Le 13 octobre 2025, le porte-conteneurs chinois Istanbul Bridge arrivait au port britannique de Felixstowe après avoir emprunté cette route. C’était une première. Un tournant, même. Bardé de voitures électriques, de batteries au lithium et de produits photovoltaïques, il a rejoint le continent européen en seulement 20 jours. Par les routes classiques, Suez ou le cap de Bonne-Espérance, cela aurait pris 40 à 50 jours. Chinois et Russes ne se privent pas d’ajouter que cela a réduit les émissions de CO₂.
Une nouvelle artère du commerce mondial
Longtemps cantonnées aux cartes d’explorateurs et aux fantasmes géopolitiques, l’intérêt pour les routes maritimes du Nord explose. Longeant les côtes arctiques russes, cette route relie l’Atlantique au Pacifique par le nord de l’Eurasie. Elle contourne l’Europe et l’Asie par le haut, là où la glace faisait jusqu’ici office de mur naturel.
Mais la fonte accélérée de la banquise combinée aux capacités russes en matière de brise-glaces – notamment nucléaires – ouvre des fenêtres de navigation de plus en plus longues. Là où la route était saisonnière et risquée, elle devient régulière, prévisible, presque routinière.
Moscou assume sa stratégie. Investissements portuaires, flotte dédiée, encadrement administratif. Elle veut construire un corridor organisé, piloté, sécurisé.
L’intérêt est d’abord économique. En contournant Suez et le cap de Bonne-Espérance, les trajets Europe-Asie sont raccourcis de plusieurs milliers de kilomètres. Moins de jours en mer, moins de carburant, moins d’exposition aux goulets d’étranglement géopolitiques comme la mer Rouge. Pour le transport de marchandises stratégiques (énergie, minerais, véhicules, équipements industriels), le gain est considérable. Le temps logistique devient un avantage compétitif et il se déplace vers le Nord.
Ce mouvement attire logiquement les grandes puissances industrielles. La Chine y voit une extension naturelle de ses routes commerciales, une « route polaire » complémentaire de ses corridors terrestres et maritimes. L’Inde, les pays du Golfe, mais aussi certains acteurs européens observent de près cette bascule. Non par fascination arctique, mais par réalisme industriel. Quand les chaînes de valeur se tendent, quand les mers du Sud deviennent instables, le Nord cesse d’être une périphérie.
Un énième exemple du déplacement du centre de gravité qui s’opère
Les routes maritimes du Nord ne sont pas un simple raccourci. Elles traduisent une recomposition plus large des échanges mondiaux, où l’infrastructure précède la diplomatie. Comme souvent dans l’histoire, ce sont les voies de circulation qui redessinent les rapports de force, bien plus sûrement que les discours.
Hasard du calendrier (ou pas), Donald Trump signait le 8 octobre 2025 un mémorandum autorisant la construction de brise-glaces pour renforcer la présence américaine dans l’Arctique. En pratique, l’industrie et les chantiers navals américains ne sont pas en mesure de suivre pour le moment.
Un mois plus tard, le 18 novembre, la Russie lançait à Saint-Pétersbourg la construction d’un nouveau navire brise-glace à propulsion nucléaire… baptisé « Stalingrad ». Ça ne s’invente pas. Avec ses 173 mètres de long et ses 34 mètres de large, il pourra atteindre une vitesse de 22 nœuds (40 km/h) et briser la glace jusqu’à trois mètres d’épaisseur.
Notons enfin que le développement de telles infrastructures sur un territoire si vaste exigerait des efforts de modernisation considérables, sans que des profits puissent être engrangés immédiatement. Bien que les perspectives à long terme soient très prometteuses, il y a fort à parier que ce seront des entreprises nationales qui feront le gros du travail. À suivre.
| Nombre de brise-glaces opérationnels | |
|---|---|
| Russie | 47 |
| Canada | 19 |
| Finlande | 8 |
| Chine | 6 |
| Suède | 4 |
| États-Unis | 3 |
| Japon | 1 |
| Norvège | 1 |
| Grande-Bretagne | 1 |
| Source : Bloomberg | |