe WhatsApp qui est aujourd’hui fermé. Ces dérives amènent encore plus de tensions. Et cela s’ajoute à la culpabilisation pour des salariés qui regrettent de n’avoir pas les moyens de mieux accomplir leurs tâches. Le manque d’effectifs (6 à 10 personnes par équipe dans un petit magasin, parfois 2 à 3 au moment de fermer) accroît ce sentiment.
Pour Peggy, ces tensions ont mené à un burn out. Aujourd’hui, rien ne la fera renoncer à la lutte. La grève continue.