Résumé des chapitres précédents :
Les délégations françaises et anglaises se retrouvent à la gare de Londres pour se rendre immédiatement dans un port et embarquer sur le City of Exeter, un navire très lent à destination de Leningrad. À bord, entre repas exotiques, jeux et soirées mondaines, les délégués établissent un mémorandum pour les négociations avec les soviétiques.
Ils arrivent après quatre jours de navigation, et sont conduits à Moscou où Vorochilov les accueille avec chaleur.
Jules Lagarde est enterré et son épouse, Edmonde, décide de prendre en main l’entreprise, aidée par le fils Giraud, Antoine. Les deux filles sont livrées à elles même. Monique sait que Patrick travaille à la réussite de son concours d’entrée à l’École normale. Edmonde se heurte aux problèmes de la gestion.
À Moscou, très vite les soviétiques s’aperçoivent que les Français et les Anglais ont les mains vides. Tandis qu’à la frontière mongole, Joukov met la dernière main à son plan.
Chapitre XXV : Tout s’accélère
18 août
Sous le ciel de Corse, les jours s’écoulaient comme immuables. Le ciel demeurait d’une pureté cristalline, la mer délicieusement parfumée et rafraîchissante, une chaleur pas trop agressive, mais tout le monde arborait canotiers et casquettes et s’abritait sous les platanes ou sous les parasols des plages. Duclos avait dégoté une grosse chambre à air dont il se servait pour patauger un peu plus loin que la grève. Savait-il nager ? Personne ne lui posa la question, un flou pudique entretenait l’incertitude et, la bedaine à l’air, il pagayait hardiment de ses deux mains pour évoluer au gré des vaguelettes en prenant le frais.
Tous, les Duclos, les Le Bellec et les Renoult, s’étaient mis à siroter le soir un apéritif anisé qui, au début, les avait surpris. Un rituel s’était installé. Certes, les femmes noyaient le breuvage avec de l’eau fraîche, elles trouvaient cela désaltérant.
Alice tricotait un chandail avec lenteur, en restant assise sur le sable, toute habillée, coiffée d’une espèce de chapeau conique en paille colorée, ternie par le soleil. Le Bellec, Daniel Renoult et Jacques Duclos lorsqu’il n’était pas avec cet énorme boudin qui avait dû appartenir à un pneu de tracteur et dont les rustines égayaient de tâches colorées son ton orangé, discouraient à n’en plus finir sur les négociations militaires à Moscou. L’Humanité rapportait des progrès et, comme preuve, avait annoncé qu’on était passé à deux séances par jour ; il y avait tant de choses à régler.
Ce midi-là, le facteur passa, pédalant sur son vélo rouillé, fallait voir comme, et, du seul frein fonctionnant bruyamment, s’arrêta devant la maison des Bacchiolelli, un télégramme en main.
– O’ di casa, un Duclosse Jacques ci hè ?? demanda-t-il en posant la bicyclette le long du muret.
À l’intérieur, derrière un rideau de perles mouvant au rythme de petits coulis venteux, les camarades goûtaient de la charcuterie, assis autour de la grande table de bois épais et brillant sur laquelle des verres contenant du rosé étaient à portée de main.
– Oui, cria Jacques en prenant une serviette pour s’essuyer la moustache imprégnée de vin. Il se leva, enjamba le banc qui longeait la table.
– Télégramme ! annonça le préposé de derrière le rideau que Jacques écarta, ce qui fit entrer une vive lumière.
– C’est pour moi ! Vous voulez boire quelque chose ? proposa Jacques.
– V’arringraziu assai, mà ci hà da volè un bellu pezzu pà compie ’ssu ghjiru di paese, è si scioppa ! Bon’pro’ ! [1]
Le fonctionnaire enfourchait son vélo. Jacques qui n’avait rien compris en déduisit qu’il refusait, lui cria un :
– Merci, à la revoyure.
Jacques repoussa les perles, entra, glissa le doigt dans l’ouverture et déchira le papier collé qui enfermait le message. Il déplia le bleu.
– Oh, merde, ils ne me foutront donc jamais la paix !
– Qu’y a-t-il ? demanda Gilberte, soudainement inquiète.
– Ben, c’est les camarades de Tarbes qui organisent une fête le 20 et le Parti ne trouve rien de mieux que de me demander d’y aller.
– Ils ne peuvent pas trouver quelqu’un d’autre ?
– Tout le monde est en vacances…
– Mais toi aussi, souligna Le Bellec.
