Contrairement à l’image que l’on en donne souvent, « Haaretz » (en français « La terre d’Israël ») n’est pas un journal de gauche et encore moins d’extrême gauche. Créé en 1919, il se situerait plutôt au « centre-gauche ». Et encore, ce n’est pas vrai pour sa ligne éditoriale concernant l’économie. Son supplément économique « The Marker » défend l’économie libérale comme de nombreux autres titres israéliens conservateurs (« Yediot Aharonot », « The Jerusalem Post », « Maariv », « Israël Ayom »...).
Contre la colonisation et la corruption
L’originalité de Haaretz tient en fait dans une ligne favorable à une solution à deux états, donc à la reconnaissance d’un État palestinien. Il a soutenu les accords d’Oslo et se montre très critique à l’égard de la colonisation, même s’il donne aussi la parole aux colons. Il est aussi le seul quotidien israélien dont une journaliste, Anne Hass, s’est installée à Ramallah, en territoire occupé.
Cette ligne s’est renforcée en 2008 lorsque Dov Alfon en a pris la rédaction en chef. Cet ancien officier de l’armée israélienne et membre des services secrets est entré au journal Haaretz en 1988. Il est depuis 2020 à la tête du quotidien français « Libération ».
Autre point à noter concernant « Haaretz », il se bat depuis longtemps contre la corruption. Ses articles contre Ehud Olmert, l’ancien Premier ministre d’Israël, ne sont pas pour rien dans la condamnation et l’emprisonnement de ce dernier.
Avec un tel pedigree, le journal qui fait référence et passe pour être l’organe de l’intelligentsia, ne pouvait que s’attirer les foudres du pouvoir. D’autant qu’il possède une édition en anglais pour l’international et qu’il est diffusé sur papier et en édition numérique. S’il ne tire, en Israël, qu’à 75 000 exemplaires (l’édition papier est achetée par moins de 5 % du lectorat), bien loin derrière « Yediot Aharonot » (entre 300 000 et 600 000 exemplaires) ou le pro-likoud gratuit « Israël Ayoum » (255 000 exemplaires) il dérange particulièrement.
À lire aussi
Gaza : Un cri de colère pour la liberté de la presseLe portefeuille et la prison
On comprend dès lors que, ces derniers mois, les attaques se sont multipliées contre le quotidien. Ce n’est pas nouveau. Le ministre des Communications, Slomo Karhi, est à la manœuvre depuis longtemps. Les ministres de l’Intérieur et de la Culture ne sont pas moins actifs. Leur arme est bien connue des régimes autoritaires : toucher au portefeuille et utiliser les poursuites judiciaires. Depuis le 31 octobre, Haaretz ne peut plus recevoir de publicités gouvernementales. Cela va aggraver dangereusement ses difficultés financières. Le ministre Slomo Karhi en rêvait et avait déjà fait une tentative en ce sens il y a un an. Le voilà exhaussé.
Second volet : le ministre de la Justice a souhaité un projet de loi visant à emprisonner les Israéliens qui se prononcent pour des sanctions contre les dirigeants du pays. Une résolution a été présentée le week-end dernier aux ministres sur l’ensemble de ces dispositions, passant outre le procureur général qui n’a pas eu le loisir de l’examiner et de donner un avis.
Désormais, tout contact est interdit entre les institutions de l’État et « Haaretz ». En Israël, on ne peut pas parler de la guerre dans la bande de Gaza, en Cisjordanie et au Liban. La censure n’est pas officielle, mais elle est réelle. Avec les mesures décidées contre le quotidien Haaretz, elle est désormais inscrite clairement dans le paysage.