À trois jours des élections européennes en France, quel est votre état d’esprit ?
Léon Deffontaines a gagné en notoriété parce qu’il a su placer les questions sociales au centre. Ce que personne n’a fait, ou alors mal en montant les classes les unes contre les autres. Il a porté un discours social sur la question du monde du travail, des emplois. C’est ce qui doit être au cœur de la gauche. Notre liste défend l’Europe des gens contre l’Europe de l’argent qui privilégie la finance et la libre circulation des capitaux au détriment d’une mission de progrès social. L’Europe, dans son état actuel, développe de surcroît une idéologie qui conduit à la privatisation de tous nos services publics sur fond d’austérité générale.
Notre liste va à l’encontre de cette idéologie libérale en défendant la baisse des factures d’électricité, l’indexation des salaires sur l’inflation, la reconstruction des services publics, la réindustrialisation, des emplois de qualité. C’est pourquoi j’ai tout lieu d’être satisfait de cette campagne. Nous voulons une Europe au service des Européens et non des actionnaires.
La souveraineté industrielle est indispensable
Parlons environnement. En raison de leurs difficultés, les milieux populaires et défavorisés ne se sentent-ils pas exclus de la préoccupation environnementale et de la lutte contre le réchauffement climatique ?
Pour beaucoup, parler d’enjeu écologique peut paraître une provocation dans une France où la voiture électrique est un objet de luxe. Même les vélos électriques, en raison de leur prix, sont des objets de luxe pour une grande partie de la population. C’est la même chose pour la rénovation d’un logement quand on sait que, dans le système capitaliste actuel, cela peut se monter à des dizaines de milliers d’euros, voir à 100 000 euros.
Au contraire, nous proposons des voitures électriques accessibles grâce à des aides en fonction des revenus. Et nous voulons un reste à charge nul pour les rénovations thermiques des logements. Si on avait cela, la perception de l’écologie serait autre. Cela étant, les classes populaires, ce sont aussi des citoyens qui réfléchissent à part entière et qui ont bien conscience de la réalité du dérèglement climatique. Mais tant que l’on n’aura pas réglé le problème de la pauvreté, les choses seront très compliquées. Il faut mener de front la lutte contre la pauvreté et la lutte pour le climat. Ce n’est pas le climat ou les Jours heureux, c’est le climat avec les Jours heureux.
Que peut faire l’Europe ?
Si les services publics ferment, c’est en raison des politiques austéritaires imposées par l’Europe. Si on a de moins en moins d’emplois industriels, c’est parce que l’Europe a été tournée vers la finance, si on n’a pas d’investissements massifs dans des domaines comme la santé, le climat, l’énergie, etc., c’est parce que la Banque centrale européenne (BCE) ne peut pas prêter aux États à taux zéro pour leur permettre de faire des dépenses sociales et écologiques.
C’est pour cela que nous proposons, sans qu’il y ait besoin de changer les traités, la création d’un fonds de développement social et écologique qui serait abondé par la BCE. Ce fonds pourrait prêter aux États à taux zéro pour de grosses dépenses. Cela n’a rien de magique, c’est très politique. Cela veut dire qu’il faut créer de la monnaie pour faire des prêts. Cela aboutirait à la création d’emplois de meilleure qualité, à des entreprises qui ne délocaliseront plus, à des services publics financés à la bonne hauteur, à des politiques massives d’investissement pour les grands secteurs qui créent de l’emploi.
Cela entend bien sûr la réindustrialisation. Et dans cette logique, pour faire face au défi climatique, il faut créer de grandes filières au niveau européen : batteries électriques, solaire, photovoltaïque, hydrogène, pompes à chaleur, etc. Tout cela entend de la souveraineté industrielle. Si on perd cette souveraineté industrielle, on ira vers un appauvrissement général de l’Europe.
Le programme de la liste menée par Léon Deffontaines prône la relocalisation en Europe des projets miniers et dit que l’Europe doit assumer sa politique climatique en acceptant sur son sol plus d’industries. Pouvez-vous préciser ?
