Depuis le début de la guerre en Ukraine et l’intensification des sanctions occidentales, la Russie, comme l’Iran avant elle, s’est trouvée exclue d’une large partie du système financier international dominé par le dollar. En réponse, les deux pays ont scellé un accord monétaire bilatéral leur permettant de réaliser leurs échanges commerciaux exclusivement en monnaies nationales, en roubles et rials, sans recours à une devise tierce.
Monnaies nationales et paiements directs
Ce dispositif repose sur une entente institutionnelle entre les banques centrales russe et iranienne, incluant la fixation d’un taux de change bilatéral. Selon le gouverneur de la Banque centrale d’Iran, il s’agirait du « premier accord officiel du genre » signé par Téhéran. Cette initiative vise non seulement à fluidifier les flux commerciaux, mais aussi à affirmer une souveraineté financière à l’abri de l’instrumentalisation du dollar par les États-Unis dans les rapports de force géopolitiques.
Les entreprises des deux pays peuvent désormais effectuer des transactions directes sans passer par le système SWIFT, dont les banques iraniennes sont exclues depuis 2018, et dont plusieurs grandes institutions russes ont été coupées en 2022. En rationalisant les paiements et en écartant le billet vert, l’Iran et la Russie réduisent leur exposition aux sanctions secondaires américaines.
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Vers une interopérabilité bancaire Sud-Sud
L’interconnexion des systèmes de paiement est un autre pilier de cette stratégie de dédollarisation. Les réseaux bancaires nationaux Shetab (Iran) et Mir (Russie) ont été reliés, ce qui permet l’usage transfrontalier des cartes bancaires. Dès la première phase du projet, les cartes iraniennes fonctionnent dans les distributeurs russes ; à terme, l’objectif est une pleine réciprocité, avec paiements via terminaux de point de vente dans les deux pays.
Le gouverneur de la Banque centrale d’Iran a salué « un grand pas vers la dédollarisation ». La dimension technologique et opérationnelle de cette démarche en accentue la portée stratégique : elle n’est pas qu’un symbole, elle permet des paiements réels, sécurisés, directs.
Si certains discours évoquent la création d’une monnaie commune entre l’Iran et la Russie, les faits montrent surtout une consolidation autour des devises nationales existantes. L’idée d’une devise partagée circule aussi au sein des BRICS+, mais demeure à ce stade un horizon incertain, plus diplomatique que monétaire. En revanche, la logique d’un commerce régional libéré du dollar prend forme, notamment avec les accords yuan-brésilien, les paiements en roupies dans les échanges indo-russes, ou encore l’usage croissant du CIPS chinois.
Le CIPS, alternative chinoise à SWIFT
Créé en 2015 par la Banque populaire de Chine, le CIPS (Cross-Border Inter-bank Payment System) est une infrastructure de paiement transfrontalier conçue pour faciliter l’usage international du yuan. Il vise à concurrencer le système SWIFT, dominé par les États-Unis et utilisé dans plus de 200 pays pour les messages financiers interbancaires.
Contrairement à SWIFT, qui ne traite pas les paiements, mais transmet les instructions de virement, le CIPS permet à la fois l’échange de messages et le règlement effectif des paiements en yuan. Il est donc à la fois un réseau de messagerie et une chambre de compensation, ce qui en renforce l’autonomie.
En 2024, plus de 1 400 institutions financières dans près de 110 pays sont connectées directement ou indirectement au CIPS. Sa montée en puissance accompagne la stratégie de Pékin de faire du yuan une monnaie d’échange internationale, notamment dans les relations avec des partenaires d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine.
Si le CIPS reste encore largement secondaire par rapport à SWIFT en volume global, il constitue une arme géoéconomique pour contourner les sanctions occidentales et promouvoir une architecture financière multipolaire.