– Oui, mais c’est mon pays. Jacques prononça exprès paysse. Non, je comprends, même si ça me casse les pieds. Je prends le premier rafiot et avec le train, je serai sur place à temps. Gilberte, tu pourras expédier une réponse aux copains ?
Parfois, Duclos pensait que sa femme était toujours sa secrétaire… une manie dont il aura du mal à se défaire.
À Berlin, Georgui Astakhov, le chargé d’affaires soviétique, usait de son entregent pour relancer des négociations commerciales qui étaient devenues un véritable serpent de mer dans les relations complexes entre les autorités nazies et soviétiques. Staline venait de faire parvenir un message demandant instamment à Astakhov d’obtenir la signature rapide d’un accord qui, dix jours avant, devait être enterré.
Joachim von Ribbentrop, de son côté, avait, en début août, proposé aux Soviétiques de prolonger l’accord commercial en discussion par un accord politico-militaire. Inquiet de l’expédition d’une mission franco-anglaise à Moscou pour négocier un accord tripartite, les Allemands s’alarmaient de ne pouvoir concrétiser au mieux leurs plans offensifs. Car un accord militaire à trois compromettait gravement les plans d’Hitler.
Les négociations reprirent de plus belle mais, ce 19 août, les Soviétiques, pressés par Ribbentrop de signer l’accord, renoncèrent encore une fois, à la grande contrariété des Allemands. Le téléphone chauffa entre l’ambassade soviétique à Berlin et Molotov à Moscou. On attendit.
Charles Arsène-Henry avait mis en marche le ventilateur électrique accroché au plafond et dont les pales brassaient un air chaud et humide. Par cette chaleur, tout vêtu de blanc, il n’avait pas de cravate et était en chemisette, et pourtant, il ne se sentait pas à son aise. Sous ses bras, des auréoles jaunissaient le tissu. Il buvait un thé léger en grignotant une de ses friandises préférées, un sakuramochi, mais pas n’importe lequel, celui qu’il préférait n’était pas de Tokyo mais fait à la façon de kansai où, sur la pâte rose plus fine, était collée une feuille de sakura, le cerisier. Il coupait avec les dents de petites portions pour faire durer le plaisir et se délectait.
Sous les yeux, il avait un article paru dans Yomiuni qui s’offusquait : les nazis demandaient aux autorités gouvernementales du Japon de licencier sans délais tous les professeurs juifs d’origine allemande des établissements d’enseignement japonais. Le journal s’indignait, pas tant de la chose, mais que l’on donnât des ordres à l’Empire ! Néanmoins, il administrait une leçon d’honneur aux autorités nazies en déclarant que le gouvernement japonais répondrait par la négative « conformément à l’esprit chevaleresque du samouraï » !
Charles Arsène-Henry décida d’envoyer cet élément au quai d’Orsay pour démontrer qu’il y avait de la brouille entre les deux régimes. Un autre dossier était sur le sous-main. Il le prit pour l’ouvrir, mais ses doigts, légèrement poisseux, le génèrent. Il termina sa bouchée de friandise et alla dans l’angle du bureau où un paravent de soie masquait un petit lavabo. Il se rinça les mains, s’essuya et s’installa de nouveau à son labeur. C’était une relance de Leger qui semblait agacé de ne pas avoir eu de réponse au sujet d’un message expédié voici trois semaines. Arsène-Henry soupira. Enfin, comment le secrétaire général du quai d’Orsay pouvait-il croire que c’était simple d’obtenir des informations sensibles ? Depuis plus d’un mois, il n’avait pas rencontré le ministre des Affaires étrangères, son ami Hachirō Arita, et il ignorait tout d’une rencontre à Cernobbio où les ambassadeurs allemand, italien et japonais s’étaient réunis. Pourquoi faire ? Il n’en savait fichtre rien, il ne connaissait même pas ce patelin de Cernobbio. [2]
Il posa le message, son esprit divagua, il ferma les yeux, bercé par le ronronnement du ventilateur qui lui envoyait un peu d’air rafraîchissant. Il resta ainsi quelque temps, se délectant des dernières subtilités de son sakuramochi. Il songea à la fin de son travail sur les soieries, encore quelques semaines et ce serait bouclé. Il lui faudrait s’occuper de trouver un éditeur. Les yeux fermés, il glissait dans la torpeur. Sa main, posée sur le rebord de la table, glissa et ce mouvement brusque, involontaire, le réveilla soudainement.
