« Depuis quelques jours, nous avons compris de leurs brefs messages que leur vie ne tenait plus à grand-chose et que leur courage, consacré depuis de longs mois à informer le monde entier, ne les aidera pas à survivre. Nous risquons d’apprendre leur mort à tout moment et cela nous est insupportable. »
Dans un communiqué publié le 21 juillet, la société des journalistes (SDJ) de l’Agence France Presse relate les témoignages de deux journalistes de l’agence sur place. « Je n’ai plus la force de travailler pour les médias. Mon corps est maigre et je ne peux plus travailler », écrit l’un d’eux dans un message sur Facebook le 19 juillet. Il a 30 ans et travaille et vit dans des conditions égales à celles de tous les Gazaouis, allant d’un camp de réfugiés à un autre, au gré des bombardements israéliens.
Il n’y a plus rien à acheter
« Bashar, lit-on dans le communiqué de la SDJ, vit depuis février dans les ruines de sa maison de Gaza avec sa mère, ses quatre frères et sœurs et la famille d’un de ses frères. Leur maison est vide de tout aménagement et confort, à part quelques coussins. Dimanche matin, il a rapporté que son frère était ’’tombé à cause de la faim’’. »
Même s’ils reçoivent un salaire mensuel de l’AFP, les journalistes ne peuvent plus rien acheter, ou alors, à des prix exorbitants. Il n’y a plus de système bancaire. « Ceux qui pratiquent le change entre les comptes bancaires en ligne et l’argent liquide prennent une commission de près de 40 %. L’AFP n’a plus la possibilité d’avoir un véhicule et encore moins de l’essence pour permettre à ses journalistes de se déplacer pour leur reportage. » De toute façon, souligne la SDJ, se déplacer en voiture, c’est risquer d’être pris pour cible par l’aviation israélienne. « Les reporters de l’AFP se déplacent donc à pied ou en charrette tirée par un âne. »
Ahlam, une autre journaliste de l’équipe, travaille dans le sud de l’enclave et affirme sa volonté de témoigner aussi longtemps que possible. Mais, dit-elle, « à chaque fois que je quitte la tente pour couvrir un événement, réaliser une interview ou documenter un fait, je ne sais pas si je reviendrai vivante. » Pour elle, « résister n’est pas un choix : c’est une nécessité. »
On sait depuis longtemps déjà que l’armée israélienne n’hésite pas à prendre les journalistes pour cibles. Selon l’organisation Reporters sans frontières (RSF), 200 d’entre eux auraient été tués depuis le début du conflit. Sur le terrain, les reporters sont pourtant reconnaissables. Depuis deux ans, la presse internationale est interdite d’entrer à Gaza. Les journalistes staff de l’AFP ont quitté le territoire courant 2024. L’agence travaille désormais avec une journaliste pigiste texte, trois photographes et six pigistes vidéo. Ils sont palestiniens.
« Depuis que l’AFP a été fondée en août 1944, écrit encore la SDJ dans son communiqué, nous avons perdu des journalistes dans des conflits, nous avons eu des blessés et des prisonniers dans nos rangs, mais aucun de nous n’a le souvenir d’avoir vu un collaborateur mourir de faim. » Ces témoignages et appels au secours de ces journalistes vont-ils faire davantage réagir les États européens ? Ils ne laisseront certes pas indifférents, mais Israël n’entend pas se laisser impressionner. Netanyahou et ses ministres n’écoutent pas les 25 États et les ONG qui demandent la fin de la guerre. Concernant les journalistes sur place qui parviennent encore à s’exprimer, ils crient au mensonge et à la manipulation.
La famine comme arme de guerre
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Mourir de faim ou sous les balles
Répondant aux accusations d’Israël, le directeur général de l’AFP, Fabrice Fries, enjoint le pouvoir et l’armée à « faire entrer les journalistes étrangers qui viendront témoigner avec leur regard. » Il souligne par ailleurs que les journalistes de l’agence, « sur le terrain, font un travail extrêmement professionnel, avec un courage exemplaire, mais ils sont en train de craquer en raison de la fatigue et de la faim. Leurs habitations sont détruites. La plupart dorment soit sous des tentes, soit dans les débris de leurs propres habitations. Beaucoup de leurs proches ont été tués et la faim les gagne comme tous les habitants du territoire. » La direction de l’agence souhaite faire évacuer ses collaborateurs.
Récemment, le ministre des Affaires étrangères israélien, dans un échange avec plusieurs de ses homologues à l’étranger, continue à affirmer qu’il n’y a pas de famine organisée. « C’est le Hamas, accuse-t-il, qui empêche l’aide d’arriver ». Les images qui nous parviennent montrent pourtant le contraire.
Directeur de l’observatoire des pays arabes, Antoine Basbous parle de « l’horreur sur terre. La famine organisée est utilisée comme arme de guerre qui complète les bombes et l’état de siège. Quand on voit les enfants décharnés, quand on voit les femmes pleurer, quand on voit les tirs sur les lieux d’attroupement où les aides humanitaires sont livrées, on se demande comment on peut, au XXIème siècle, assister à ces scènes sans réagir. » Et de conclure : « 80 ans après la Shoah, on voit des scènes qu’on aurait pu voir dans les camps. Cela laissera des traces. »
Pendant ce temps, l’action militaire continue avec son lot quotidien de morts. L’armée entend maintenir sa présence sur la durée.