Port stratégique du nord-est chinois, Dalian fut d’abord un comptoir russe à la fin du XIXᵉ siècle, débouché en eau chaude du Transsibérien, avant de passer sous contrôle japonais après la défaite de la Russie tsariste en 1905.
Cinquante ans sous domination étrangère
Ici, les deux puissances impérialistes ont livré bataille entre 1904 et 1905 pour le contrôle stratégique de la Mandchourie. « Les Russes et les Japonais se sont fait la guerre ici et nous, les Chinois, on n’avait rien à voir avec cette histoire. Nous n’avons rien contre les Russes, par contre, les Japonais ont laissé un très mauvais souvenir », résume Guo Xin Jing, notre chauffeur de taxi.
Jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la ville fut intégrée à l’empire colonial japonais. En 1945, l’armée rouge entre en Mandchourie pour y combattre les Japonais et restera à Dalian jusqu’en 1955, qui repasse sous souveraineté chinoise en 1950. La ville devient un pôle industriel clé du Nord-Est, région alors considérée comme le cœur industriel du pays. Chantiers navals, mécanique lourde, industries chimiques et transformation des produits de la mer structurent l’économie locale. Le port est pensé comme un outil stratégique au service du développement intérieur.
Pourtant, à la fin des années 1980, la ville de Dalian apparaît comme archaïque, en retrait par rapport à ses homologues portuaires de la façade maritime chinoise. Ce décalage s’explique en partie par le statut qui lui est accordé par les autorités centrales : si Dalian est bien ouverte aux investissements étrangers dès 1984, elle ne bénéficie pas du régime des zones économiques spéciales pionnières du Sud.
La grande revitalisation des années 1990
Au début des années 1990, un tournant s’opère avec l’arrivée de Bo Xilai à la tête de la municipalité. Dans un contexte de relance accélérée des réformes inspirées de la pensée de Deng Xiaoping et de son inspection dans le sud de 1992, Dalian devient un laboratoire local pour Bo Xilai qui engage une transformation rapide, fondée sur l’attraction massive des investissements étrangers, en particulier japonais et sud-coréens, la modernisation des infrastructures portuaires, la création de zones industrielles et technologiques, et une politique spectaculaire de rénovation urbaine.
Le front de mer est réaménagé, les grandes places monumentales se multiplient, la ville est mise en vitrine pour attirer les investissements industriels et les touristes. Cette stratégie, combinant intervention politique forte du PCC et ouverture au marché, fait de Dalian un symbole national de la revitalisation urbaine des années 1990.
À rebours de la dynamique constatée dans la plupart des régions de Chine, « c’était mieux avant », tranche le chauffeur de taxi, évoquant une ville plus propre, plus ordonnée et plus dynamique dans les années 1990 et 2000. Dalian était alors une vitrine du développement local sous l’impulsion de Bo Xilai. Incarnation politique de la « nouvelle gauche » du PCC, il faisait partie des prétendants à la succession de Hu Jintao à la tête du pays.
Après son passage à Dalian, le leader charismatique est remarqué à Chongqing pour sa ligne néo-maoïste et sa lutte musclée contre la criminalité. L’arrivée au pouvoir de Xi Jinping a également coïncidé avec la fulgurante tombée en disgrâce de Bo Xilai, condamné en 2013 à perpétuité pour corruption et abus de biens publics. Certains considèrent que la fin de « moment Bo » a contribué, à Dalian, à l’ouverture d’une période de stagnation pour la ville portuaire.
Dalian aujourd’hui : port, industrie et tourisme
Aujourd’hui, Dalian reste une plateforme logistique majeure du nord de la Chine. Son port de commerce est le 7ème du pays en tonnage et le premier pour les hydrocarbures. Avec sa position stratégique comme porte vers le Pacifique, il connecte la Mandchourie aux routes maritimes mondiales. À Dalian, l’industrie navale est particulièrement dynamique.
Attablé dans une échoppe de soupes de raviolis, Liang Jiang, cadre à la Dalian Shipbuilding Industry Company (DSIC) explique un phénomène que l’on retrouve dans l’ensemble de l’économie chinoise : « à la DSIC, nous avons opéré à la fois une montée en charge et une montée en gamme de nos processus. Nous sommes passés de projets classiques à une industrie navale à haute valeur ajoutée. Beaucoup d’innovations de pointe dans le secteur maritime viennent désormais de Dalian, et c’est une grande fierté ! »
La ville est donc un pôle industriel et énergétique stratégique. Parallèlement, Dalian cultive son image de cité balnéaire : plages, fruits de mer, falaises et îles attirent une clientèle nationale nombreuse à la haute saison.
Dalian demeure aujourd’hui une vitrine contrastée de l’héritage du boom économique des années 1990 et des choix politiques qui l’ont accompagné. Propulsée à l’avant-garde de l’ouverture et de l’industrialisation côtière, la ville a ensuite connu une phase de ralentissement relatif, éclipsée par l’essor plus rapide d’autres pôles urbains chinois. Pour autant, la ville n’a jamais perdu sa valeur stratégique : carrefour portuaire majeur du Nord-Est, base industrielle et technologique clé, elle reste un levier essentiel pour la revitalisation du Liaoning et, plus largement, pour l’équilibre territorial que le PCC cherche aujourd’hui à renforcer.

