Lorsqu’il était lycéen, à Haubourdin, il aurait presque pu être jalousé par ses petits et petites camarades pour la qualité de ses dissertations économiques. « Votre travail se lit comme un [bon - ndlr] article de presse » l’avait félicité un professeur d’économie ! C’était dans les années 70, bien avant qu’il enseigne... l’anglais (et non l’économie !) dans ce même établissement qu’il rejoignait chaque jour depuis la gare SNCF de sa commune natale, Marquillies.
De jalousie à son encontre pourtant, il n’y avait pas. Éric Bocquet était bon élève et se tenait droit. Mais il ne se prenait jamais au sérieux, entendons, il savait ardemment rigoler et manier l’humour sans oublier son goût pour échanger et débattre. Une tête de premier de la classe, mais que tout le monde appréciait. Un bon pote, enfin.
Personne alors, dans ce « bahut » de la banlieue lilloise, ne pouvait soupçonner qu’il deviendrait maire communiste de sa commune, en juin 1995, puis sénateur du Nord en septembre 2011. Ses copains lui imaginaient plutôt un avenir dans le journalisme. Ils n’avaient pas vraiment tort. Éric Bocquet, c’est la curiosité, l’ouverture d’esprit, la rigueur professionnelle, le bosseur, l’amour des gens. Les qualités d’un [bon – ndlr] journaliste appliqué à la politique. Il l’a prouvé.
Et il s’en va. Il quitte la chambre haute après sa troisième réélection. « Normal », il l’avait prévu, arguant de son âge (66 ans, ce n’est pourtant pas la ruine) et du temps de préparation pour son successeur, Alexandre Basquin (42 ans), futur ex-maire d’Avesnes-les-Aubert (les mandats de maire et de parlementaire n’étant pas compatibles). Le nom de ce dernier était le suivant dans la liste des candidats communistes, l’an dernier, dans le Nord. Bocquet le dit, Bocquet le fait. « Alex sera ainsi et aussi sénateur du Cambrésis ! » dit-il avec fierté.
Un univers insoupçonné
Mais l’homme politique, forgé, par conviction et par passion au fil de ces dernières décennies, n’a pas dit son dernier mot. Au sein du groupe sénatorial CRCE-K, il vient de dénoncer la politique de l’offre du gouvernement et la baisse de l’impôt qui creusent le déficit. Cette politique macroniste a conduit à faire reculer les recettes, entre 2022 et 2023, de 7,7 milliards d’euros. La dérive budgétaire (173 milliards d’euros) a doublé depuis 2019.
Le bon élève en économie ne s’est jamais dédit. Il s’est révélé dès son premier mandat de sénateur, en 2011. À peine élu, sous l’égide de la présidente du groupe communiste républicain et citoyen (CRC), Nicole Borvo Cohen-Seat, il intègre la commission des Finances. « Trois mois plus tard, se souvient-il, je suis rapporteur d’une commission d’enquête sur l’évasion fiscale ». Cela n’était pas lié à une actualité particulière. Il s’attelle à la tâche, avec les moyens dédiés. Et il découvre. « Dans le cadre d’une commission d’enquête, on peut convoquer qui on veut. Les personnes doivent prêter serment. » En d’autres termes, elles sont opposables en droit en cas de parjure. Durant ses treize années de mandat, Éric Bocquet va être confronté à cette réalité.
« Je croyais que le délai imparti de six mois d’enquête serait amplement suffisant », dit-il. Il était loin du compte. La mission a été prolongée. En un an de travaux, il découvre un monde qu’il ne soupçonnait pas. Parmi les auditions fortes en souvenir, il y a eu celle du PDG de BNP Paribas. « Il a serré la main du président Philippe Dominati, mais pas la mienne. » Philippe Dominati (élu divers droite) était alors président de la commission d’enquête sénatoriale sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales.
Le travail mené par Éric Bocquet le conduit à entendre 120 auditions et le mène, avec les membres de la commission d’enquête, à Jersey, à Londres, en Suisse. « En Suisse, les parlementaires refusent de nous rencontrer. Mais nous échangeons avec Jean Ziegler, le chantre des batailles contre le système bancaire. »
Le poids de la finance
Les paradis fiscaux, et l’évasion fiscale, voilà ce qui aura marqué le mandat sénatorial du parlementaire du Nord. Parmi les faits marquants : le parjure de Frédéric Oudéa, entendu par la commission d’enquête alors qu’il était PDG de la Société générale. Sous serment, en 2012, il avait juré que sa banque n’avait plus rien à voir avec le Panama et ses paradis fiscaux. « Quatre ans plus tard, avec la révélation des ’’Panama Papers’’, nous apprenons que, via sa filiale au Luxembourg, la Société générale possède 649 sociétés off-shore dans ce pays ! » s’indigne le sénateur. « Mais les sénateurs n’ont qu’un pouvoir législatif », rappelle Éric Bocquet. Lorsqu’il saisit le bureau à propos du parjure de Frédéric Oudéa, il n’y aura pas de suite. Pire, lorsqu’il aura l’occasion d’interroger directement l’intéressé, devant la chaîne Public Sénat, celui-ci botte en touche et confirme ce qu’il avait déclaré précédemment (son parjure, donc). L’affaire en restera là. « C’est à ce stade que l’on prend conscience du poids de la finance. Cela décrédibilise le rôle des parlementaires et alimente la défiance du public envers nos institutions ».
Face à ce mur, il faut continuer la bataille. Fort heureusement, il reste des victoires. Éric Bocquet en savoure une depuis que Nicolas Forissier s’est vu remettre, au Sénat, le 7 juin dernier, la médaille de l’ordre national du Mérite. Pour lui, c’est l’aboutissement d’une lutte de 7 ans. Il s’agissait de reconnaître les mérites et de protéger le lanceur d’alerte qui avait révélé l’aide à l’évasion et à la fraude fiscale de son employeur, la banque suisse UBS. « Je ne pensais pas y parvenir. C’était une belle bataille » conclut le sénateur qui n’a jamais lâché le morceau.
Désormais, il poursuivra son combat politique au sein du conseil municipal de Marquillies et de la communauté urbaine (Métropole européenne de Lille) dont il est conseiller. Au Sénat, il était aussi membre du comité de déontologie. Une qualité qui lui sera toujours précieuse.
- La dette à perpète ! les nœuds d’une bataille idéologique, Ed. Le Temps Des Cerises - 2023
- Milliards en fuite !. Manifeste pour une finance éthique, Alain Bocquet, Éric Bocquet, Pierre Gaumeton (Contributeur), Éric Vernier (Préfacier) – Ed. Cherche Midi - 2021
- Sans domicile fisc - Alain Bocquet, Eric Bocquet, Pierre Gaumeton / Préface Jean Ziegler - Ed. Cherche Midi - 2016