Les origines de l’Association française professionnelle pour adultes (Afpa) remontent à 1946. C’est le 9 novembre de cette année que le ministre communiste du Travail Ambroise Croizat a signé le décret de sa création. L’Afpa succédait à l’Association pour la formation professionnelle de la main d’œuvre (Afpmo) créée un an plus tôt. Forte des principes élaborés par le Conseil national de la résistance (CNR), elle prévoyait la gratuité de la formation professionnelle des chômeurs et, plus tard, des salariés en reclassement.
Mais les choses ont changé et l’Afpa ne fait pas exception aux attaques contre les acquis du CNR. Devenue établissement public (Epic) depuis 2017, sous la double tutelle du ministère de l’Économie et du ministère du Travail, elle fonctionne désormais avec des contrats d’ordre privé.
Un Plan régional de formation qui se tourne vers le privé
« Notre cœur d’activité essentiel, explique David Ringeval, secrétaire régional CGT, c’est le marché du Plan régional de formation (PRF), financé par le Conseil régional. Tous les quatre ans, il y a un appel d’offre sur lequel se positionnent tous les opérateurs de formation, publics comme privés pour les quatre années à venir. »
Les résultats du dernier appel d’offre viennent de tomber. « Il y a quatre ans, nous avions déjà subi une forte tempête, cette année, nous nous apprêtons à un tsunami. » Les centres de formation de l’Afpa perdent la majeure partie de leurs marchés de formations dans les domaines de l’industrie, du tertiaire et des services. Par exemple, au centre de Laon (02), sur huit formations qualifiantes, il en reste une seule. L’emploi de 20 formateurs est menacé. Sur l’ensemble des Hauts-de-France, la direction de l’Afpa parle de 60 emplois concernés. À la CGT, on dit ne pas avoir la même lecture et on craint le double.
Comment en est-on arrivé là ? David Ringeval a construit un tableau édifiant de la situation dans la région, centre par centre. Pour celui de Cantin, par exemple, le Plan régional de formation avait requis 361 formations en 2021. Il n’y en a plus que 285 cette année. Entre autres, les formations qualifiantes de couvreurs zingueurs disparaissent de la liste. Est-ce à dire qu’il n’y a plus besoin de couvreurs-zingueurs ? Pas du tout. Les formations sont parties dans le secteur privé des branches professionnelles financées par le patronat.
À Arras, Dunkerque, Lomme, Liévin, Calais, Hazebrouck ou Valenciennes, de nombreuses formations ont également disparu des carnets de l’Afpa. Pourtant, ces formations qualifiantes, comme les Titres professionnels (équivalents de CAP-BEP) sont reconnus.
L’Afpa a perdu la priorité
Comme elle l’avait fait il y a quatre ans, la CGT va rencontrer l’exécutif du Conseil régional le 13 mai prochain. Son président, Xavier Bertrand, est le directeur de la formation professionnelle. Mais David Ringeval ne se fait pas d’illusion. « La dernière fois, il nous avait déjà été répondu que nous ne sommes plus un acteur prioritaire, il y a des opérateurs privés et nous sommes soumis aux appels d’offres avec les critères de prix et de structure. »
David Ringeval est lui-même formateur en transport, au centre de Cantin (Nord). Il forme des conducteurs routiers. Or, cette année, l’organisme local qui a remporté le marché n’est autre que l’Aftral (Centre de formation d’apprentis du transport et de la logistique) qui est financé par la puissante Fédération nationale du transport routier (le syndicat patronal FNTR).
Le fléchage vers les branches professionnelles est clairement orienté. Lorsqu’il était ministre du Travail, en 2009, sous Nicolas Sarkozy, Xavier Bertrand ne ménageait déjà pas l’Afpa. « Il veut aller vers la formation privée. L’objectif des différentes réformes concernant la formation professionnelle, c’est la marchandisation de la formation. Un salarié en France qui voudra se former devra payer sa formation », observe le syndicaliste.
La logique est bien établie. Il y a quatre ans, le Congé individuel de formation (CIF) a été remplacé par le Compte personnalisé à la formation (CPF) qui a donné lieu à toutes sortes d’arnaques et autres dérives. Avec le CIF, le salarié pouvait, tout au long de sa vie, mobiliser ce dispositif et se former gratuitement vers un autre emploi. « Aujourd’hui, assure David Ringeval, je vois venir des stagiaires dans ma formation de conducteur routier qui se plaignent de la qualité de nos camions. L’un d’eux m’a dit que ce n’est pas normal parce qu’il a payé 2000 euros de sa poche ! C’est impensable. Ces gars payent, parce qu’ils n’ont pas obtenu le financement de leur formation ou parce que leur CPF était insuffisant. »
Certains stagiaires paient de leur poche
Les stagiaires en viennent à mettre en concurrence les centres de formation. À Cantin, les ressources ne permettent plus d’investir depuis des années, ce qui explique la vétusté des camions incriminés par les stagiaires. D’une façon générale, les centres Afpa sont financés par les dispositifs de formation, mais ils ne reçoivent plus de dotations suffisantes depuis 2017, date de leur passage sous statut Epic. « On perd de l’argent, nous disent les tutelles. Alors, on ne ferme pas de formation, mais on en met en sommeil. »
Évidemment, cette régression et ce basculement vers le secteur privé n’est pas sans conséquence sur l’emploi des centres. Si l’on regarde la liste des électeurs aux élections professionnelles fin 2023, il y avait 612 salariés. Au premier avril de cette année, ils sont moins de 500. Soit une disparition d’une centaine d’emplois sans avoir recours à un PSE. « Simplement, explique David Ringeval, on ne remplace pas les postes quand il y a des départs en retraite, on multiplie les entretiens disciplinaires avec à la clé des licenciements pour faute, on distribue des inaptitudes en pagaille, on observe de nombreuses démissions, etc. »
Pourtant, les formations que perd l’Afpa portent souvent sur des métiers en tension. « Comment expliquer qu’un acteur de formation de service public tel que l’Afpa ne soit sollicité pour former les demandeurs d’emploi. Dans la continuité de la mission confiée par l’État, par exemple sur les décrocheurs scolaires Promo 16/18, pourquoi la Région nous prive de les former jusqu’à l’accès à l’emploi ? » Telles sont les questions que ne manquera pas de poser la CGT lorsqu’elle sera reçue au Conseil régional.