Le choix de Grande-Synthe, pour mener l’action de la CGT, n’est pas anodin. Ce triage pour le fret ferroviaire a longtemps été le plus important de la région. « C’était un triage à gravité », précise Xavier Wattebled, secrétaire régional CGT des cheminots. En d’autres termes, on y formait des trains à partir de wagons isolés. Avec trois wagons par jour, on pouvait former un convoi.
Quand on sait qu’un wagon représente le contenu de 50 camions, on comprend l’intérêt pour désengorger le réseau routier et autoroutier, diminuer le taux d’accidentologie, œuvrer en faveur de l’environnement en allant dans le sens du Plan climat. Or, depuis 2020, cette technique (la gravité) a été supprimée pour des raisons de rentabilité.
La libéralisation et l’ouverture à la concurrence choisies par l’État et la direction de la SNCF menacent de fait l’activité de Fret SNCF. Localement, c’est d’autant incompréhensible, explique Xavier Wattebled, que « l’arrivée de gigafactories dans le Dunkerquois pour produire des batteries électriques destinées à l’industrie automobile va générer beaucoup de trafic qui s’ajoutera à celui existant. On devine l’encombrement que ce trafic promet de générer sur l’autoroute A 16, entre Boulogne, Dunkerque et la Belgique, et sur l’autoroute A25 entre Dunkerque et Lille. »
Un « scandale d’État »
Les entreprises ferroviaires privées ne s’intéressent qu’aux marchés rentables. Leur préférence va plutôt aux trains complets qu’aux petits convois. Mais si l’on en croit l’expérience vécue par ArcelorMittal, à Dunkerque, leur bilan n’est pas toujours positif. Pour preuve, le sidérurgiste est revenu chez Fret SNCF après avoir utilisé les services d’un transporteur ferroviaire privé.
Outre l’ouverture à la concurrence qui a été lancée en 2006, Fret SNCF doit faire face à un véritable plan de casse. La CGT va jusqu’à parler de « scandale d’État ». Les faits sont aberrants et remontent au 18 janvier 2023, lorsque la Commission européenne ouvre une procédure d’examen contre l’État français concernant le soutien financier dont Fret SNCF aurait bénéficié entre 2007 et 2019. Elle dénonce une « aide illicite ». La procédure de la Commission fait suite à plusieurs plaintes d’opérateurs ferroviaires. À terme, elle demande le remboursement par Fret SNCF de 5,2 milliards d’euros. Autant dire que c’est la mort de la branche ferroviaire de la SNCF.
Si l’Europe donne un délai de trois ans au gouvernement français, ce dernier s’est pourtant empressé de négocier un « plan de discontinuité » avec Bruxelles. Ce plan prévoit notamment de créer une nouvelle société (provisoirement nommée « New Fret ») au 1er janvier 2025. Mais il s’agirait aussi de rendre plus de 20 % du trafic aux concurrents ferroviaires. Pendant 10 ans, l’opérateur public ne pourrait plus se positionner sur les marchés perdus.
Viser une part modale de 25%
Après 20 ans, le modèle de libéralisation du fret ferroviaire n’a pas fait ses preuves. Au contraire, explique Xavier Wattebled, « les fermetures de triages et de dessertes accompagnées de réductions de personnel ont affaibli les capacités productives de Fret SNCF et dégradé les conditions sociales de vie et de travail des cheminots. »
La part modale du transport ferroviaire, sur l’ensemble des marchandises transportées en France et tous opérateurs confondus, est passée de 14,6% en 2009 à 10,7% en 2021. Fret SNCF assure la moitié de cette part tout en ayant perdu, sur cette période, plus de 10 000 emplois.
Aujourd’hui, l’affaiblissement de Fret SNCF va encore s’aggraver avec l’arrivée sur les routes des mégatrucks, des camions de 60 tonnes dont la circulation a été autorisée par Bruxelles.
Au cœur de son action syndicale, la CGT des cheminots réclame un abandon du plan de discontinuité. Elle demande par ailleurs que Fret SNCF soit déclaré « d’utilité publique au service des besoins de la nation ». Elle propose de fixer un objectif de 25% de part modale pour le ferroviaire en 2050. Enfin, elle réclame un fléchage précis du plan de 100 milliards d’euros dédiés aux infrastructures ferroviaires et annoncé en mars 2023 par la Première ministre d’alors, Élisabeth Borne.