Comme la plupart des salariés de Walor, Fabien Pinçon vit mal le traumatisme de ces derniers mois. Ce technicien d’atelier de 40 ans, secrétaire de la CGT sur le site de Bogny-sur-Meuse, fait partie du personnel qui a été repris par Forgex France. Mais le combat, s’il n’est pas le premier, s’est avéré très rude.
Walor est une entreprise spécialisée dans la production de bielles pour l’industrie automobile. Elle est répartie sur deux sites : celui de Bogny-sur-Meuse, spécialisé dans la bielle pour véhicules légers et poids lourds, et celui de Vouziers, à 1 h 30 de là, qui réalise l’essentiel de son chiffre d’affaires dans l’usinage de bielles pour poids lourds. Il est le plus grand employeur de Vouziers.
Jusqu’en août dernier, les deux unités employaient un peu plus de 230 salariés. Un chiffre qui était tombé à 225 (125 à Bobigny et une centaine à Vouziers) après des départs volontaires.
Au creux de l’été, l’ombre d’une liquidation judiciaire commence à planer sur Walor. Alors que la production a déjà chuté drastiquement, passant en un an de 8 000 pièces par semaine à 1 700, une baisse de 50 % des commandes est annoncée. Les discours rassurants de la direction des ressources humaines ne calment pas les inquiétudes du personnel qui craint un plan social. Dans cette perspective, il se met en grève, sur les deux sites, à partir du 23 septembre, à l’appel de la CGT et de la CFDT.
Manque de diversification et d’anticipation
C’est que l’histoire de Walor leur a appris à se méfier. Fin 2018, le métallurgiste avait repris les ex-ateliers des Janves à Bogny-sur-Meuse et d’AMI à Vouziers. Ces derniers étaient alors en dépôt de bilan. Mais en novembre 2023, Walor est racheté par le groupe allemand Mutares. Fabien Pinçon avoue en vouloir beaucoup à ce dernier. « C’est un fonds d’investissement. Il n’a rien fait pour anticiper l’avenir et diversifier notre production. Aujourd’hui, on nous dit que le marché du poids lourd est en baisse et que la fin annoncée du moteur thermique est une réelle menace pour notre avenir. »
Le syndicaliste voit dans ces propos à la fois des prétextes et un défaut de vue à long terme. Malgré leur savoir-faire, rien n’a été réalisé, par exemple, pour adapter les sites à la transition écologique. Il pointe les investissements réalisés par le groupe au Mexique, aux États-Unis (Chicago) et en Chine. À la CFDT, son collègue Bruno Bodson explique qu’il est urgent de négocier des propositions extralégales avant une liquidation éventuelle.
Les craintes sont d’autant avérées que les deux sites ont mis en place du chômage partiel depuis la crise du Covid. Ces mesures ont été amplifiées à partir de juin dernier.
Quoi qu’il en soit, Walor recherche un repreneur. Un seul candidat va se présenter : le groupe Forgex-France qui va déposer une offre le 25 octobre pour les deux sites. Le projet sera accepté par le tribunal de Commerce de Sedan et la reprise est effective depuis le 25 novembre.
Forgex France (220 salariés et un chiffre d’affaires de 47 millions d’euros) appartient au fonds d’investissement Forgex Group dirigé par Hugh Aiken. Son siège social se trouve à Monthermé (Ardennes) où il emploie 130 salariés dans une usine de forgeage à chaud de pièces métalliques pour les poids lourds, le ferroviaire et le matériel agricole. Il possède une deuxième unité à Nogent (Haute-Marne) où il emploie 90 personnes.
Négociations au rabais
Le repreneur propose de mettre en place des synergies avec les unités de Walor. « Notre projet est purement industriel » promet-il. Pour autant, au moment de l’annonce de l’entreprise, les salariés de Walor ne décolèrent pas. Ils ont même repris la grève le 13 novembre, provoquant la colère de la direction qui les a accusés de séquestration et leur a fait évacuer les bureaux de Bogny-sur-Meuse par les forces de l’ordre. « En fait, explique Fabien Pinçon, nous voulions juste négocier les indemnités de départ et les conditions d’accompagnement du personnel licencié. »
Ces négociations ont été particulièrement âpres. « Nous sommes même allés à Bercy où nous avons été reçus avec bienveillance », affirme-t-il. « Tout au long du conflit, nous avons été soutenus par les parlementaires locaux et le maire de Bogny-sur-Meuse ». Mais dans les Ardennes, la direction s’est tout de suite montrée très avare. « Nous réclamions 18 mois de salaire et 2000 euros par année d’ancienneté », raconte-t-il. Les propositions de Walor étaient bien au-deçà. « Au départ, c’était zéro. Puis, de réunion en réunion, elle nous a proposé une prime de 1500 euros, puis 2500 euros. » Finalement, elle est montée à 7000 euros pour la prime extra-légale et 4000 euros pour un parcours de formation ou une création ou reprise de commerce. Les salariés du site de Bogny-sur-Meuse ont refusé de signer l’accord majoritaire collectif. Contrairement à ceux de Vouziers, ils perdent quelques avantages et ne peuvent contester devant les Prud’hommes.
Au bout du compte, 102 salariés ont été licenciés, dont 30 à Vouziers et 72 à Bogny-sur-Meuse. Certains ont trente ans de boîte. Les reclassements, comme les formations, ne s’annoncent pas faciles.
« À présent, concède Fabien Pinçon, il faut laisser le temps à Forgex-France de faire ses preuves sur les sites repris. » Mais pour lui, les choses ont failli très mal commencer. Un peu plus de 24 heures après le redémarrage de l’activité, Forgex lui a adressé une convocation en vue de mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement. Fort heureusement, la direction vient de renoncer à ses représailles.
À plus long terme, le syndicaliste ne cesse de s’inquiéter. Sur les deux clients importants que sont Renault et Stellantis, le premier se retire à partir de 2025. La mise en place d’une politique de diversification est plus urgente que jamais.