Le sommet de l’OTAN tenu à La Haye en juin 2025 a marqué un tournant. L’objectif fixé aux membres européens — consacrer 5 % de leur PIB à la défense d’ici à 2035 — représente plus du double de l’engagement pris en 2014. Derrière la rhétorique sécuritaire sur la « menace russe », cet objectif correspond avant tout à une exigence américaine visant à transférer le fardeau du financement militaire aux alliés.
Cinq pour cent, mais pour qui ?
Mais l’argent ne va pas dans la construction d’une « souveraineté européenne ». Il part à 80 % vers les géants de l’armement américain : Lockheed Martin, Raytheon, General Dynamics. Les commandes explosent — avions F-35, missiles Patriot, drones Reaper — au bénéfice d’un appareil militaire que l’Europe ne maîtrise pas. Cette stratégie installe une dépendance verrouillée, tant sur le plan technologique qu’opérationnel. En cas de tension politique, ces matériels peuvent être désactivés à distance, ou bloqués par un simple veto américain.
Parler de défense européenne dans ces conditions relève de l’hérésie. Il n’existe ni doctrine commune, ni commandement indépendant, ni armée intégrée. L’Europe reste une mosaïque d’industries militaires nationales incapables de converger. Le concept même de défense européenne ne repose sur aucune réalité structurelle : c’est une façade. Les équipements sont importés, les décisions déléguées, la chaîne de contrôle externalisée.
Et le prix à payer est colossal. Les 5 % du PIB annoncés représentent plus de 500 milliards d’euros supplémentaires par an à l’échelle du continent. Ces crédits ne tombent pas du ciel. Ils seront prélevés ailleurs : dans l’éducation, la santé, les retraites, la transition écologique. Les budgets sociaux sont déjà ciblés pour absorber l’impact. On parle d’« arbitrages douloureux » : c’est-à-dire d’un effacement progressif des priorités sociales au nom de la logique de guerre. L’Europe finance une puissance extérieure, tout en renonçant à ses propres marges de manœuvre.
L’illusion du retrait américain
Le désengagement militaire des États-Unis en Europe est largement illusoire. S’ils réduisent leur présence directe et ferment certaines bases, ils renforcent leur emprise stratégique par d’autres canaux : normes imposées, technologies verrouillées, et surtout captation de la commande publique d’armement.
Le prétendu retrait s’accompagne d’une addiction organisée au complexe militaro-industriel américain. L’Europe paie plus, pour rester dépendante. Cette dynamique ne relève pas d’un choix stratégique, mais d’un transfert délibéré du fardeau. L’État fédéral américain, confronté à une dette abyssale, cherche à alléger ses propres dépenses militaires en les reportant sur ses alliés. Ce n’est pas une réduction du train de vie militaire américain, c’est sa continuité par d’autres poches.
La même logique s’applique aujourd’hui en Asie. Le Japon, sommé de revoir sa doctrine pacifiste, multiplie les acquisitions de missiles américains. La Corée du Sud, poussée à se réarmer face à la Chine, finance, elle aussi, la même machine de guerre. Même stratégie, même dépendance, même facture.
C’est une réduction du train de mort américain… financée par ses vassaux.