La « condamnation » a été prononcée le 22 octobre 2024, sous forme de lettre recommandée signée la veille. Le maire d’extrême droite d’Hénin-Beaumont, Steeve Briois, informait l’association culturelle « l’Escapade » de la fin définitive de son bail le 23 janvier 2025.
Une nouvelle lettre recommandée de la Ville, datée du 17 janvier, tombe comme un couperet : l’association est sommée de quitter les lieux une semaine plus tard, soit le 24 janvier. Après 60 ans de présence, les bénévoles de la structure culturelle se voient contraints d’organiser la fermeture en quelques jours et au beau milieu d’une saison culturelle.
Préférence locale
Quid du sort des salariés, intervenants et artistes qu’on laisse au milieu du gué ? Le maire d’extrême droite et son équipe n’en ont cure. Pour eux, l’opportunité et l’enjeu sont trop importants : bouter dehors des « putschistes » et des « salauds », ainsi qu’elle les traite dans les colonnes du magazine municipal. L’équipe au pouvoir parle même de « putschistes lillois », c’est dire. Elle dénonce par là des spectateurs, devenus soutiens de l’Escapade, qui n’habitent pas Hénin-Beaumont, voire qui travaillent dans la métropole lilloise. Nous voilà en présence d’un cas désespéré de « préférence locale ».
Un enseignant qui exerce, non loin, à Libercourt et vit près de Lille n’aurait donc pas le droit de faire venir ses élèves à un spectacle donné dans une salle d’Hénin-Beaumont qui appartient à la municipalité ! Tout l’absurde de la situation se trouve là. Quelle salle de spectacle n’a pas envie de rayonner à l’extérieur de ses murs ? Quelle municipalité n’a pas envie de recevoir un public venant de son agglomération ? Quant au terme « salauds » utilisé par Steeve Briois et son équipe, il vise simplement son opposition démocratique.
Quoi qu’il en soit, l’extrême droite se glorifie aujourd’hui d’avoir porté un coup de botte à la culture. Il faut se souvenir que l’Escapade est, comme le rappelle la Ligue des Droits de l’Homme, « un établissement historique et incontournable de la vie culturelle d’Hénin-Beaumont ». Elle existait depuis 1964 en tant que Maison des jeunes et de la culture avant de devenir, en 1991, un Centre d’animation culturelle. Son objet : la mise en place d’une saison culturelle et la promotion du spectacle vivant à travers des pièces de théâtre ou des concerts. Elle proposait aussi, depuis le début de son existence, des ateliers de pratiques amateures qui ont pu toucher à des domaines aussi variés que le théâtre, la musique, la danse, la vidéo, le cirque, la cuisine, les langues étrangères, le yoga…
Mais Steeve Briois n’a voulu y voir qu’un ramassis de « gauchistes ». Fort d’une telle mauvaise foi, il s’autorise à ne pas dialoguer et, surtout, à ne pas négocier. Les dés sont pipés. Bien avant qu’il soit élu au fauteuil majoral, en 2014, celui qui était alors dans l’opposition dénonçait, les « navets et la daube gauchiste de l’Escapade, haut lieu de l’inculture et de la propagande anti-raciste ». C’était en 2007. Comme la vengeance, la rancune est un plat qui se mange froid. 18 ans après, Steeve Briois savoure. Fin des subventions et reprise de la salle.
Un président sous influence
Il faut lui reconnaître l’art de la patience. À la place de la culture développée par l’Escapade, il aurait sans doute préféré des thés dansants, bien moins dangereux en termes de pensée. À défaut, il a mis dans son camp le président de la structure, Jean-Luc Dubroecq, qui a très vite fait allégeance sans rendre compte à son conseil d’administration. Le Conseil d’administration de l’Escapade ne s’est pas laissé faire et a élu un autre président, Jérôme Puchalski, pour maintenir la barre. Mais avec une mairie aussi hostile, le rapport de force n’y était pas. Par ailleurs, Jean-Luc Dubroecq avait signé une convention permettent à la Ville de reprendre le bâtiment, sous réserve de deux mois de préavis, et de municipaliser le lieu culturel.
Escapade Off
Jouant ainsi tout en finesse, l’extrême droite est sournoisement parvenue à ses fins. Ce vendredi 24 janvier, l’association l’Escapade a remis les clés à sa propriétaire. Deux jours avant, le 22 janvier, une réunion publique était organisée afin de soutenir l’équipe de l’association, son indépendance et le projet culturel qu’elle porte. Une centaine de personnes y ont participé dont de nombreux comédiens du spectacle vivant. Le lendemain, une vingtaine de soutiens ont aidé au déménagement du lieu afin de mettre à l’abri le matériel de l’Escapade. Les municipalités des alentours ont apporté leur solidarité en proposant des lieux pour entreposer ce matériel. Elles sont allées plus loin en offrant l’accueil de résidences d’artistes (prévues à l’origine à Hénin-Beaumont), ou en ouvrant des salles pour les spectacles prévus dans la programmation de l’Escapade.
Une « Escapade Off » est ainsi en train de se mettre en place avec le concours de municipalités comme Méricourt, Courcelles, Carvin, Courrières, etc. C’est une très bonne chose car, considérant que d’autres villes peuvent accueillir les spectacles, le Conseil régional a décidé de maintenir sa subvention (54 000 euros).
Mais le combat ne fait que commencer. À Hénin-Beaumont, la Ville a pris la précaution, dès novembre 2024, de déposer auprès de l’INPI, la marque « Théâtre de l’Escapade ». Lors de ses vœux à la population, le maire Steeve Briois a encore fustigé les « putschistes » et le sénateur RN Christophe Szczurek, toute pudeur avalée, a remis la médaille du Sénat au complaisant ex-président de l’Escapade, Jean-Luc Dubroecq. Ce dernier s’est vu assuré d’une place de choix dans la direction de la nouvelle structure mise en place par l’extrême droite.
Cette dernière ne fera aucun cadeau. Il y a peu, elle a envoyé un huissier chez Monique Béjault, trésorière bénévole de l’Escapade depuis vingt ans, pour lui demander des comptes sur des investissements prévus et subventionnés. La dame, 80 ans et sans reproche, a gardé son calme.