Il se redressa, prit le téléphone et appela la secrétaire :
– Allo, madame, heu,… dites voir, pouvez-vous demander à son excellence Arita de me recevoir ? Il se reprit, il avait commis une erreur, – Pardon madame, heu… une audience, je vous prie.
À Moscou, dans l’ambassade de France, les visages se décomposaient. Depuis deux jours, tous avaient compris que les négociations n’aboutiraient à rien du fait du gouvernement. Côté anglais, c’était le même constat. Le général Doumenc avait envoyé clandestinement un émissaire, André Beaufre [3], au gouvernement polonais et celui-ci avait fait chou blanc. Une rage sourde habitait le plénipotentiaire. Paul-Émile Naggiar, l’ambassadeur, passait des appels incessants au quai d’Orsay, sans résultat.
Dans le bureau de Naggiar, Doumenc se morfondait, le dernier échange téléphonique n’avait rien donné.
– Je vais poursuivre les négociations autant que je peux, mais c’est une pantalonnade, plus personne n’est dupe, laissa tomber le général épuisé.
Quelqu’un frappa à la porte.
– Oui, lança Naggiar.
La porte s’entrouvrit, le chargé d’affaires Jean Payart passa la tête :
– Je vous dérange ?
– Non, non, mon cher. Entrez !
Payart fit quelques pas et, un papier en main, annonça :
– Les négociations commerciales germano-soviétiques ont repris. On s’attend à Berlin à une signature imminente.
– Tenez, qu’est-ce que je vous avais dit ! On pousse les Russes dans les bras des Allemands qui ne demandent que ça. Demain, ce sera un accord militaire. Une question de logique, les Soviétiques n’ont plus le choix.
– Attendez, fit Doumenc, c’est aussi un message à notre gouvernement. Il faut l’en informer immédiatement. Les Soviétiques sont en train de nous dire : si vous ne négociez pas sérieusement, on fera un accord avec les Boches. Voilà le message.
– Vous avez raison. Je renvoie un message à Bonnet et à Leger.
– Et aussi à Daladier ! insista Payart.
20 août
La chaleur était déjà accablante. Le ciel, teinté de rose avec quelques reliquats mauves, était dégagé. Les services de renseignement de la 6ème armée du général Rippei expédièrent, comme chaque jour, un premier bulletin à l’état-major : « RAS. Bruits de travaux et de moteurs toute la nuit. Vive l’empereur ! » Cela faisait trois semaines que quasiment le même message arrivait vers 5 heures 30 du matin sur la table de l’officier de permanence.
Sauf que, là, les bruits de moteurs n’étaient plus enregistrés, Joukov faisait monter en première ligne des centaines de chars d’assaut et de véhicules blindés ainsi que plusieurs centaines de canons. À 5 heures 45, plus de 150 bombardiers et 100 chasseurs attaquèrent les positions japonaises : la destruction de positions d’artillerie et de concentration de véhicules fut systématique et rondement menée. Une demi-heure plus tard, l’artillerie de Voronov entra dans la danse macabre pour éliminer tous les objectifs répertoriés par les observations quotidiennes. Enfin, deux heures et demie plus tard, les fusées montèrent à l’assaut du ciel. Ce fut le signal de l’attaque.
Trois puissantes colonnes attaquèrent sur fond d’Internationale que les haut-parleurs déversèrent. Un groupe attaqua au nord, un au sud, un au centre. Il fallait donner l’illusion aux Japonais que le centre était l’axe majeur de la bataille alors que Joukov avait prévu que le nord et sud feraient pince pour encercler rapidement l’armée ennemie. Joukov informa Vorochilov du début de l’offensive et des premiers résultats.
Dans un bureau de la chancellerie à Berlin, quelques hommes étaient rassemblés autour d’une table où des documents déposés dans de luxueux marocains en peau de chèvre comme il se doit, dorés à l’or fin, étaient soumis à la lecture des administrations sous l’œil vigilant des ministres. Lorsque cette opération fut terminée, les rubans rouges furent glissés dans les encoches pratiquées dans les vélins puis, à l’aide de bâtonnets de cire enflammés à des chandeliers où une bougie pour chaque partie était posée au centre de sa bobèche, les préposés firent couler la cire pour l’amarrer au texte en y noyant le ruban. Les Soviétiques apposèrent avec force le sceau de leur ambassade, les Allemands celui avec l’aigle nazi. La convention économique avantageuse pour les deux parties venait d’être signée. Astakhov se pencha alors vers Ribbentrop et lui glissa, en lui appuyant une main sur l’épaule :
– Monsieur le ministre, Joseph Staline me fait vous dire qu’il serait sensible, puisque nous sommes capables de parler sans s’insulter, à ce que cessent, dans votre pays, les campagnes de dénigrement à l’égard de l’Union soviétique. C’est une question politique à laquelle nous attachons beaucoup d’importance, et bien sûr, en nous engageant à la réciprocité.