Notre programme propose qu’au moins 50 % de la valeur ajoutée, pour toutes les industries qui vont bénéficier d’aides, soit réalisés en Europe. Cela participe à la relocalisation de la production. Si l’on veut diminuer l’empreinte carbone, il faut réindustrialiser l’Europe. Cela peut sembler contre-intuitif, mais réindustrialiser en Europe, c’est autant de produits que nous allons consommer qui ne seront pas fabriqués en dehors de l’Europe. Ce qui est important, ce n’est pas seulement les émissions territoriales européennes, mais ce sont aussi les émissions importées avec les productions réalisées hors d’Europe.
C’est plutôt l’inverse qui se passe aujourd’hui…
C’est pour cela que nous souhaitons que les salariés aient un pouvoir de décision. Par exemple, quand une décision va à l’encontre du progrès social et écologique, la délocalisation d’une entreprise par exemple, les salariés pourraient opposer leur veto. Il y a une grande bataille à mener pour changer la loi au niveau européen. Cela pourrait se traduire par une clause de non-délocalisation pour raison sociale et environnementale. Au Parti communiste, nous avons bâti un plan climat Empreinte 2050 qui nous place dans cette logique : on ne vise pas juste les émissions territoriales, mais on vise à diminuer l’empreinte carbone des émissions importées.
Les salariés, premiers experts de la transition écologique
Comment l’Europe peut-elle agir pour aider les pays les plus pauvres à lutter contre le réchauffement climatique ?
L’aide de 100 milliards d’euros de l’OCDE pour les pays pauvres ne doit pas faire doublon avec l’aide au développement qui concerne le logement, la santé ou la nutrition. Mais de toute façon, cette aide est largement insuffisante. Il faudrait 1000 milliards d’euros, versés par l’Europe et l’ensemble des pays riches de l’OCDE comme les États-Unis et le Japon pour aider les pays pauvres à réduire drastiquement leurs émissions de CO2 et pour s’adapter au réchauffement climatique. Je sais bien que les USA, par exemple, ne sont pas dans cette optique, mais il y a moyen. Il faut changer le rôle du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque mondiale.
Le FMI peut émettre des droits de tirage spéciaux pour mettre en place une monnaie commune afin de venir en aide à ces pays en finançant massivement tout en s’émancipant, entre autres, de la tutelle américaine et de son blocage. Tout le monde y a intérêt. Si on ne le fait pas, le réchauffement climatique augmentera de 3 à 4 % d’ici à la fin du siècle. Ce que nous connaissons actuellement avec les canicules et les catastrophes liées au réchauffement, ce n’est rien en comparaison. Mais nous avons aussi le droit de nous adresser aux peuples, à l’intelligence des peuples, pour faire bouger les choses.
La France doit miser sur le mix énergétique ?
On sait que faire du 100 % renouvelable est impossible. La plupart des pays qui parviennent à décarboner massivement sont ceux qui, comme la France, la Suède, la Finlande et, dans une moindre mesure, la Grande-Bretagne, ont fait le choix du nucléaire. C’est pour cela que je répète qu’il est nécessaire de sortir d’une opposition simpliste entre l’énergie nucléaire et les énergies renouvelables. En France, il nous faut doubler la production d’électricité d’ici à 2050 comme nous le montrons dans notre Plan Climat Empreinte. On aura donc besoin à la fois du nucléaire et du renouvelable.
Pour cela, il nous faut un service public fort réunifié avec EDF, RTE et Enedis, il nous faut aussi des politiques fortes de formation en investissant massivement dans l’Éducation nationale, les universités, les écoles d’ingénieurs, il nous faut un pôle public financier pour investir et en faisant de la création monétaire avec la BCE pour le développement social et écologique (et non en empruntant sur les marchés financiers), il faut des pouvoirs étendus aux salariés dans les entreprises. Les travailleurs sont pour nous les premiers experts de la transition écologique, ils sont au plus près des processus de production. Ils ont les bonnes idées pour réorienter la production et la transformer.