Retour sur une œuvre colossale aux impacts durables.
Un tracé aux mille obstacles
Percer l’isthme de Panama, étroite bande de terre séparant deux océans, relevait d’un véritable casse-tête topographique. La région est dominée par la cordillère de Talamanca, des rivières imprévisibles comme le Chagres, et une jungle dense. Si le projet d’un canal à niveau imaginé par les Français au XIXe siècle s’avéra irréalisable, les Américains adoptèrent une solution innovante : un canal à écluses.
Ces écluses monumentales, mesurant 330 mètres de long pour 33,5 mètres de large, permettent d’élever les navires à 28 mètres au-dessus du niveau de la mer, grâce à l’eau douce provenant du lac Gatún. Ce lac artificiel, créé par un barrage sur le Chagres, fut à son époque le plus grand du monde.
Un défi sanitaire et humain
La première tentative de construction menée par les Français entre 1881 et 1889 s’est soldée par un échec cuisant. Plus de 20 000 ouvriers périrent, victimes de maladies tropicales comme la fièvre jaune et le paludisme. Ce désastre causa la faillite de la Compagnie universelle du canal, dirigée par Ferdinand de Lesseps.
Lorsqu’ils reprennent les travaux en 1904, les Américains adoptent une approche sanitaire inédite. Sous l’impulsion du médecin William C. Gorgas, des marécages sont asséchés, des moustiques éradiqués, et l’eau potable est rendue accessible. Ces efforts réduisirent drastiquement les décès, bien que 5 600 vies soient encore perdues durant cette phase.
L’effort humain fut considérable : des milliers d’ouvriers venus des Caraïbes, d’Asie et d’Europe participèrent à cette entreprise titanesque, souvent dans des conditions difficiles, aggravées par des discriminations raciales.
Un outil stratégique et économique
Inauguré en août 1914, le canal transforma les échanges maritimes mondiaux. En réduisant les distances de navigation – un navire reliant New York à San Francisco économise plus de 15 000 km –, il devint un pivot du commerce international. Les États-Unis, qui contrôlèrent le canal et sa zone pendant des décennies, en firent un outil stratégique essentiel.
Pour le Panama, la rétrocession complète du canal en 1999 marqua une étape cruciale. Aujourd’hui, les revenus qu’il génère représentent une part significative de l’économie nationale, consolidant le rôle du pays comme hub logistique mondial. Avec ses dimensions colossales et son impact global, le canal de Panama reste une prouesse d’ingénierie, un témoignage de l’audace humaine face à la nature et un symbole des relations géopolitiques contemporaines.
— Longueur totale : 77 km
— Durée moyenne de traversée : 8 à 10 heures
— Portes d’écluses : 25 mètres de haut pour 730 tonnes
300 millions de dollars (début XXe siècle) soit près de 12 milliards de dollars actuels.
— Élargissement (2016) : les nouvelles écluses accueillent les « Neo Panamax », des navires trois fois plus grands que ceux d’origine.
— Défis climatiques : la sécheresse menace l’approvisionnement en eau douce, indispensable au fonctionnement des écluses.
— Concurrence : les projets alternatifs, comme un canal au Nicaragua, peinent à émerger, mais rappellent l’importance stratégique du site.