Ce mercredi 15 mai, des manifestations sont prévues à l’occasion des 76 ans de la Nakba (désastre ou catastrophe en arabe) qui qualifie l’exode de la population palestinienne lors de la guerre israélo-arabe de 1948. Ce sera le cas au départ du campus universitaire Moulin-Lille (la fac de Droit).
Les syndicats étudiants, dont l’UNEF, appellent bien-sûr à rejoindre cette marche. Les organisations jeunesse organisent par ailleurs la manifestation prévue ce samedi 18 mai à Lille.
« La mobilisation des jeunes pour soutenir le peuple palestinien n’a rien de neuf », souligne le secrétaire général de l’UNEF Lille, Nikolaz Richard-Besche. Pourquoi alors montrer du doigt les blocages de Sciences Politiques à Paris et dans les antennes régionales ? À Lille, les étudiants ont vainement tenté de bloquer leur établissement le 2 mai avant de se reporter vers l’École supérieure de journalisme voisine. Ils se sont massés devant le bâtiment et ont organisé des prises de parole.
Le directeur de l’ESJ, Pierre Savary, a exprimé ses regrets devant ce qu’il considère comme une « entrave au droit à l’enseignement » et une « impossibilité d’être dans le débat, la réflexion et la prise de recul ».
Pour l’historien du journalisme Alexis Lévrier, connu pour son regard critique sur le fonctionnement des médias et le rôle des grands groupes, le blocage d’une grande école de journalisme par des étudiants fait également débat. « Triste symbole, ces étudiants radicalisés, écrit-il sur X (ex-tweeter) qui se réunissent devant la meilleure école de journalisme pour hurler leur détestation des médias. Lieu de débat, d’ouverture et de formation de l’esprit critique, l’ESJ Lille mérite mieux que cette intolérance décomplexée. »
Les attaques ainsi portées sur les jeunes sont d’autant étonnantes qu’on leur reproche habituellement une implication insuffisante dans le débat politique. En fait, tout débat devient au mieux suspicieux, au pire explosif dès lors que l’on met la question d’Israël et de la Palestine sur la table. Les expressions manquent rapidement de nuance : « islamo-gauchisme », « antisémites », « soutien aux terroristes du Hamas », etc.
L’Élysée et Matignon s’en mêlent
L’affaire monte d’un cran politique extraordinaire quand une étudiante de l’Union des étudiants juifs de France affirme s’être vu refuser l’accès à un amphithéâtre de Sciences Po Paris, occupé par des étudiants du comité Palestine. Elle aurait été accusée d’être « sioniste ». Aussitôt, une enquête interne est lancée avec signalement au procureur de la République. L’Élysée saisit l’occasion et condamne a priori. Le Premier ministre, Gabriel Attal s’invite au Conseil d’administration de l’Institut et s’en prend à une « direction jugée trop permissive vis-à-vis de l’antisémitisme. », lit-on dans le quotidien Le Monde. L’intervention du chef du gouvernement est telle qu’elle offusque les doyens et directeurs de Sciences Po.
« Dès octobre, raconte Nikolaz Richard-Besche, nous avons pris part aux rassemblements et manifestations en soutien au peuple palestinien, à Lille. Immédiatement, nous avons rencontré des difficultés avec l’université qui refusait de nous fournir des salles et nous avons eu droit à un contrôle de police sur un campus de la cité scientifique suite à une distribution de tracts sur la question palestinienne. Or, le texte portait à 80 % sur les examens. Seules quelques lignes appelaient à manifester le weekend suivant pour le peuple palestinien. »
Chape de plomb
Cela n’a pas empêché les syndicats étudiants d’organiser des conférences et des temps de discussion en octobre et en novembre. La mobilisation de 200 universités aux États-Unis a sans nul doute provoqué un réveil des étudiants en France avec des initiatives dans les universités et à Sciences Po. On a constaté la même chose ailleurs en Europe. « Les étudiants ont réagi avec beaucoup plus d’ampleur qu’en 2021 en raison, surtout, de la pression gouvernementale et de l’idéologie dominante pour se ranger de manière inconditionnelle derrière l’État d’Israël », commente Nikolaz Richard-Besche.
Et d’ajouter : « Vis-à-vis du Hamas, nous n’avons aucune ambiguïté. L’attaque du 7 octobre est inacceptable, mais plus de sept mois de bombardements à Gaza et maintenant les attaques sur Rafah, ce n’est pas moins acceptable. »
Alors oui, les étudiants demandent que l’on mette fin aux partenariats franco-israéliens. Mais le jeune syndicaliste met un bémol. Il ne s’agit pas de stopper les relations interuniversitaires. « Nous protestons contre les partenariats avec des organismes ou des institutions israéliennes qui bafouent les résolutions de l’ONU et qui participent à la colonisation de tout un peuple. »
Les directions universitaires regardent la situation d’un autre œil. Le président de l’Université de Lille, Régis Bordet, n’a pas manqué de prendre un arrêté pour fermer, le temps d’un long week-end, le campus de Pont de Bois (l’université de lettres et d’Histoire à Villeneuve d’Ascq). La raison ? Assurer la sécurité du lieu.
« On a vu cela aussi lorsque le mouvement contre la réforme des retraites était au plus fort », se souvient Nikolaz Richard-Besche. Mais cela n’empêche pas les étudiants de se réunir, de discuter, d’organiser des AG. Pour lui, le débat sur l’antisionisme que l’on veut assimiler à de l’antisémitisme « pose une chape de plomb sur tout débat concernant Israël et notamment les questions portant sur la colonisation et la confiscation des terres. Au final, les classes dominantes veulent faire accepter le massacre en cours. »
Il est hors de question pour lui et son syndicat de se monter complaisants vis-à-vis du Hamas, ni bien sûr de nier « la poussée antisémite, complotiste et réactionnaire constatée après le 7 octobre. » Mais il ne faut pas tout confondre. « Le soutien au peuple palestinien n’est pas de l’antisémitisme, bien au contraire. Il faut développer ce soutien, souhaiter davantage de voix en Israël contre la politique de Netanyahou, multiplier le débat. C’est en refusant de débattre que l’on favorise l’antisémitisme. »