Malgré des mesures de protection, la tension monte entre Bruxelles et Kiev.
Une invasion d’œufs à bas coût
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : l’UE a acheté 7 fois plus d’œufs coquille et d’ovoproduits (poudres, liquides pasteurisés) à l’Ukraine en 2023 par rapport à 2021, devenant le troisième fournisseur du marché. Un bond de 84% par rapport à 2022 est relevé, selon les données de la Commission européenne. Cette progression fulgurante s’explique par la levée des barrières commerciales décidée après l’intervention militaire russe. Objectif affiché : soutenir l’économie ukrainienne.
Mais cette ouverture a ouvert la boîte de Pandore. Les coûts de production ukrainiens, jusqu’à 48 % inférieurs à ceux de l’UE, permettent aux exportateurs de proposer des prix imbattables. Une douzaine d’œufs ukrainiens se vend ainsi à 1,20 € contre 1,70 € en moyenne pour un produit européen. « Leurs normes sanitaires et environnementales sont moins exigeantes, et la main-d’œuvre est sous-payée », dénonce Jean-Marc Chapuis, éleveur français et porte-parole de la Fédération avicole européenne.
Les industriels de l’agroalimentaire, eux, y trouvent leur compte. Les ovoproduits ukrainiens, utilisés dans les plats préparés ou les pâtisseries, réduisent leurs coûts. « C’est une question de survie face à l’inflation », justifie un cadre d’un géant de la restauration rapide sous couvert d’anonymat.
Une clause de sauvegarde trop fragile
Face à la grogne des éleveurs, l’UE a instauré en juin 2023 une clause de sauvegarde : les importations d’œufs ukrainiens sont plafonnées à 50 000 tonnes par trimestre, avec des droits de douane au-delà. Problème : ces quotas restent bien supérieurs aux volumes historiques. Résultat, les importations ont continué d’augmenter, dépassant parfois les limites autorisées.
En cause, des failles juridiques et une surveillance lacunaire. « Les œufs sont parfois déclarés comme "produits transformés" pour contourner les restrictions », explique Maria Sokolova, experte en commerce international. La guerre complique aussi les contrôles : les douaniers ukrainiens, surchargés, peinent à certifier l’origine des produits.
Les conséquences sont lourdes pour l’Europe. En Pologne, premier producteur d’œufs de l’UE, les prix ont chuté de 22 % en un an. En France, 15 % des élevages sont menacés de fermeture. « On nous demande de respecter le bien-être animal ou la traçabilité, mais ces règles ne s’appliquent pas aux importations. C’est un double standard », s’indigne Clara Dupont, éleveuse en Bretagne.
Transformés en poudres, liquides ou congelés, les ovoproduits représentent 60 % des exportations ukrainiennes vers l’UE. Invisibles pour les consommateurs, ils sont utilisés dans l’industrie agroalimentaire (biscuits, mayonnaises, etc.). Leur avantage ? Un coût jusqu’à 50 % moins élevé que les ovoproduits européens.