Une stratégie qui menace le modèle exportateur allemand et place l’Union européenne dans une position de dépendance inédite.
Une hémorragie industrielle sans précédent
Jamais depuis la crise financière de 2008 l’économie allemande n’avait connu une telle vague de suppressions d’emplois. En six semaines, près de 125 000 postes industriels ont été rayés de la carte, portant à 250 000 le total des pertes depuis 2019. L’automobile concentre l’essentiel de l’hécatombe : Volkswagen (35 000 emplois), Mercedes-Benz (40 000), Audi (7 500) ou encore Ford (2 900) procèdent à des restructurations massives. Les équipementiers de rang mondial comme ZF, Bosch ou Continental sont tout autant fragilisés.
La sidérurgie (Thyssenkrupp), le ferroviaire (Deutsche Bahn), la logistique (Deutsche Post), la banque (Commerzbank) ou la technologie (SAP) n’échappent pas à la tourmente. En parallèle, le produit intérieur brut ne devrait croître que de 0,2 à 0,3 % en 2025, un quasi-marasme pour la première économie européenne, après deux années consécutives en récession. La demande intérieure comme extérieure est en berne, tandis que le chômage industriel atteint un seuil inédit depuis dix ans.
Pressions américaines et dépendance stratégique
À cette fragilité s’ajoute une pression extérieure, celle de l’administration Trump. Washington agite la menace de tarifs douaniers punitifs – 50 % sur l’acier et l’aluminium – pour pousser les industriels européens à transférer leurs usines aux États-Unis. Le procédé, dénoncé par certains économistes comme une « stratégie coloniale », vise à relancer la base manufacturière américaine en ponctionnant la substance industrielle allemande.
Les négociations entre Bruxelles et Washington n’ont pas inversé cette tendance. Ursula von der Leyen, présidente de la Commission, aurait accepté plusieurs demandes américaines en échange d’une garantie de sécurité face à une supposée « invasion russe ». Pourtant, les surtaxes demeurent, renforçant le sentiment d’une capitulation. Pour les industriels allemands, l’équation est simple : payer pour accéder au marché américain ou délocaliser. Hyundai et plusieurs groupes japonais ont déjà dû céder à ce type d’ultimatum.
Dans ce contexte, la peur de perdre l’accès au marché américain et la rhétorique sécuritaire autour de la Russie enferment l’Allemagne et l’Union européenne dans une relation de dépendance. Une dépendance d’autant plus préoccupante que la transition énergétique, coûteuse et complexe, ébranle déjà la compétitivité du cœur industriel européen.
Comment fonctionnent les surtaxes américaines ?
Les droits de douane sont un levier classique de la politique commerciale américaine. Sous l’administration Trump, leur usage est devenu systématique pour contraindre les partenaires.
- Toute marchandise importée aux États-Unis peut être frappée d’une taxe supplémentaire, calculée en pourcentage de sa valeur.
- L’acier et l’aluminium figurent en première ligne, avec des surtaxes de 50 % appliquées à l’entrée du territoire. Les automobiles, batteries et composants électroniques pourraient suivre.
- L’objectif affiché est de protéger l’industrie américaine et réduire le déficit commercial, la logique cachée est de pousser les groupes étrangers à délocaliser leurs usines sur le sol américain. En produisant localement, ils évitent la taxe et accèdent librement au marché.
- Les menaces tarifaires servent aussi de monnaie d’échange dans les discussions bilatérales, Washington retirant ses sanctions en cas de concessions stratégiques (investissements, achats d’armes, alignement politique).
En pratique, cette mécanique transforme l’accès au marché américain en droit d’entrée payant, contraignant les alliés économiques des États-Unis à choisir entre surtaxes ruineuses ou relocalisation forcée.