Dans la métropole lilloise, par exemple, ils sont environ 200 salariés regroupés ce vendredi matin 7 février devant l’entrepôt Lidl de la Chapelle-d’Armentières, l’un des 26 en France. Le feu des palettes a du mal à les réchauffer, alors que le thermomètre ne dépasse pas les 4 degrés. La température est à l’image du climat social qui règne dans l’enseigne de distribution allemande qui s’est développée en France à partir du milieu des années 1990. Sur la pancarte brandie par un syndicaliste, on peut lire : « On est mal Patron ! »
Ce n’est pas nouveau. Si les bas prix font la réputation du groupe, les mauvaises conditions de travail ne sont pas en reste. L’évolution du modèle de « hard discount » vers une meilleure qualité et une modernisation des magasins n’a pas amélioré la vie des salariés, bien au contraire.
L’arme de la grève a bien sûr été utilisée à plusieurs reprises, notamment à l’occasion de conflits locaux. Mais cette fois, l’enseigne vit un épisode inédit avec une grève déclarée « illimitée » sur le territoire national et déclenchée, pour la première fois, par une intersyndicale composée de la CFDT (majoritaire), de la CGT, de FO, de la CFTC et de la CFE-CGC. Seul le syndicat Unsa a refusé de se joindre au mouvement.
Une négociation obligatoire qui n’aboutit pas
C’est la négociation annuelle obligatoire (NAO) qui a mis le feu aux poudres. Une réunion a eu lieu en janvier et deux autres en février. La dernière, ce mercredi 5 février, n’a permis aucun accord. « La direction de Lidl France nous propose une augmentation salariale de 1,2 % et demeure bloquée sur ce chiffre. Pour une caissière ou un préparateur, cela représente une augmentation de 17 euros nets seulement », dénonce Peggy Bridoux, déléguée CGT. Les salariés demandent une progression de 2 %.
Actuellement, le salaire mensuel d’une hôtesse de caisse (ou caissière) s’élève à 1200 euros net pour un horaire hebdomadaire de 30 heures. Avec 20 ans d’ancienneté, un poste de cheffe de caisse et un horaire de 35 heures, Peggy Bridoux gagne 1900 euros net. Son collègue Fabien, préparateur de commandes, est payé 1600 euros net pour 35 heures. Même salaire pour Marion, qui est cheffe de caisse avec un horaire de 30 heures hebdomadaires.
Les primes d’intéressement et de participation n’améliorent plus les revenus. « Depuis cinq ans, la direction a abandonné la notion de productivité, calculée sur le chiffre d’affaires, au profit de la ’’performance’’ basée sur le nombre d’articles vendus. Avec la hausse des prix, nous vendons moins. Conséquence, les salariés ne touchent plus d’intéressement. Quant à la participation, elle a énormément diminué. » Sa collègue, à la CFDT, confirme : « Dans le modèle précédent, nous pouvions toucher chaque année l’équivalent d’un mois de salaire supplémentaire. »
Avec ou sans ancienneté, les 42 000 salariés employés dans les 1600 magasins en France sont très mécontents. « Leur moyenne d’âge est de 30 ans et le turnover atteint 30 %, c’est énorme », commente Fabien Kibler, délégué CFDT.
Management brutal
Car, précisément, le niveau salarial n’est pas tout. Les conditions de travail et l’ambiance imposée par la direction sont d’autres griefs qui hérissent les représentants des salariés. D’abord, Lidl souhaite généraliser l’ouverture des magasins le dimanche matin. « Cela fait l’objet d’un chantage pour les caissières qui souhaitent passer aux 35 heures. Il leur faudra signer un avenant à leur contrat de travail qui leur imposera le travail dominical. » De quoi casser une lutte syndicale. La direction dit proposer une majoration de 50% pour les heures travaillées le dimanche. Elle propose également d’exonérer d’ouverture le dimanche une centaine de magasins, au maximum.
Autre revendication non satisfaite : les tickets restaurants. « Nous les réclamons en vain depuis des années », assure Peggy Bridoux. Au départ, la direction parlait de les accorder en les assimilant à une augmentation de salaire. Inacceptable. Aujourd’hui, ce point n’apparaît même plus dans ses propositions.
Enfin, le type de management mis en œuvre par le président de Lidl France, John-Paul Scally apparaît particulièrement brutal. Dans les magasins, ajoute Peggy Bridoux, il n’y a plus de communication entre les salariés parce qu’elle est tout bonnement interdite. « Nous ne pouvons prendre nos pauses que de façon individuelle et, lorsque nous préparons une palette (mise en place des produits dans les rayons) nous ne pouvons plus travailler en binôme. » L’isolement des salariés semble la règle. Autre règle enfin : la polyvalence. « Nous devons tout faire. Comme le nettoyage ou la manipulation des articles et la mise en rayon. Cela n’est pas sans conséquences sur la santé, avec des douleurs dorsales, des tendinites ou autres pathologies. »
À Paris, la direction mise beaucoup sur l’embauche de jeunes. « Cela n’empêche pas les démissions dues aux mauvaises conditions de travail », observe la CFDT. Entre 2023 et 2024, 2200 salariés sont partis et n’ont pas été remplacés.
Reste à savoir quel sera l’impact de cette grève. Ce 7 février, tous les magasins n’étaient pas fermés, loin de là. C’est que, explique un syndicaliste de la CFE-CGC, très peu de cadres sont en grève. Et ils ont été appelés en renfort pour maintenir l’activité. Ce vendredi soir, la direction de Lidl aura tout de même à faire le point sur l’impact de cette journée. Et de décider dans quel esprit elle va reprendre – ou non – le dialogue.