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Entretien avec Dominique Rocheteau

Les souvenirs de l’« ange vert »

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Temps de lecture : 10 minutes

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Football Sport

Joueur emblématique de l’AS Saint-Étienne et de l’équipe de France ainsi que grand défenseur du beau jeu, Dominique Rocheteau se confie avec sensibilité et liberté dans son livre intitulé Foot sentimental. Entretien avec un des anciens joueurs les plus estimés et les plus populaires du football français, qui vient de souffler ses 70 bougies.

Il fait partie de ceux qui ont laissé une marque indélébile dans le football français. En 1976, il était de l’épopée des « Verts » en finale de la Coupe d’Europe des clubs champions, puis quelques années plus tard, vainqueur de l’Euro 1984 et par deux fois demi-finalistes de La Coupe du monde en 1982 et 1986 avec le carré magique des Platini-Giresse-Tigana-Genghini et plus tard Fernandez. L’occasion est trop belle d’ouvrir, avec lui, l’album des souvenirs de jeunesse, de sa vie de sportif professionnel, mais aussi d’évoquer librement ses goûts et ses passions, sa vision du football moderne, ses rencontres marquantes ou encore ses sources d’inspiration qu’il relate dans un magnifique livre paru il y a un peu plus d’un an.

Après ma carrière de joueur, j’ai toujours voulu transmettre aux jeunes mon expérience et surtout des valeurs.

Votre livre s’intitule Foot sentimental. Est-ce une référence à Alain Souchon et à une époque révolue, celle des rêves et du football de votre enfance ?

Je souhaitais un titre qui évoque la musique, un sujet auquel je consacre un chapitre entier dans le livre. Foot sentimental résumait bien l’essence de mon ouvrage. Bien sûr, il fait écho à un certain football d’autrefois, mais c’est avant tout un livre de réflexion sur le sport en général : le rugby, le cyclisme, les Jeux olympiques… La musique, qui est ma deuxième passion, occupe aussi une place importante. Ce titre est un clin d’œil à Alain Souchon, un artiste que j’apprécie.

Après cinq décennies dans le football en tant que joueur, agent et directeur sportif, pourquoi avoir décidé d’écrire ce livre aujourd’hui ?

Il y a 20 ans, j’avais publié On l’appelait l’ange vert, une biographie plus classique coécrite avec un journaliste. Cette fois, j’avais envie d’écrire par moi-même, de me retrouver face à la page blanche. À 70 ans, on se sent plus libre de raconter et de partager. Ce livre est l’occasion de me livrer sur ce qui m’a marqué, ce que j’ai appris et ce que j’aimerais transmettre.

Pourquoi avez-vous voulu écrire également sur les supporters ?

Parce qu’ils sont une partie essentielle de l’histoire du football. À mon époque, les joueurs avaient des relations directes avec eux, ce qui a beaucoup changé aujourd’hui. Ces liens me semblent indispensables pour préserver l’esprit du sport.

Vous leur rendez hommage, eux qui vous ont toujours soutenu, mais qui se retrouvent moins dans le football moderne. Pourquoi cette démarche ?

C’est ma façon de leur rendre ce qu’ils m’ont donné. Je parle notamment des supporters de Saint-Étienne et du PSG, où j’ai joué sept saisons, mais aussi de ceux de l’équipe de France. À Saint-Étienne, par exemple, la relation avec les supporters était unique : nous les connaissions, nous les rencontrions régulièrement. Ce livre leur est dédié, mais pas seulement. Quand on écrit un livre, on souhaite qu’il touche toutes les générations. À travers ma tournée de dédicaces, j’ai pu échanger avec des lecteurs de tous âges, et c’est toujours un plaisir.

Quels enseignements souhaitez-vous transmettre à travers ce livre et à qui s’adressent-ils ?

