Cette reconnaissance marque un tournant pour la politique étrangère américaine, et oblige Washington à redéfinir son approche diplomatique.
Un basculement vers la multipolarité
Pendant des décennies, les États-Unis se sont présentés comme la puissance hégémonique et ont imposé leurs choix économiques et stratégiques au reste du monde. Mais cette dynamique est aujourd’hui contestée par l’émergence d’autres puissances capables d’influencer les affaires internationales. Lors de la Conférence de Munich sur la sécurité, en février 2025, Marco Rubio a admis que « le monde est multipolaire » et que les États-Unis devaient s’y adapter.
Cette reconnaissance survient alors que l’influence des BRICS ne cesse de croître. Initialement composé de cinq membres (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), le groupe a accueilli de nouveaux pays lors du sommet de Kazan en octobre 2024, renforçant son poids économique et politique. L’adhésion de l’Indonésie, en particulier, témoigne d’une dynamique de consolidation des économies émergentes face aux institutions dominées par l’Occident. Cette expansion accrédite l’idée d’un monde où l’influence ne se limite plus à l’axe américano-européen.
Cette prise de conscience américaine est aussi le résultat de la résilience de la Russie sur la scène internationale. Malgré les sanctions économiques occidentales et les efforts pour l’isoler diplomatiquement, Moscou a su maintenir et renforcer son influence, notamment en consolidant ses relations avec les BRICS et d’autres puissances émergentes. La « victoire » de la Russie, c’est-à-dire sa capacité à survivre aux tentatives d’affaiblissement occidental, a forcé Washington à réviser son analyse et à admettre que le monde ne fonctionne plus selon les règles d’une hégémonie unipolaire.
L’intégration de l’Union africaine au sein du G20 est un signal fort
L’entrée de l’Union africaine dans le G20, décidée lors du sommet de New Delhi en septembre 2023, est un autre événement de cette mutation géopolitique. Cette admission confère au continent africain une place dans les discussions économiques mondiales et souligne la volonté des acteurs globaux d’inclure des voix jusque-là marginalisées.
Le G20, autrefois dominé par les grandes économies occidentales, a été largement dynamisé par les BRICS. L’activisme du bloc, qui a plaidé pour une représentation du Sud global, a contribué à l’inclusion de l’Union africaine au sein du groupe. Cette évolution révèle un déplacement progressif des centres de pouvoir, les BRICS devenant l’un des moteurs d’une nouvelle gouvernance économique mondiale.
Marco Rubio, en reconnaissant la multipolarité, doit redéfinir la politique étrangère américaine pour ne plus seulement chercher à imposer une vision unique, mais à négocier avec des partenaires aux ambitions diverses. La multipolarité ne signifie pas seulement un monde où plusieurs puissances coexistent : c’est un monde où elles interagissent, souvent dans un rapport de force mouvant.
Le nouveau contexte impose désormais d’enlever les lunettes du XXe siècle et de regarder le réel en face, en tirant tous les enseignements de l’histoire contemporaine, sans jamais fuir l’histoire.
Qu’est-ce que la multipolarité ?
La multipolarité désigne un système international dans lequel plusieurs puissances, plutôt qu’une seule (unipolarité) ou deux (bipolarité), détiennent une influence significative sur les affaires mondiales. Aujourd’hui, des pôles comme les États-Unis, la Chine, l’Union européenne, la Russie, l’Inde et les BRICS modifient la structure du pouvoir global.
Par ailleurs, l’Afrique monte en puissance dans ce nouvel ordre mondial. Son rôle économique et diplomatique se renforce, notamment à travers l’Union africaine, qui siège désormais au G20. Cette montée en influence s’accompagne d’un rééquilibrage géostratégique dans l’océan Indien, que l’on surnomme de plus en plus « l’océan des BRICS » en raison de la présence accrue de l’Inde, de la Chine, de l’Afrique du Sud et des nouveaux partenaires du groupe dans la région. L’expansion des routes commerciales, des investissements et des infrastructures y redessinent les flux économiques mondiaux, au détriment des puissances occidentales.
Multipolarité et multilatéralisme, deux notions distinctes
La multipolarité fait référence à la distribution du pouvoir entre plusieurs grands acteurs internationaux. En revanche, le multilatéralisme concerne la coopération entre plusieurs nations dans des cadres institutionnels, comme l’ONU, l’OMC ou le G20. Un monde multipolaire peut être multilatéral, mais il peut aussi être caractérisé par des tensions et des rivalités entre blocs.