– Hum, monsieur l’ambassadeur, je vous prends au mot : ne serait-il pas temps que nous nous rencontrions avec votre ministre des Affaires étrangères pour discuter de tout ce qui est en suspens, notamment les questions politiques et militaires.
– Monsieur le ministre, j’en fais part immédiatement à mon gouvernement.
– Je vous remercie. J’ai prévu que nous puissions lever notre verre à cet accord et à notre entente.
– Je lèverai, avec plaisir, mon verre à nos relations de bon voisinage.
– J’ai prévu un champagne excellent et je m’y connais, fit Ribbentrop [4] en découvrant un sourire carnassier.
Deux coups sonnèrent à la pendule rococo qui siégeait en majesté sur une console. C’était le matin du 20 août.
Une épreuve ! Jacques Duclos avait dû prendre un bateau de nuit pour attraper le premier train en partance pour Toulouse. Sur le quai de la gare Saint-Charles, un membre du secrétariat de la fédération des Bouches-du-Rhône lui remit une grosse enveloppe marron dans laquelle tous les éléments d’actualité avaient été glissés. Des coupures de presse, des notes dactylographiées, des opinions politiques sur la situation. Il apprit que Maurice Thorez était revenu lui aussi et qu’il faisait enfin un meeting à Cannes, le soir même.
Duclos était court sur patte et bedonnant. Courir après un train, cavaler dans les halls de gare en portant une petite valise dont la poignée de ferraille lui meurtrissait la main, le mettait tout de suite en nage et il transpirait comme tout. C’en était bien terminé des moments d’assoupissement au milieu des flots de la Méditerranée. Mais au fond, il était content de se rendre dans son pays…
Il lut durant le voyage, griffonna des éléments sur un bout de papier, dut changer de train pour attraper une correspondance pour Tarbes et arriva en fin d’après-midi, dans un drôle d’état : la chemise chiffonnée, le chapeau bordé de sueur qui faisait des auréoles blanches en séchant, la mine rubiconde, le col qui lui serrait le cou. Il avait réfléchi dans le compartiment, avait structuré son propos par écrit, il était fin prêt.
Devant une assemblée de trois mille personnes, il fit son discours. Juste avant, il avait bu un verre de Jurançon sec, histoire de se désaltérer. Il eut, selon son habitude, de belles envolées et exigea qu’enfin un pacte de paix soit signé à Moscou avec les représentants de la France et de l’Angleterre. La foule scandait : « La paix maintenant ! » C’était une réussite. Il mangea avec la direction fédérale un cassoulet tarbais, se délecta de Madiran et dormit chez un camarade comme une souche dans un lit aux ressorts grinçants.
Depuis que Patrick avait sonné chez les Lagarde, Monique avait pris une résolution. Tout d’abord, lorsque Jeanne Dieu, surprise en ouvrant la porte, lui demanda ce qu’il faisait là à carillonner et qu’il lui répondit qu’il voulait voir Monique, il y eut un moment de flottement. Jeanne passa sur le perron, ferma la porte doucement et lui dit à voix chuchotée :
– Mais Patrick, tu n’y penses pas, tu ne peux pas venir voir mademoiselle Lagarde, c’est pas possible.
– Oui, je sais, madame Dieu, mais j’ai quelque chose de très important à lui dire et les choses ont peut-être changé.
– Non, non, je ne peux pas faire ça !
– J’vous en supplie madame Dieu, c’est très important. Demandez-lui au moins, j’attends dehors.
– Bon, tu fais pas de bêtises, tu attends, hein, je vais voir.
– Merci, merci…
Jeanne rentra dans la maison, sa patronne était à l’usine, elle alla voir Monique.
– Mademoiselle Monique, il y a Patrick qui veut vous voir, il attend dehors.
– Il est là ?
– Oui, mais je sais pas si…
– Attends, Jeanne, je me donne un coup de peigne et j’y vais !
– Mais…
Trop tard, Monique était partie en courant dans sa chambre, se posa devant sa coiffeuse, prit la brosse, donna une forme à sa chevelure, se pinça vite fait les joues et, rayonnante, sortit en courant. Elle faillit rater une marche dans les escaliers, se rattrapa à la rambarde et ouvrit la porte avec un immense sourire.
