Ces nombreux défis s’inscrivent dans la visée multilatérale et bilatérale de la part de la Chine, de la Russie, et des ex-démocraties populaires soviétiques d’Asie centrale. Avec l’intérêt porté par des pays tels que l’Inde, l’Arabie saoudite ou encore la Turquie, l’OCS évolue vers une structure polyvalente qui s’affirme comme un pilier stratégique des questions sécuritaires et économiques, tout en s’étendant.
Genèse de l’Organisation de coopération de Shanghai
À la fin des années 1950, la rupture sino-soviétique voit se matérialiser la possibilité d’un conflit ouvert sur deux fronts. L’État-major soviétique a peur de ce cas de figure et théorise donc une architecture sécuritaire où l’Asie centrale joue le rôle de protecteur des espaces russes. L’échec de l’intervention en Afghanistan, puis l’écroulement progressif du bloc soviétique vont permettre un rapprochement entre Moscou et Pékin.
L’indépendance des cinq républiques d’Asie centrale (Ouzbékistan, Turkménistan, Tadjikistan, Kazakhstan et Kirghizstan) a redessiné la donne géopolitique, incitant la Russie et la Chine à resserrer leurs liens. Diplomatiquement isolée, la Chine craint un rapprochement russe avec l’Occident, comme l’ont illustré les premières années du mandat de Boris Eltsine. Mais les relations russo-américaines se dégradent rapidement face à l’intérêt grandissant des États-Unis pour les ressources pétrolières de la région. Parallèlement, la montée de l’islamisme et du terrorisme alimente les inquiétudes de Moscou et Pékin, confrontés à des mouvements séparatistes islamistes en Tchétchénie et au Xinjiang. De plus, le conflit afghan déstabilise l’Asie centrale, avec deux foyers majeurs et interconnectés : le Tadjikistan et la vallée de Ferghana.
En avril 1996, les chefs d’État de la Chine, de la Russie, du Kazakhstan, du Kirghizstan et du Tadjikistan fondent le Forum de Shanghai. Cet accord historique instaure des mesures de confiance militaire le long des zones frontalières chinoises, souvent sources de tensions héritées de l’ère soviétique. Un an plus tard, lors d’un sommet à Moscou en 1997, le Forum acte la réduction mutuelle des troupes dans ces régions, prévoyant une démilitarisation sur une bande de 100 km.
En 2001, le Forum de Shanghai est rejoint par l’Ouzbékistan, transformant le forum en l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS). La double menace de l’unilatéralisme états-unien et de l’islamisme radical ont agi comme un catalyseur de cette nouvelle entente.
Une organisation trop méconnue
On pourrait opposer OTAN et OCS par facilité de compréhension, mais l’OCS n’est en rien similaire à l’alliance atlantique. En effet, l’OCS est une organisation intergouvernementale, les dirigeants des pays membres se réunissent au moins une fois par an à l’occasion de sommets où les décisions qui en ressortent sont prises par consensus. L’OCS permet aussi le rapprochement des pays membres et donc des coopérations entre eux, avec notamment des rencontres interministérielles. La charte de l’organisation exclut le recours à la force militaire entre ses membres et surtout n’a aucun mécanisme de défense mutuelle en cas d’agression extérieure. Contrairement à l’article 5 de l’OTAN, qui engage automatiquement tous les alliés.
Lors du XIXe sommet de l’OCS, à Bichkek, en 2019, deux ans après l’intégration de l’Inde et du Pakistan en tant que membres, l’organisation représentait ⅓ du PIB mondial et près de 40 % de la population mondiale. Son modèle de « consensus sans ingérence » attire de nombreux pays. Récemment, la Turquie (alors membre de l’OTAN) s’est vu accepter sa demande de devenir partenaire de dialogue avec l’OCS. Même chose pour l’Égypte, l’Arménie, l’Arabie saoudite ou encore le Cambodge. Actuellement, l’OCS est forte de 10 membres ; 14 partenaires de dialogue ; et 2 pays observateurs
Les réserves d’hydrocarbures d’Asie centrale, vitales pour la croissance chinoise et indienne, structurent des partenariats stratégiques, comme le Gazoduc d’Asie centrale-Chine. Les nouvelles routes de la soie trouvent dans l’OCS un relais politique, transformant l’Eurasie en un réseau interconnecté de ports, voies ferrées et zones industrielles. Mais ces projets peuvent parfois se heurter à des obstacles, comme le conflit du Cachemire, zone de friction sino-indienne où l’OCS peine à arbitrer, malgré l’adhésion simultanée de New Delhi et d’Islamabad. En tissant des interdépendances énergétiques et commerciales et en s’ouvrant de plus en direction du Levant et de l’Asie du Sud-Est, l’OCS contribue à désamorcer les rivalités par la coopération et la conscientisation des intérêts communs.