Pendant deux jours, militants syndicaux, éducateurs, pratiquants et chercheurs se sont retrouvés pour débattre du rôle que peut jouer le sport dans les luttes sociales, culturelles et écologiques. Loin du sport-spectacle ou du sport-marchandise, la FSGT revendique un sport collectif et porteur de transformation sociale.
« Réactiver une tradition fondatrice face aux menaces du présent »
La FSGT est un outil historique de l’émancipation par le sport. Avec le format d’Université populaire, quelle ambition portez-vous aujourd’hui pour renouveler ou réactiver cette tradition ? Quels sont les enjeux de cet évènement ?
En effet, la FSGT est née dans le contexte de montée du fascisme en Europe et des grandes manifestations de l’extrême droite pour renverser la République. En 1934, deux organisations sportives travaillistes, l’une, l’USSGT socialiste, et l’autre, la FST communiste, fusionnaient pour donner la FSGT.
Cette création a anticipé le mouvement du Front populaire en 1936. Ses propositions ont inspiré Léo Lagrange, « premier » ministre des Sports de la République.
Cette proposition d’Université du Sport Populaire arrive donc dans un moment crucial de montée de l’extrême droite, en renouant les liens avec une tradition fondatrice. Nous espérons que ce ne sera pas un événement ponctuel, mais un événement fondateur qui permette d’affronter dans la durée les quatre enjeux suivants :
- Inciter les collectifs, les organisations et les mouvements humanistes à s’approprier la portée et la puissance de la culture sportive pour l’arracher à la marchandisation capitaliste ;
- Partager et populariser les savoirs qui poursuivent une visée émancipatrice dans le sport et qui s’incarnent dans les dimensions individuelles et collectives ;
- Opposer une résistance créatrice et joyeuse aux passions tristes du consumérisme et de toutes les formes de domination telles que le racisme et le sexisme ;
- Faire avancer la compréhension qu’une visée émancipatrice conséquente participe nécessairement à tourner la page du mode de production capitaliste.
« Un réenchantement politique »
Vous parlez de « politisation du sport ». Quel est le rôle des pratiques sportives collectives dans la construction de la conscience politique ou de l’engagement ?
L’expérience nous a fait prendre conscience d’un phénomène très stimulant et réjouissant. Dès qu’une pratique sportive s’organise sous une forme solidaire et en autogestion, elle génère chez les pratiquants un réenchantement du rapport à la politique. Elle suscite un nouvel art de vivre sportif qui relie pratiquer pour se faire plaisir et s’accomplir tout en participant joyeusement à la transformation de la société.
Il ne faut pas réduire l’autogestion à l’auto-organisation, ce que sait très bien faire la bourgeoisie. L’autogestion peut produire de la transformation sociale dès qu’elle est solidaire et s’élargit. C’est exactement ce que promeut le documentaire Les Grandes Voix que nous avons projeté. Celui-ci revient sur l’autogestion à Freissinières à l’occasion du rassemblement estival Montagne-Escalade de la FSGT.
De plus, l’expérience de l’accomplissement dans une pratique sportive, qui se traduit par un gain de puissance ou par la conquête de nouvelles habiletés, a un effet de renforcement de la confiance et de l’estime de soi. Quand cet accomplissement a lieu dans un cadre collectif, il produit un effet de puissance de masse qui ouvre une confiance et des possibles.
Au lieu de pratiquer le sport pour fuir la société, un espace s’ouvre pour intervenir à sa modeste échelle.
Le sport en entreprise est souvent pensé comme un outil de bien-être ou de productivité. Comment la FSGT envisage-t-elle le sport au travail dans une perspective d’émancipation ?
Difficile de ne pas citer la formule de la Première Internationale prêtée à Marx : « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. » C’est tout le sens du sport ouvrier depuis son émergence à la fin du XIXᵉ siècle. Tant que le patronat garde le contrôle, l’émancipation est entravée. Le sport dans le monde du travail doit appartenir aux travailleurs eux-mêmes, la FSGT peut constituer un point d’appui pour le développement de pratiques associatives.
La FSGT propose de mettre en commun ses idées, son expérience et ses moyens pour accéder à un réseau de rencontres et de « compétitions autrement », débarrassées de la logique et de l’idéologie de la mise à l’écart des plus faibles, de la sélection et de la survalorisation des meilleurs et des vainqueurs.
« Une autre manière de vivre ensemble et de se transformer »
La présence de la CGT montre qu’il y a une volonté de croiser les luttes. En quoi le sport peut-il devenir un terrain de convergence entre syndicalisme et émancipation populaire ?
La puissance de la culture sportive, au sens large, est devenue énorme dans le monde moderne. Cette culture est populaire et universelle. Le projet de l’Université du Sport Populaire peut favoriser la prise de conscience des enjeux d’éducation, sociaux, de santé, écologiques et politiques qui se jouent avec le sport. Vu ces enjeux, le syndicalisme est concerné par ce mouvement d’émancipation dans le champ du sport et des multiples luttes générées par cette aventure.
Si la CGT est dans le coup, c’est parce qu’elle a été précurseure en organisant un colloque intitulé Sport vecteur d’émancipation le 5 décembre 2024. De plus, elle n’est pas la seule participante, puisqu’il y a également des syndicats de l’Éducation nationale en la qualité du SNEP-FSU et du Syndicat de l’Éducation Physique.
Pour le second acte de l’Université prévu le 5 juin, vous revendiquez vouloir « travailler les voies de sortie du capitalisme ». En quoi le sport peut-il participer au dépassement du capitalisme ?
Nous n’avons aucune recette pour sortir du capitalisme. À l’origine du séminaire “Sport, émancipation, politisation”, il y a un collectif de militants de la montagne et de l’escalade FSGT inspirés et stimulés par l’œuvre du philosophe communiste Lucien Sève et du livre de son fils, Jean Sève, Capitalexit ou catastrophe. Ces militants ont fait un double constat.
Alors qu’ils ont milité avec succès pour rendre populaire une pratique autonome, responsable et solidaire de l’escalade et des sports de montagne, force est de constater qu’en moins de dix ans, les salles lucratives d’escalade ont déferlé sur le marché. Cependant, il y a une pratique sportive que le capitalisme ne peut pas marchandiser : c’est la pratique sportive émancipatrice.
Un second constat s’impose, auquel ils sont plus sensibles, vu leur arpentage de la haute montagne où les effets du réchauffement climatique se font particulièrement sentir. La Terre est confrontée à un défi généralisé qui, à terme, menace les conditions d’habitabilité de la planète pour notre espèce. Ceci est la conséquence du capitalisme. C’est une raison vitale pour explorer comment tourner la page.
Nous revendiquons donc une pratique qui lie l’impératif écologique et l’impératif de lutte contre les inégalités, et où chacune et chacun apprend une autre manière de vivre ensemble et à se transformer en changeant le monde. La marche sera longue, mais passionnante.