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Chapitre XIX

La trahison du ministre

La fête est finie !

Accès libre
Mise à jour le 22 novembre 2024
Temps de lecture : 18 minutes

Résumé des chapitres précédents :

Daniel Renoult vit un petit bonheur avec Mado. Elle est très amoureuse et le couple s’installe dans une relation, qui, du fait de l’attachement de Daniel à sa femme Alice, devient de plus en plus complexe. S’ajoute à cela la tension sociale et politique que tout le monde ressent. Mado exprime ses angoisses.

Dans une autre maison, le couple Lagarde s’interroge sur Monique qui a vu les nervis attaquer les ouvriers et même celui qui a tenté de tirer sur Hubert Dieu. Jules Lagarde, qui a mis de l’eau dans son vin pour calmer Monique, est inquiet des conséquences de ses reculs vis-à-vis de la cagoule. Il a l’idée de marier Monique au fils ainé de Giraud, Antoine.

En Asie, Joukov est persuadé d’une prochaine attaque du général Komatsubara. Il n’est pas prêt. Tandis que le Japonais, persuadé de la piètre qualité de l’armée soviétique, va passer à l’offensive.

À Paris, Alice Renoult se confie à Anne Le Bellec qui tente de la rassurer.


Chapitre XIX : La trahison du ministre

30 juin 1939

La Saute-aux-prunes, jamais pressée de rentrer chez elle, avait alpagué un possible micheton qui arrivait encore tout empoussiéré de la carrière. Il l’avait éconduit d’une blague salace et, avec un rire forcé, elle faisait l’enjouée. C’est alors qu’elle entendit le cri strident qui venait du fond de la rue des Groseilliers. Elle ne fit ni une ni deux, et courut voir ce dont il retournait suivie par l’ouvrier. La centaine de mètres qui les séparait de la bicoque d’où pouvait provenir le hurlement fut vite parcourue. La porte était ouverte et, sur le pas, titubait Jeanne Dieu, un morceau de pain toujours coincé sous un bras.

— Qu’est-ce qui t’arrive ? demanda la Saute-aux-prunes. Jeanne ouvrit la bouche, mais pas un son n’en sortait. Elle montra du doigt l’intérieur de la masure.

— Pousse-toi d’là, j’vas voir, fit la Saute-aux-prunes.

Elle entra. Sous ses pieds, des craquements se firent entendre. Elle marchait dans des débris d’assiettes cassées qui baignaient dans ce qui avait été une soupe. Elle regarda à droite, rien, puis à gauche et là, elle vit une forme ratatinée qui semblait se balancer sous la fenêtre. Elle fit un nouveau pas et constata que la femme de Tonton était là, le visage bleu, une langue noire sortant d’une bouche édentée, les yeux exorbités, une grosse ficelle accrochée à la crémone autour du cou. La cordelette s’incrustait dans le peu de chair que la victime avait, en faisant un bourrelet. Sous le poids, pourtant pas bien lourd, l’espèce d’espagnolette était un peu de guingois. Il s’en était fallu de peu pour que les vis arrachent le bois et que tout tombe au sol. Les genoux étaient fléchis, la pauvre vieille semblait encore osciller au milieu de rideaux gris et troués par endroit.

— Ah, merde, fit la Saute-aux-prunes.

Derrière elle, le carrier regardait sans trop comprendre, bouche bée. Jeanne, maintenant le visage en larmes, était déconfite. La Saute-aux-prunes pivota et s’adressa aux deux autres qui étaient sous le chambranle :

— Faut prévenir le médecin et les poulets, pa’ce que là, y a plus rien d’autre à faire. Ousqu’il y a un téléphone ?

— Chais pas, dit l’homme.

— Y en a un chez les Lagarde, mais peut-être que c’est pas une bonne…

— On s’en fout, file là-bas, je reste là et j’attends ton retour.

Jeanne fonça chez les Lagarde. La Saute-aux-prunes regarda le gars :

— Alors qu’est-ce qu’on fait nous deux ?

— Oh, j’me tire, j’ai ma mégère qui va se demander ce que je fous !

— Bon allez, si c’est ça, casse-toi !

Aussitôt seule, elle inspecta la maisonnette qui n’était pas bien grande. Dans la chambre, elle vit sur un mur une photographie dans un cadre où l’on pouvait reconnaître le mariage des Mesnard. En face, au-dessus du lit, un crucifix avec une branche de buis coincée sous les jambes du Christ. Elle ouvrit le tiroir de la table de nuit : une boîte de pilules, une paire de lunettes ébréchées, quelques papiers. Elle referma. Elle tendit l’oreille pour vérifier que personne ne venait.