Patrick était en bas du perron à triturer une enveloppe. Elle descendit et se jeta à son cou. Elle l’embrassa avec fougue et passion.
– Cela fait si longtemps que je t’attendais…
– Monique, regarde !
Il ouvrit l’enveloppe, déplia son contenu et lui montra : un courrier l’informait de sa réussite au concours d’entrée à l’École normale.
– Regarde, j’ai réussi ! Je suis heureux, je vais pouvoir devenir instituteur.
– Oh, que je suis contente pour toi, mon chéri. Je suis fière de ta réussite.
– Alors maintenant, j’attends la lettre m’affectant dans une École normale, et je percevrai un salaire ! Tu te rends compte ?
– C’est merveilleux.
– Et pour nous, cela va peut-être changer les choses avec ta mère ?
– Je ne sais pas, mais ce n’est plus la même depuis la mort de papa. Elle m’étonne, c’est pas croyable. Je vais sonder.
Elle ria et entoura de ses bras le cou de Patrick. Des passants les remarquèrent, des sourires aux lèvres.
L’après-midi même, un peu mal à l’aise, Monique entreprit de parler à sa mère dès qu’elle arriva de l’usine.
– Maman, j’ai quelque chose d’important à te dire.
– Laisse-moi souffler, tu vois bien que j’arrive d’une matinée éprouvante. Enfin, heureusement qu’il y a Antoine.
– Alors je te parle quand ?
– Jeanne, pouvez-vous servir le déjeuner ? Merci mon petit, dit-elle sans attendre la réponse.
– Après le repas, là, je suis vannée ! Et elle s’effondra dans le fauteuil près du poste de radio. Elle retira ses chaussures à l’aide de ses pieds, les souliers tombèrent au sol.
– Mon Dieu, que je suis fatiguée, dit-elle en fermant les yeux.
Après être sorties de table, Monique et sa mère s’installèrent dans le salon en face à face.
– Je t’écoute ma chérie.
– J’ai appris que Patrick venait de réussir son concours d’entrée à l’École normale. Je suis si heureuse pour lui !
–Tututut, malgré les interdictions de ton père et les miennes, tu continues à le voir ?
– Mais maman, il a sonné ce matin pour m’informer.
– Malgré tout ce qu’on t’a dit, tu continues à voir ce… ce…
– Maman ! Je pense que je l’aime… alors tu peux tout m’interdire, mais tu n’arriveras jamais à m’interdire d’aimer !
– Mais qu’est-ce que j’ai fait au bon dieu pour mériter ça !
– Maman, on fait rien de mal. Ce n’est pas un fainéant, la preuve, et ce n’est pas un imbécile. Alors laisse-moi le voir, on ne fait pas de bêtises.
– Il n’est pas question que tu sois la risée de la rue. Une Lagarde avec un Moinot ! Tu n’y penses pas.
– Si, je ne pense même qu’à ça !
– Écoute ma fille, si tu me jures que ce Patrick ne pose pas la main sur… enfin, tu me comprends, si tu me jures que ce garçon te respecte, je crois qu’il est préférable que tu puisses le rencontrer une fois par semaine. Tu verras alors qui il est vraiment et cela te fera peut-être enfin ouvrir les yeux… Antoine était parfait pour toi, conclut-elle avec un léger pincement au cœur.
– Non, celui-là, je ne lui trouve rien. Pour le reste, je te le jure maman !
– Alors Kliment, il en est où notre Joukov ?
– L’opération a débuté comme prévu. Les défenses japonaises sont enfoncées, mais la résistance est âpre. Joukov estime à quelques jours la liquidation de la 6ème armée japonaise.
– C’est long, Kliment, c’est long, tu le sais ?
– Oui camarade Staline, mais le soldat japonais est un des meilleurs du monde. Il préfère se faire tuer sur place que de céder. J’ai confiance, d’après les rapports reçus, l’affaire est tout de même bien engagée.
– Peut-être, mais l’ennemi résiste toujours. Et s’ils font monter des renforts ?
– Je ne pense pas, les Chinois leur mènent la vie dure. Et puis les distances ne favorisent pas de tels mouvements rapides avec des blindés, des canons et des troupes.
– Kliment, Ribbentrop m’a fait savoir qu’il était prêt à nous rencontrer dès demain pour aller au-delà de l’accord économique. Je n’ai pas encore répondu. Si les Français et les Anglais tergiversent encore, je lui proposerai de rencontrer Molotov dans peu de temps. Tu peux le leur dire. Bonne nuit Kliment.