On se souvient de l’intervention du député André Chassaigne, le 16 décembre 2023, sur ce qui n’était encore qu’un projet de loi sur l’immigration. Le président du groupe GDR (Gauche démocrate et républicaine) avait ainsi interpellé la Première ministre, Élisabeth Borne, sur la manière dont elle s’apprêtait à faire adopter ce projet : « vous êtes sur le point de commettre l’irréparable. (…) Depuis plusieurs jours, les pires tractations politiciennes ont lieu dans le huis clos de Matignon et de l’Élysée, au mépris de la séparation des pouvoirs. Vous instrumentalisez la commission mixte paritaire (CMP) pour contourner le Parlement et conclure, coûte que coûte, un accord avec Les Républicains alignés sur les positions du Rassemblement national. Madame la Première ministre, mesurez bien votre responsabilité historique. L’élection du président Macron devait nous prémunir des pires avanies du programme de l’extrême droite. Autrefois bouclier, vous en êtes devenus le marchepied ! »
Une des lois les plus répressives depuis 40 ans
Depuis, on le sait, le gouvernement est demeuré droit dans ses bottes et la loi « Asile et Immigration » a été promulguée le 26 janvier dernier. La censure du Conseil constitutionnel n’y a rien fait. Les derniers décrets d’application qui viennent d’être publiés portent notamment sur la simplification du contentieux et de l’éloignement des étrangers. Il s’agit de réduire le nombre de recours possibles en matière d’expulsions, l’une des mesures les plus répressives de la loi.
Mais de manière plus générale, cette loi apparaît comme l’une des plus répressives de ces 40 dernières années. « Elle constitue un cap supplémentaire vers des atteintes sans précédent aux droits des personnes migrantes », juge la Cimade, l’association de solidarité et de soutien aux migrants. Dans un document de 70 pages, publié en février, elle propose un décryptage édifiant de ce texte et relève que « Son parcours législatif est emblématique de la volonté obsessionnelle d’appréhender les migrations sous l’angle d’une prétendue menace pour nos sociétés, de réprimer les personnes étrangères, de jouer sur les peurs, au détriment des droits fondamentaux, de la réalité des mouvements migratoires, du respect de l’État de droit et de nos principes constitutionnels. »
Parmi les nombreux points qui font rugir les partis de gauche et les associations, mais qui font rougir de plaisir la droite et l’extrême droite, on relève tout un « arsenal procédural visant à refuser et retirer le droit au séjour des personnes en exil. Cela n’est rien d’autre qu’une aggravation de la fabrique des sans-papiers », commente la Cimade. Cette aggravation commence par l’examen des titres de séjour. Jusque-là, avant la loi de janvier, la préfecture était obligée d’examiner le droit au séjour du demandeur au regard des arguments de ce dernier : parent d’enfant français, liens personnels et familiaux, etc. Si la décision était favorable, la préfecture était tenue de délivrer le titre de séjour correspondant au motif invoqué. C’est important parce qu’il existe différents titres qui n’ouvrent pas les mêmes droits. Par exemple, le titre « vie privée et familiale » autorise toute activité professionnelle (sauf réglementations spécifiques). Le titre mention « travailleur temporaire » ne permet d’accomplir que le contrat de travail présenté à la préfecture. Un titre « visiteur » ne permet pas de travailler. Par ailleurs, si la décision était défavorable, le demandeur pouvait demander une nouvelle demande. En cas de mesure d’éloignement, il devait faire valoir de nouveaux éléments créateurs de droits.
Nouveau système d’examen pour les demandes de titre de séjour
Avec la nouvelle loi, les demandes de titre de séjour seront examinées à « 360 degrés ». Ce système va être expérimenté dans une dizaine de départements au maximum. La personne concernée devra remettre l’ensemble des éléments pertinents pour l’examen de sa situation. Cela veut dire que, en cas de décision favorable, le demandeur pourra se voir remettre un titre de séjour différent, et très certainement moins protecteur, que celui qu’il souhaitait. Si la décision est défavorable, la personne ne pourra plus faire de nouvelles demandes. Il y a donc un risque important de restrictions supplémentaires pour l’accès au droit au séjour.
Outre cette nouvelle manière d’examiner les demandes de titre de séjour, la Cimade relève la possibilité de bannir des personnes ayant fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). « La nouvelle loi, explique l’association, crée une possibilité supplémentaire de refus de titre de séjour lorsqu’une personne n’a pas satisfait à l’obligation de quitter le territoire dans les délais impartis. »
La loi du 26 janvier permet d’autre part de limiter à trois renouvellements les titres de séjour temporaires d’un an maximum et pour un même motif. Cela aura pour conséquence de limiter la régularisation des personnes concernées pour une durée maximale de trois ans. Elles deviendront ensuite « sans-papiers ». La liste est encore longue des moyens de durcissement du droit au séjour : nouvelles obligations pour les personnes signant un contrat d’intégration républicaine (CIR) avec une injonction stigmatisante, voire raciste ; utilisation et exploitation de préjugés pour mieux mettre fin au droit au séjour ; fin de la stabilité pour les titulaires d’une carte de résident ; nouvelle définition, ultra-restrictive, de la résidence habituelle en France telle qu’elle s’applique à de nombreux titres de séjour ; précarisation pour les jeunes majeurs avec la fin de leur protection en cas d’OQTF.
Cette aggravation de la « fabrique des sans-papiers » n’est qu’un aspect de la loi de janvier 2024. Autant d’exemples, à travers ce seul texte, montrant que le Rassemblement national a beau jeu de se placer en embuscade dans le contexte actuel. Le macronisme a su lui préparer le terrain.