Elle repassa dans la pièce principale et tira sur les poignées d’un buffet sans style et en mauvais bois. Dans le premier tiroir, elle dégota un porte-monnaie dont elle s’empara pour en vider le contenu dans ses poches. Il lui fallait faire vite. Elle glissa un œil à l’extérieur, personne. Elle retourna dans la chambre et ouvrit une armoire dont les portes grincèrent. Elle passa la main sous les piles de draps et de vêtements et réussit à trouver le résultat de la quête qui avait eu lieu pour le décès de Tonton. Quelques billets de banque dans une enveloppe dont elle s’empara. Elle fourra le tout rapidement dans son corsage.

Pendant ce temps-là, Jeanne était parvenue devant la grille de chez les Lagarde. Elle avait sonné bien qu’elle eût la clef. Elle entra. Elle montait les marches du perron quand la porte s’ouvrit et Monique, l’apercevant livide et la mine chamboulée, lui demanda ce qu’il se passait.

— Ah, mademoiselle Monique, je viens demander un service à madame, figurez-vous que la femme de Tonton Mesnard s’est suicidée, est-ce que madame pourrait appeler la police et le médecin ?

— Mon Dieu ! Entre, Jeanne, entre, je vais prévenir ma mère.

Jeanne entra dans le couloir ferma la porte et elle entendit Monique tout raconter à sa mère.

— Ah, c’est pas vrai ! Nous sommes maudits ! Qu’est-ce que j’ai bien pu faire au bon dieu pour mériter cela ?

— Maman, est-ce qu’elle peut téléphoner ?

— Pour qu’après on nous accuse de j’n’sais quoi ? Mais ma fille, tu n’y penses pas !

Jeanne perçut des pas dans le salon.

— Ah ! Vous êtes là, Jeanne ! Monique vient de me dire en deux mots. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

— Madame, je n’en sais pas plus. J’apportais la soupe à la femme de monsieur Mesnard, et je l’ai trouvée pendue à la fenêtre. Ça m’a fait un choc ! Est-ce que je peux appeler la police et le médecin ?

— La police, le médecin…

— Oui, qu’on soit pas accusées d’avoir rien fait, précisa Jeanne, inquiète de la réaction de sa patronne.

— Ah, oui, vous avez raison mon petit. Vous savez où est le téléphone…

— C’est que, madame… j’ai jamais téléphoné…

— Ah, alors, je vais le faire puisque c’est moi qui fais tout dans cette maison.

Jeanne sentit le rouge lui monter à la figure.

Edmonde Lagarde s’empara de l’écouteur et le posa sur une oreille, elle composa un numéro, et se tourna vers Jeanne, « C’est pratique avec l’interurbain… »

Samedi 1ᵉʳ juillet 1939

La Mercedes arborant les fanions à croix gammée se gara le long des grilles du quai d’Orsay. Le chauffeur en descendit, une espèce de colosse avec un crâne rasé duquel il ôta sa casquette pour la glisser sous son bras. Il ouvrit la portière arrière du véhicule et le comte Johannes von Welczeck en sortit, tandis que derrière cette Mercedes, une autre s’arrêtait d’où trois hommes munis de sacoches pleines de documents s’extirpèrent. Le comte était d’une humeur enjouée, il avait passé une soirée délicieuse en compagnie de Leni Riefenstahl, la grande artiste dont l’œuvre était admirée par Hitler. Chez Maxim’s, le couple avait fait sensation. Il faut dire que von Welczeck était bien fait de sa personne. Un Prussien jusqu’au bout des bottes, longiligne, le regard d’acier, les yeux un peu enfoncés dans leur orbite, une moustache au-dessus de lèvres charnues et sensuelles. Il possédait une haute idée de sa personne, parlait le français, certes avec accent mais impeccablement, de même que l’espagnol. Ambassadeur d’Allemagne en poste depuis 1936, il se rendait à une invitation du ministre Georges Bonnet, dont il avait une piètre opinion. D’ailleurs, en dehors de ceux de sa caste, d’Hitler et de quelques autres, il était homme à apprécier ces interlocuteurs selon la mystérieuse hiérarchie des particules ou selon le niveau connu de leurs portefeuilles d’actions et obligations. Vêtu d’une veste croisée anthracite et d’un pantalon au pli aussi raide que sa posture, il était tiré à quatre épingles.

