En 2017, Marie et Cyril Jollivet reprennent l’entreprise à Pierre Dubarry, figure historique de l’agroalimentaire local. À l’époque, l’entreprise compte 75 salariés, produit trois millions de boîtes de foie gras et réalise 11 millions d’euros de chiffre d’affaires. Les nouveaux propriétaires parlent alors d’une « belle endormie à réveiller ».
D’une reprise prometteuse à une vente express
Ils misent sur le marketing et la réduction des coûts, notamment via une baisse de qualité des produits (hors foie gras), mais négligent les investissements structurels. La crise du Covid agit comme un accélérateur temporaire des ventes, notamment auprès des collectivités. En 2020 et 2021, les résultats s’envolent.
Mais derrière les apparences, l’entreprise s’épuise. En 2023, les Jollivet vendent Ducs de Gascogne pour 17 millions d’euros à Bio Conquête, rebaptisé Quaterra, via un LBO (Leverage Buy-Out). L’entreprise rachetée doit alors rembourser la dette contractée pour son propre achat.
Quaterra se présente comme un groupe agroalimentaire innovant, piloté de loin par Frédéric Jousset, ex-dirigeant de Webhelp. Mais rapidement, l’absence de vision claire se fait sentir à Gimont. Hésitations stratégiques, perte d’identité, départs en cascade.
La promesse de synergies entre filiales vire à l’absurde. Les coffrets gascons se voient imposer des pots de moutarde ou de confiture produits ailleurs. Résultat : un désalignement total avec l’image gastronomique de l’entreprise, un coin enfoncé dans la crédibilité de la marque.
En un an, les effectifs passent de 100 à 70 salariés, plus 40 saisonniers. Plus de 30 départs volontaires sont enregistrés. L’activité tourne désormais au ralenti. Trois offres de reprise sont à l’étude, mais aucune ne permettrait de préserver l’ensemble des emplois.
Le capitalisme financier en accusation
Dans le Gers, la situation fait réagir. Joël Rambeau, membre de la direction départementale du Parti communiste français, livre une analyse sans détour : « En quelques années l’entreprise Ducs de Gascogne est passée d’un capitalisme traditionnel familial au grand bain des fusions-acquisitions orchestrées par des fonds de LBO, achetant des entreprises à crédit pour les revendre avec une forte plus-value financière après avoir taillé dans l’emploi. Le précédent propriétaire Cyril Jollivet a engrangé une spectaculaire plus-value en revendant l’entreprise à Quaterra sans avoir investi pour assurer son avenir. Et maintenant, le nouvel actionnaire majoritaire et ses partenaires, le fonds de placement suisse Quadia et le groupe financier belge Degroof Petercam, en font payer le prix sans état d’âme aux salariés et au territoire. »
Un savoir-faire régional en péril
Il reste un nom, une histoire, un savoir-faire gascon. Mais la dynamique industrielle, elle, est sérieusement affaiblie. Ducs de Gascogne, qui aurait pu se développer en s’appuyant sur sa renommée et les compétences de ses salariés, est devenue le symbole d’un modèle économique où les territoires et les travailleurs servent de variables d’ajustement à des logiques spéculatives.
Le tribunal de commerce doit statuer dans les prochaines semaines. À Gimont, l’inquiétude domine. Et avec elle, le sentiment amer d’un gâchis évitable.
Face à cette impasse, les communistes avancent des solutions précises pour un redressement durable, fondé sur les compétences des salariés et la relance de la production. En premier lieu, il est question de mobiliser les savoir-faire internes : les salariés doivent pouvoir construire leur propre stratégie industrielle, avec un appui à l’innovation, au développement de nouveaux produits, à la montée en gamme et à la relocalisation des liens avec les agriculteurs locaux.
Pour le PCF, il faut ensuite pointer les véritables responsables de cette situation. L’actionnaire milliardaire Frédéric Jousset, doit être contraint de participer au redressement en apportant des fonds, au lieu de viser des retours sur investissement exorbitants. Toutes les subventions publiques ou soutiens passés doivent être rendus transparents et réorientés en bonifications d’intérêt ou en prêts à taux zéro, conditionnés à la préservation de l’emploi et à la création de valeur ajoutée locale. La Banque publique d’investissement pourrait jouer un rôle clé en apportant des fonds propres, des garanties et des crédits ciblés.
Il ne s’agit pas de sauver un nom pour la nostalgie. Il s’agit de préserver un tissu industriel vivant, une fierté locale et un avenir pour 70 familles. Cela suppose un choix politique clair : mettre les moyens publics et privés au service du travail, et non d’opérations spéculatives qui tuent emplois, savoir-faire, qualité et traditions.