Ce tronçon relierait l’Azerbaïdjan à son exclave du Nakhitchevan, en contournant l’Arménie par le sud. Un détail géographique qui, à l’échelle eurasienne, pourrait bien peser lourd. Derrière les discours techniques sur le transport et les infrastructures, se croisent ambitions panturques, calculs atlantistes, inquiétudes arméniennes et iraniennes, et un bras de fer stratégique pour l’accès aux ressources.
Quand panturquisme…
Officiellement, le projet vise à fluidifier les échanges entre Bakou et le Nakhitchevan via le Syunik, région arménienne enclavée. Mais pour l’Azerbaïdjan et son allié turc, ce corridor — dit de Zanguezour — représente bien plus qu’une voie de communication. C’est une pierre supplémentaire dans un projet plus vaste de connexion turco-centrasiatique.
Depuis la reprise du Haut-Karabakh avec le soutien d’Ankara, Bakou se projette comme un carrefour régional, avec en ligne de mire le contrôle des flux énergétiques. Pour la Turquie, toujours dépendante à 90 % des importations pour son approvisionnement énergétique, ces liaisons vers la mer Caspienne et l’Asie centrale sont stratégiques. Le corridor viendrait renforcer cette ambition, notamment à travers la plateforme logistique d’Alat.
Côté arménien, les craintes sont profondes : menaces militaires répétées, déclarations belliqueuses de Bakou évoquant la prise du corridor « par la force », risques de déplacement de population dans le Syunik… Le Premier ministre Nikol Pachinian espérait un compromis après une proposition américaine confiant à l’Arménie la gestion du passage. Mais Bakou s’y est opposé, redoutant un contrôle trop strict d’Erevan.
Pendant ce temps, Erdogan joue les médiateurs… après avoir soutenu l’assaut contre le Haut-Karabakh. Une posture ambiguë qui lui permet de récolter les fruits d’un désordre qu’il alimente lui-même.
…et intérêts atlantistes se rencontrent
Face à l’enlisement, les États-Unis ont récemment proposé de placer le corridor sous leur propre supervision. La belle affaire. Une manière de sécuriser les échanges tout en consolidant leur influence dans une région où les tensions entre Russie, Iran et OTAN s’aiguisent.
Les États-Unis cherchent des partenaires. L’Ouzbékistan, par exemple, voit dans le corridor un levier pour reproduire le modèle de coopération Turquie–Azerbaïdjan–Géorgie du projet ferroviaire Bakou–Tbilissi–Kars. Il envisage un raccordement via l’axe Navoï–Turkmenbachy et se rapproche, dans ce cadre, de l’OTAN sur les plans énergétique et sécuritaire.
Ce corridor n’est donc pas seulement une voie de transit. Il cristallise un dilemme plus large : comment pénétrer un espace aussi stratégique que le Caucase du Sud, à la fois fragmenté, convoité et au cœur des rivalités.
Faire taire les alternatives du Sud
Mais derrière ce projet, un autre objectif affleure : freiner les dynamiques alternatives impulsées par les pays du Sud. En particulier le corridor Nord-Sud, porté par l’Inde, la Russie, l’Iran et l’Asie centrale, qui pourrait à terme concurrencer les routes atlantiques et pacifiques.
Le corridor de Zanguezour offrirait aux États-Unis un outil pour affaiblir les liens entre Téhéran et ses partenaires caucasiens. En refusant d’inclure l’Iran et la Russie dans les discussions, Washington et ses alliés s’éloignent d’une approche multilatérale pourtant essentielle à une stabilité durable dans la région.