Avec nonchalance, il s’avança sur l’allée gravillonnée et immédiatement les portes s’ouvrirent pour donner accès à son excellence. Derrière, ses secrétaires et traducteurs suivaient, la mine fière, le pas mesuré afin de garder une distance convenable et protocolaire avec le comte. Le ministre tint à l’accueillir lui-même à la porte du salon des Ambassadeurs qui jouxtait celui de l’Horloge au rez-de-chaussée. Les salutations manquèrent de chaleur et, les courbettes expédiées, Bonnet offrit au comte la possibilité d’entrer le premier dans la pièce où quelques collaborateurs du ministre attendaient, en nombre identique à ceux du comte. Celui-ci nota qu’Alexis Leger n’étant pas présent, une plus grande souplesse dans les négociations serait possible. Georges Bonnet avait demandé cette rencontre pour un examen du statut de la ville de Dantzig.

Sur le côté d’une superbe cheminée de marbre orange, une table avec des viennoiseries, des cafetières et théières avait été préparée. Un homme en livrée, chaîne autour du cou, gants blancs immaculés, patientait. Un service en porcelaine de l’ancien régime avait été sorti des réserves pour l’occasion. Sauf que le comte dédaigna toute boisson et ne trouva pas à son goût croissants, brioches dorées et luisantes aux lumières des hautes fenêtres voilées. Bonnet, dépité, proposa que tous s’installassent.

— Mon cher ami, je vous ai proposé de venir afin de voir avec vous cette délicate question de Dantzig. Le gouvernement et moi-même sommes très soucieux du statut de ville libre que nous sentons menacé par la volonté de votre gouvernement de la rattacher à votre pays.

— Monsieur le ministre, nous sommes tous les deux au courant de la situation et des positions de nos gouvernements respectifs. J’ose espérer que ce n’est pas pour cela que vous m’avez mandé.

— Vous avez raison, soyons clairs. Vous avez obtenu par la force Memel très récemment, cela vous donne accès à la Baltique et contrarie certains de nos alliés.

— Vous parlez des Russes ? Mais mon cher, ne sommes-nous pas d’accord pour empêcher toute extension du fléau communiste ? Déjà, nous avons fait notre devoir en Espagne alors je vous prie…

— Certes, certes, mais, comment dire, une ligne ne doit pas être franchie sous peine d’une guerre que nous ne souhaitons pas. Nos engagements avec la Pologne nous y contraindraient. Me comprenez-vous ?

— Monsieur le ministre, vous le savez comme moi, les engagements sont faits pour ne pas être tenus, vous avez d’ailleurs fort bien fait de vous abstenir de toute intervention en Tchécoslovaquie. Cela n’aurait apporté que misères et deuils à nos peuples. Vous n’allez pas déclarer une guerre pour des Polonais. Moi, attaché à cette terre, la Prusse, celle de mes aïeux, je ne le comprendrais pas. Imaginez aussi le sort de mes compatriotes de Dantzig, enfermés dans cette enclave et cernés par des hordes furieuses ? La situation, qui découle du traité de Versailles, est bien de votre responsabilité, enfin de celle de votre gouvernement.

— Mon cher ami, je partage votre point de vue, mais le président du Conseil reste cramponné à l’idée de soutenir bec et ongles la Pologne. Ce n’est pas tout à fait mon avis. Mais je ne suis pas Édouard Daladier.

— Vous l’avez effleuré tout à l’heure, Dantzig, c’est un port, des chantiers navals, c’est une seconde porte sur la Baltique. Que faites-vous pour empêcher les Russes d’envahir la Pologne, puis l’Europe après avoir englouti le Reich allemand ? C’est la seule vraie question. Tout mon peuple est dressé contre le bolchevisme, nous sommes le seul rempart contre lui. Les démocraties européennes font preuve de mansuétude, d’hésitations, de compromissions avec les bolcheviques. Nous sommes là, et avec nos amis italiens, nous sommes les seuls à nous y opposer radicalement. Et vous me convoquez pour quoi ? Pour me dire de laisser nos frères et sœurs allemands pourrir à Dantzig afin de ne pas énerver Staline ?

Le comte était connu pour ses colères et sa capacité à s’échauffer rapidement. Alexis Leger avait prévenu Bonnet qui fit machine arrière.

— Nous partageons ces vues mon cher, nous partageons. Tenez, je vais vous faire une confidence afin que vous ayez ces données entre vos mains et que vous sachiez que nos objectifs sont moins divergents qu’on ne le croit. Dans notre pays, la France, la population est aujourd’hui unanime derrière son gouvernement.