Mon livre s’adresse à toutes les générations. Les souvenirs parleront davantage aux plus anciens, mais les thèmes abordés – l’éthique, la violence, le respect – sont universels et très actuels. J’espère qu’il pourra aussi toucher les jeunes, notamment les jeunes footballeurs, en leur parlant du jeu, de ses valeurs et de ce qu’il peut leur apporter.

Vous insistez sur la transmission et le partage. Pourquoi cela vous tient-il autant à cœur ?

Après ma carrière de joueur, j’ai toujours voulu transmettre aux jeunes mon expérience et surtout des valeurs. À Saint-Étienne, j’étais responsable du centre de formation, puis j’ai créé une académie de football avec un ami au Vietnam. J’ai également initié les stages Foot pour tous, qui existent depuis plus de 20 ans en Charente-Maritime. J’ai hérité des valeurs de mon père, qui incarnait le respect, la solidarité et le fair-play. Ce sont des valeurs que je m’efforce de transmettre à mon tour.

Pourquoi les bénévoles sont-ils si essentiels pour le football ?

Les bénévoles sont la base du sport amateur. Pendant ma carrière à Saint-Étienne, j’ai côtoyé des dirigeants et des bénévoles qui donnaient tout pour leur passion. Sans eux, il n’y aurait pas de football de masse. Malheureusement, il devient de plus en plus difficile d’en trouver, et c’est une réalité inquiétante pour l’avenir de nos clubs.

Vous abordez des thèmes rarement explorés dans la littérature sportive : éthique, racisme, argent, médias… Était-ce un défi ou une nécessité ?

Ce n’était pas un défi, mais une évidence. Ces sujets font partie intégrante du sport aujourd’hui. Par exemple, l’argent a transformé le football professionnel et modifié les comportements et les mentalités. Ces réflexions sont incontournables si l’on veut comprendre le football actuel.

Vous confiez beaucoup de souvenirs personnels. Vous sentez-vous plus libre d’en parler aujourd’hui ?

Oui, je partage des anecdotes, notamment sur mes rencontres avec des artistes comme Elton John ou Daniel Balavoine, avec des sportifs tels que Yannick Noah et Johan Cruyff, ou encore avec des présidents de la République. Ces souvenirs reflètent ce qui m’a enrichi en dehors du terrain.

Quel regard portez-vous sur votre parcours à travers les décennies ?

Tout ce que j’ai vécu, je le dois au sport et aux valeurs transmises par mon père. J’ai eu la chance d’être entouré d’entraîneurs marquants, comme Robert Herbin, Gérard Houllier ou Michel Hidalgo. Ce qui reste, au-delà des victoires, ce sont les amitiés nouées et les liens humains. Aujourd’hui encore, mes anciens coéquipiers et moi nous retrouvons régulièrement. Ces relations sont inestimables.

Selon vous, pourquoi le public vous a-t-il toujours soutenu tout au long de votre carrière ?

Saint-Étienne, à l’époque, bénéficiait d’une immense sympathie populaire. Toute la France était derrière nous. Partout où nous jouions, il y avait des supporters qui vibraient avec nous. C’était une époque unique. Le club incarnait des valeurs populaires, proche de la classe ouvrière, un peu comme le Liverpool français en termes d’esprit et de jeu.

Vous défendez un football d’émotions, de partage et de ferveur populaire. Ces valeurs de solidarité existent-elles encore aujourd’hui ?

Elles existent, mais elles sont plus rares. Par exemple, j’ai beaucoup apprécié le geste des joueurs de l’équipe de France avant la Coupe du Monde, lorsqu’ils ont posé avec les maillots de leurs clubs d’enfance. Cela montre qu’ils n’oublient pas leurs racines. Une équipe qui réussit repose toujours sur un collectif. À Saint-Étienne, nous avons grandi ensemble, nous avons partagé des années de solidarité, et c’est cela qui nous rendait forts.

Quel regard portez-vous sur le football actuel ?

