Entre répression, morts en mer et déni des droits fondamentaux, la France est devenue une zone tampon au service des intérêts britanniques. Retour sur un dispositif qui, loin de résoudre la crise migratoire, l’aggrave.
Retour aux origines
Depuis son origine, l’Europe économique et politique n’a pas été conçue pour être l’espace géographique ouvert à la libre circulation des personnes comme le prétendaient ses promoteurs. Il suffisait de lire le traité sur l’Union européenne de 1992, communément nommé traité de Maastricht, pour que le vocabulaire révèle les intentions.
Dans le document diffusé aux Français pour le référendum du 20 septembre 1992, la libre circulation des capitaux y apparaît à 25 reprises, celle des flux financiers 24 fois, la libéralisation (privatisation) des services 9 fois et la libre circulation des marchandises 6 fois. La libre circulation des personnes y apparaît 5 fois et la mise en place de droits communs pour les personnes 3 fois. L’analyse lexicale était claire, d’abord le capital ; ensuite les êtres humains pour le servir.
En lançant sur les routes de l’exil des millions de personnes, la multiplication des conflits régionaux, les bouleversements climatiques alliés aux ravages de la spéculation mondiale allaient justement révéler cette évidence : l’Union européenne n’a pas été faite pour le bien des peuples.
En France, dernière frontière avant l’Eldorado supposé qu’est la Grande-Bretagne pour des millions d’exilés, le traité du Touquet signé en février 2003 enfonçait le dernier clou sur le cercueil des espérances déçues. Mais qu’est-ce que cet accord franco-britannique qui institue la frontière britannique dans les ports de Calais, Boulogne-sur-Mer et Dunkerque côté français et à Coquelles (Pas-de-Calais), petite commune où s’ouvre le tunnel sous la Manche ?
La frontière franco-anglaise dès Marne-la-Vallée
Ce fait est d’ailleurs inexact. La frontière avec la Grande-Bretagne commence en réalité à la gare du Nord, à Paris, voire dès Marne-la-Vallée-Chessy pour les passagers de l’Eurostar.
Comme le Royaume-Uni ne fait pas partie de l’espace Schengen, il existe un « prédédouanement » entre ce pays et ses voisins européens, la France et la Belgique dans le cadre de la mise en service du tunnel sous la Manche, des navettes d’Eurotunnel (le Shuttle, dite la Bétaillère pour les habitués) et d’Eurostar.
Contrairement à ce qu’on croit, la réciproque existe puisque la frontière française commence aussi en Grande-Bretagne, notamment dans des gares d’embarquement comme Londres-Saint-Pancras, Ashford ou Ebbsfleet International. Le prédédouanement autorise le contrôle par les services de douane et d’immigration d’un pays chez l’autre.
Ces mesures sont antérieures aux accords du Touquet-Paris-Plage. Elles furent signées le 25 novembre 1991 à Sangatte (Pas-de-Calais). Officiellement, il s’agissait de faciliter le déplacement des voyageurs d’un pays vers l’autre. Mais rapidement, les gouvernements français et britanniques étendirent le champ d’intervention du contrôle douanier aux contrôles de police.
Calais, ville-frontière anglaise
La chute des pays socialistes s’était accompagnée de politiques xénophobes dont les premières victimes furent les tsiganes. Les premiers exilés, une soixantaine de Roms tchèques arrivèrent en octobre 1997 au port de Calais. Débarqués à Douvres, ils furent renvoyés vers Calais.
En février 1998, 65 clandestins étaient interceptés à Coquelles, cachés dans un camion. Très rapidement, des centaines, puis des milliers de réfugiés affluèrent vers Calais au point qu’un centre d’accueil sans moyens s’établit à Sangatte. Face à l’afflux de réfugiés, le 29 mai 2000, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Intérieur, signait à Bruxelles un texte permettant l’expulsion sans délai des personnes demandant l’asile depuis l’État d’arrivée (la Grande-Bretagne) vers l’État de départ (la France).
La frontière britannique s’établissant dès la France, il suffit à leurs autorités de rejeter les demandes d’asile pour qu’un demandeur soit refoulé… de Calais (britannique) à Calais (France) par exemple. Une situation ubuesque quand on connaît l’histoire de Calais, reprise aux Anglais… en 1558 !
Ces accords eurent pour effet immédiat de réduire le nombre de personnes arrivant illégalement au Royaume-Uni, mais accrurent les problèmes à Calais. Au point qu’en 2015, « la jungle de Calais » comptait jusqu’à 7.000 exilés.
Accords du Touquet 2025 ... de pire en pire
D’autres accords, en 2009, 2010 et 2014 décidèrent que la Grande-Bretagne finance les contrôles et la sécurisation des sites de transit dans le calaisis. En 2016, un avenant fut signé pour renforcer la sécurité autour du port et du tunnel. En 2018, le traité de Sandhurst établit qu’en matière de sécurité, le Royaume-Uni doit financer une partie des actions menées par la France à la frontière, sur le sol français où se déroulent les contrôles de personnes.
Toutes ces politiques échouent même si, le 27 février 2025, toujours au Touquet le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, et son homologue britannique, Yvette Cooper se félicitaient que les traversées réussies ont baissé de 41 % et le nombre de migrants qui ont effectué la traversée a réduit de 32 %.
Dans le bilan, ces ministres s’assoient sur les 490 morts noyés depuis 1999. Lors de sa rencontre de novembre 2024 avec les maires de Boulogne/Mer et de Calais, Bruno Retailleau n’avait d’ailleurs pas eu un mot pour les 89 victimes de l’année.
Alors que de plus en plus de voix s’élèvent pour revoir les accords du Touquet, le ministre français plaide pour une « nouvelle doctrine » accroissant la répression comme l’abordage de bateaux traversant la Manche.
Il est bizarrement moins empressé lorsque des navires-usines britanniques et hollandais se positionnent face aux Caps Gris-Nez et Blanc-Nez et ravagent les fonds marins.