— Je vous interromps, ce n’est pas ce que je constate. Les meetings communistes sont quotidiens, leurs députés vous étrillent à la Chambre, des manifestations sont quasi hebdomadaires. C’est cela que vous appelez unanimité derrière votre gouvernement ?

— Non, non, laissez cela, nous allons mettre bon ordre à tout ça ! Les élections seront bientôt suspendues, les réunions publiques arrêtées, les tentatives de propagande étrangère, quelles qu’elles soient seront réprimées, et les communistes mis à la raison !

Arrêtons-nous quelques instants sur cette phrase : Les élections seront bientôt suspendues, les réunions publiques arrêtées, les tentatives de propagande étrangère, quelles qu’elles soient, seront réprimées, et les communistes mis à la raison ! réellement prononcée par Georges Bonnet le 1ᵉʳ juillet 1939 lors de son entretien avec l’ambassadeur nazi Welczeck. Elle figure d’ailleurs comme telle dans le Livre jaune, édité en 1939 par le gouvernement pour justifier de sa bonne foi après la déclaration de guerre du 2 septembre. Comment le ministre d’un pays comme la France a-t-il pu s’abaisser à donner ce type d’information au représentant d’une puissance qui menaçait militairement l’Europe toute entière ? Il y a là un mystère d’incompétence, à moins que ce ne fût un signe d’allégeance, démontrant des identités de vues profondes et le souhait d’une Europe sous la domination nazie. Cette phrase, revendiquée par Georges Bonnet, semble effacée des manuels scolaires alors qu’elle illustre la trahison d’État, la soumission à un ordre noir. La haine en suinte. Pourquoi aborder ce point dans une discussion concernant Dantzig ? À nul doute, parce que Dantzig n’est qu’un prétexte. Le fond du problème est peut-être, dans l’esprit de Bonnet, de faire une démonstration de la volonté bien française de mettre le pays au pas, nous n’irons pas jusqu’à dire au pas de l’oie. En tous cas, dans une conversation sur les Affaires étrangères, démonstration est faite que la politique française est destinée au fond à la politique intérieure. Entre les lignes, on peut convenir que cette affirmation révèle et souligne que la soi-disant volonté de s’accorder avec l’URSS et l’Angleterre pour obtenir un accord militaire de protection militaire mutuelle, n’est que du vent. Bonnet souligne explicitement que le principal ennemi à combattre reste le communisme, au besoin en suspendant les élections législatives prévues.

Mais Georges Bonnet, homme méprisable s’il en est, fait une autre révélation. Il affirme qu’un plan est ourdi pour mettre en œuvre ce qu’il laisse entrevoir au nazi. Il apporte la preuve que le travail législatif de Joseph Barthélémy n’est pas une vue de l’esprit, il témoigne que le processus en discussion à la Chambre pour reporter les élections est une urgence. Enfin, il manifeste l’intention de se débarrasser du Parti communiste. L’avenir que laissaient déjà entrevoir les déclarations et messages de Palasse et Payart depuis Moscou, est donc le fruit d’une stratégie mûrement réfléchie. Et même si sa mise en œuvre est complexe, rien n’arrêtera les conjurés, car à ce niveau d’engagement, une conjuration est obligatoirement à l’œuvre.

L’auteur, que je suis, estime que le caractère honteux et masqué de cette entreprise jamais identifiée, même après-guerre, entache l’histoire de notre pays et provoque des incompréhensions chez les citoyens encore aujourd’hui. Oui, il y a conjuration et il est temps que des recherches historiques sérieuses soient engagées.

Bonnet, donc, affirme sa volonté très ferme de faire plaisir à l’Allemagne et à ses dirigeants. Est-ce que Hitler a besoin d’un pays vassalisé comme la France ? Non, il a besoin de l’avoir sous sa domination directe et il veut l’humilier. Il sait que l’Espagne franquiste exsangue lui échappe malgré les faux semblants de soutien affiché par Franco qui ne vit pourtant que sous perfusion de l’Allemagne et de l’Italie. Il a besoin de l’agriculture et de l’industrie française pour réussir à remplir ses objectifs. Si Bonnet avait lu Mein Kampf, il n’aurait peut-être pas estimé nécessaire de faire cette allégeance. Hitler, dans son livre, place la France parmi ses ennemis principaux. Il veut assouvir la vengeance qui fermente dans son esprit torturé depuis la Grande Guerre. La soumission française ne pouvait être que militaire. C’est ce que ne peut ou ne veut comprendre Bonnet dont l’esprit reste étriqué. À la trahison s’ajoute donc la bêtise.