Il y a encore de la créativité et des matchs qui me passionnent, mais ils sont plus rares. Parfois, je m’ennuie devant la télévision. Cela m’arrive même de zapper, ce qui n’était pas le cas avant. Malgré tout, j’aime toujours le football et il continue de me procurer des émotions.

Pourquoi le football est-il devenu si antisportif, que ce soit sur le terrain ou dans les tribunes ?

Je rends hommage aux ultras dans mon livre, car ce sont des passionnés qui vivent pour leur club. Cependant, certains débordements nuisent à l’image du football. J’évoque aussi le magnifique public du rugby, comme à Cardiff, en 2006, lors du tournoi des VI Nations, où les supporters gallois applaudissaient les actions de leur adversaire du jour, le XV de France. Pour moi, c’est ça l’esprit du sport. Le football peut encore apprendre beaucoup de cet état d’esprit.

Vous exprimez vos inquiétudes face à l’avidité croissante dans le football. Quel avenir envisagez-vous pour ce sport ?

Le fossé se creuse entre le football amateur et le football professionnel. À force de tout axer sur l’argent, on risque de perdre l’essence même du jeu. De nombreux clubs amateurs ou de villages disparaissent, faute de moyens. C’est un problème majeur, car le football de base est essentiel pour maintenir ce lien populaire, entre les générations.

Le football français est-il à un tournant face aux crises actuelles (violence, droits TV, échec de DAZN) ?

Oui, nous sommes à un moment critique. Heureusement, le football amateur reste vivant grâce à des éducateurs et bénévoles extraordinaires. Mes petits-enfants jouent dans des clubs, et cela me rassure. Mais dans les grands clubs, le football est devenu un spectacle, et cette évolution reflète celle de notre société. Il est essentiel de préserver le football populaire.

L’équipe de Brest incarne-t-elle encore le football passion que vous aimez ?

Leur parcours en Ligue des champions est admirable, mais cela reste difficile pour un club comme Brest de rivaliser à long terme. Dès qu’un club réussit, ses meilleurs joueurs sont souvent recrutés par des grands clubs, plus riches. Et avec l’intensité des compétitions, la marge d’erreur devient infime.

Que pensez-vous du projet du Paris FC de devenir un second grand club dans la capitale ?

C’est une initiative intéressante. Une ville comme Paris mérite d’avoir plusieurs clubs professionnels, comme Londres ou Madrid. Le Red Star, avec son histoire et ses valeurs populaires, pourrait aussi jouer un rôle. J’espère que ce projet du Paris FC accordera une place importante aux jeunes et à la formation.

Quel est votre avis sur l’avenir de Didier Deschamps à la tête des Bleus ?

Didier a accompli un travail remarquable avec des résultats probants. Cependant, il n’est pas éternel. Zinedine Zidane est en pole position pour prendre le relais, et d’autres anciens joueurs comme Thierry Henry pourraient également prétendre à ce rôle. L’équipe de France a la chance de compter sur de grandes figures pour son avenir.

Propos recueillis par Pierre Grivot

Foot Sentimential, Dominique Rocheteau, Éditions Le Cherche-Midi, 19 octobre 2023, 18.50 €

Dominique Rocheteau en bref

— 70 ans, né le 14 janvier 1955 à Saintes en Charente-Maritime,
— 522 matches pro,
— 171 buts
— 49 sélections en équipe de France, 15 buts.

Carrière :
— Saint-Étienne (1972-1980)
— Paris SG (1980-1987)
— Toulouse (1987-1989)
— Finaliste de la Coupe d’Europe des clubs champions en 1976.
— Deux demi-finales de Coupe du monde (1982, 1986)

Palmarès :
— Euro 1984
— Championnat de France. 1974, 1975, 1976 (Saint-Étienne), 1986 (Paris-SG)
— Coupe de France. 1977 (Saint-Étienne), 1982, 1983 (Paris-SG)

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