Ce basculement stratégique s’inscrit dans une séquence plus large. Quelques jours après un sommet des BRICS+ marqué par l’élargissement du bloc et l’affirmation d’une alternative au G7, le Brésil acte son ancrage dans un monde multipolaire. L’accord avec la Chine, premier partenaire commercial du pays, vient confirmer cette dynamique. Il marque aussi une rupture avec un ordre mondial longtemps dominé par les États-Unis.
La fin d’un cycle dominé par Washington
Mais cette rupture n’est pas seulement économique. Elle est aussi politique. L’administration américaine, confrontée à son propre déclin industriel, a durci ses positions commerciales, imposant des barrières tarifaires souvent arbitraires. Cette hystérisation des relations économiques masque mal une perte d’influence. Et elle s’accompagne d’un soutien explicite à des forces politiques conservatrices d’extrême droite à l’étranger. Le lien entre Trump et Bolsonaro, au-delà de l’idéologie, révèle une stratégie : maintenir une influence par tous les moyens, lorsque les leviers économiques traditionnels s’effritent.
Pour des pays comme le Brésil, longtemps insérés dans des chaînes de valeur dominées par le Nord, cette situation marque la fin d’une rente implicite : celle d’un accès privilégié aux marchés occidentaux en échange d’une dépendance structurelle.
Lula l’a exprimé sans détour : « On peut survivre sans le commerce américain. » Ce n’est pas une provocation, mais un constat. Et une stratégie.
Un projet de développement… et des lignes de tension internes
L’accord sino-brésilien ouvre la voie à une nouvelle phase de développement, fondée sur l’innovation, la production locale et la montée en gamme industrielle. Il répond aux aspirations d’une partie du capital brésilien tournée vers l’investissement productif. Mais il heurte aussi les intérêts d’une autre frange, plus liée aux circuits financiers et commerciaux traditionnels, qui voit dans ce virage un risque de perte d’influence.
Ce clivage traverse les élites économiques et politiques du pays. Il alimente les tensions autour de la politique étrangère de Lula, accusé par certains de « brader » la souveraineté nationale, alors même que l’accord vise précisément à la renforcer. En toile de fond, une bataille se joue : celle du modèle de développement. Et les travailleurs, souvent relégués au second plan, pourraient en être les arbitres silencieux.
Une économie plus autonome peut signifier plus d’emplois, plus de souveraineté, plus de marge de manœuvre sociale. Mais cela suppose que les choix politiques ne soient pas capturés par les intérêts d’une minorité. Le Brésil est à la croisée des chemins : entre ouverture stratégique et captation des bénéfices, entre rupture réelle et simple redéploiement des dépendances.
Un accord, plusieurs Brésils
L’accord avec la Chine révèle les lignes de fracture du pays. D’un côté, une élite tournée vers l’extérieur, attachée à un modèle de rente. De l’autre, des secteurs productifs en quête de modernisation. Entre les deux, les travailleurs, qui ne pourront peser que s’ils interviennent activement.
Sans mobilisation sociale, les bénéfices risquent d’être captés par une minorité. C’est par leur engagement que les travailleurs peuvent faire de ce tournant géopolitique une avancée réelle, et non une opportunité confisquée.
Ce que change un partenariat de vingt ans
Un accord de cette durée permet de planifier des investissements lourds, de structurer des filières industrielles, et de négocier des transferts de technologie. Il offre aussi une stabilité rare dans un monde marqué par les tensions commerciales. Mais il suppose une vision claire, une capacité de négociation forte, et une volonté politique de faire primer l’intérêt collectif sur les logiques de court terme.