Nuit du dimanche 2 juillet au lundi 3 juillet 1939

C’était une nuit de pleine lune. Il était minuit passé. Il n’y avait pas de vent. On entendait parfois le ululement d’un oiseau nocturne. Il faisait encore tiède, le froid n’allait pas tarder à investir cette région inhospitalière. La rivière était calme, les flots glissaient, ne faisant que quelques clapotis. De la berge, une odeur douce montait, celle de l’eau vive. Soudain apparurent des hommes fortement armés portant sur leurs épaules des barques légères. Comme dans un ballet, ils posèrent de manière parfaite et synchronisée le canot sur l’eau et grimpèrent dedans. Un peu plus loin, une autre équipe faisait de même. Et, si on regardait bien le long du cours d’eau dans la lumière blafarde, on pouvait distinguer fort loin le même geste reproduit par des centaines d’autres hommes.

En quelques instants, la rivière Khalkhin-Gol fut recouverte d’esquifs qui, manœuvrés habilement, glissaient sans un bruit en direction de la rive opposée. Les soldats ramaient sans que leurs pagaies ne fassent de bruit, sans remous, on entendait à peine le froissement de quelque étoffe.

Derrière les dunes qui bordaient la rivière, les soldats mongols de garde somnolaient. Le soleil avait tapé dur, la première fraîcheur de la nuit était attendue avec impatience. Dans l’enclos pour les chevaux, ceux-ci s’ébrouèrent légèrement. L’un d’entre eux, peut-être sensible à l’odeur nouvelle des Japonais qui prenaient pied, s’alarma. Il remua les babines dans un curieux bruit. Les hommes qui attaquaient avaient tiré quelque peu leurs canots sur le sol et baïonnette en main, fusil au dos, avançaient en tapinois en direction des sentinelles peu attentives. Dès qu’ils en furent proches, ils s’élancèrent, sans un bruit, poignardant, entaillant, égorgeant les Mongols. Un seul eut le temps de crier avant que sa voix ne se perde dans un gargouillis.

Alors, les militaires mongols alarmés se dressèrent, debout, hirsutes, émergeant de leur couverture posée à même le sol. En un clin d’œil, ils comprirent la situation, ils ne faisaient pas le poids. La 6ème cavalerie était en pleine débandade face aux Japonais qui, sur la rivière, construisaient avec efficacité un pont de bateaux. Il n’y avait personne sur les hauteurs longeant le cours d’eau, l’armée nipponne se déployait tranquillement. Ce n’est qu’au petit matin qu’un commandant soviétique, monté sur son cheval, voulant se dégourdir d’une nuit trop calme, décida de rendre visite aux avant-postes alliés et tomba nez à nez avec l’avant-garde japonaise.

Stupéfait, il n’eut pas le temps de réfléchir à la disparition de la cavalerie mongole, il fonça vers sa division, cerné par les balles qui le frôlaient. Il fouetta son cheval au sang. Les tirs cessèrent, il était déjà hors d’atteinte. La simple promenade s’était métamorphosée en une cavalcade mortelle contre-la-montre. Arrivé à son poste de commandement, il fit sonner le branle-bas et téléphona immédiatement à Joukov.

Passé la surprise, Joukov ordonna aux troupes soviétiques qui tenaient les avant-postes de ne pas reculer d’un pouce. Il harcela son ordonnance Vorotnikov qui dégota une Ford-8 à deux portes et, tous les deux s’élancèrent sur la piste en direction de la rivière. Ils n’avaient fait que quelques kilomètres lorsqu’une canonnade leur indiqua que l’engagement était commencé et que les ordres semblaient respectés.

Les Japonais avaient déjà pénétré le territoire sur une profondeur de dix kilomètres sans rencontrer la moindre résistance. Joukov savait qu’il jouait gros !

La suite au prochain chapitre, le 23 novembre.
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Chapitre XVIII Les nerfs à rude épreuve

Daniel était perturbé. Durant la semaine, les évènements s’étaient succédé rue des Groseilliers. L’entreprise tournait, la porte avait été réajustée et la police avait disparu. D’abord, Jules Lagarde était venu les rencontrer, le maire Fernand Soupé et lui-même en Mairie. Qu’elle n’avait pas été leur surprise quand Lagarde avait annoncé que tout était un malentendu. D’ailleurs, il avait retiré sa plainte contre les salariés qu’il avait réembauchés.