Philosophe et adhérent de la section PCF de Besançon, Florian Gulli est l’auteur du livre « L’antiracisme trahi, Défense de l’universel » [1]. Il nous livre son analyse marxiste de la lutte contre le racisme et son regard sur l’actualité.
Liberté Actus : Racisme ordinaire, racisme politique. L’actualité nous donne de nombreux indices d’une droitisation de la société. Qu’en pensez-vous ?
Florian Gulli : En tant que philosophe, je travaille plutôt sur la question des concepts. Mais si j’écoute ce que disent les sociologues, j’ai envie de m’arrêter sur le récent livre de Vincent Tiberj, « La droitisation française, mythe et réalités » [2]. Il explique que sur la longue durée, il n’y a pas de droitisation en bas. Même, il y a une évolution vers des valeurs de tolérance, de coopération, de rejet de la compétition. En revanche, il pointe une droitisation de la scène politique et médiatique, très visible à travers les nouveaux médias et les chaînes d’information continue. Cette analyse me paraît assez convaincante.
L.A. : Oui, mais il importe de tenir compte du rôle des réseaux sociaux. Quand on voit les réactions -racistes- après l’élection de Miss Nord – Pas-de-Calais, quand on se souvient des commentaires et des attaques contre la chanteuse Aya Nakamura, avant, pendant et après la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, à quoi rattachez-vous ces phénomènes ?
F.G. : En tous les cas, il existe bien un racisme en France. C’est évident. Mais, par exemple, concernant la cérémonie d’ouverture des JO, j’ai relevé deux sondages indiquant que 85 % des Français l’avaient appréciée. Y compris sans doute des gens qui votent Rassemblement national. Alors, il y a du racisme, bien sûr, mais la question de savoir si cela évolue vers le pire demeure posée. Il est très difficile d’évaluer la tendance. Vincent Tiberj avance plutôt l’idée que sur le temps long, il y a quand même un recul du racisme. Même si les événements dont vous parlez sont bien réels et violents.
L.A. :Vous dites que l’on a tourné le dos à l’universel. Cela veut-il dire que les mouvements antiracistes se trompent depuis 40 ans ? Et cette erreur a-t-elle tendance à persister ?
F.G. : Le mot « universel » est devenu une sorte de totem. Il est utilisé par la droite pour dénoncer, entre autres, les revendications antiracistes ou féministes et dire qu’elles n’ont pas lieu d’être. Parce qu’elles seraient anti-universalistes. De l’autre côté, il existe des courants anti-racistes (pas tous) qui jettent l’universalisme à la poubelle en disant que c’est une sorte de masque de la domination des blancs ou de la domination de l’occident.
L.A. :Donc, vous voulez réhabiliter cette notion d’universel en affirmant que l’antiracisme n’a rien à gagner en la rejetant ?
F.G. : Cela veut d’abord dire que la conquête de droits égaux est une question décisive (même si elle n’est jamais suffisante) : les militants afro-américains ou sud-africains des années 1960 en savent quelque chose. D’autre part, cela veut dire concrètement que le combat antiraciste, sans sacrifier les différences, doit insister sur les points communs entre les différentes fractions des classes populaires. Il faut montrer, dans cette perspective, qu’il y a un destin commun et des contraintes communes qui pèsent sur les vies, même s’il existe des différences entre les fractions de classe. L’idée de la défense de l’universel, c’est de dire que nous avons des besoins et des intérêts communs, des aspirations communes, et il ne faut pas opposer les fractions des classes populaires les unes aux autres. Bien sûr, le champion du discours qui oppose les fractions est le Rassemblement national. Mais il y a aussi à gauche des discours de ce type.
L.A. :Vous pouvez développer concernant ce discours à gauche ?
F.G. : Oui, il y a à gauche, de temps à autre, ce type de discours disant que finalement les classes populaires blanches seraient intrinsèquement et irrémédiablement racistes. Cela conduit à diviser définitivement.
L.A. :On sait pourtant bien que la question n’est pas réglée. Elle ne l’est pas au sein des entreprises, ni au sein des syndicats.
F.G. : L’unité des différentes fractions des classes populaires n’est pas une donnée de départ et ne l’a jamais été. C’est une réalité à construire, un horizon, mais il est le seul possible. Cette lutte contre le racisme est fondamentale. Parce que tant que le racisme est fort, on ne peut rien faire. Il paralyse l’unité et la convergence. Il faut donc mener cette lutte en permanence. Elle doit être menée de front avec toutes les autres luttes avec cet objectif en tête de réunir les différences fractions des classes populaires.
L.A. :C’est en quelque sorte la différence entre la lutte antiraciste marxiste et l’antiracisme bourgeois ?
F.G. : Notre objectif, en tant que marxistes, en tant que communistes, c’est l’unité des classes populaires. À l’inverse, le combat antiraciste des libéraux consiste à diversifier les élites, à faire en sorte qu’il y ait un peu plus de personnes appartenant à des minorités dans les conseils d’administration ou à l’Assemblée nationale. Je ne dis pas que c’est un mal, mais ce n’est pas la priorité des marxistes. De même, certains courants antiracistes prétendent qu’il faut organiser la communauté des non-blancs, ou que sais-je. Ce n’est pas non plus notre perspective.
L.A. :Comment faut-il faire, concrètement ? Aller davantage sur le terrain, par exemple ?
F.G. : Lénine disait qu’il faut critiquer l’opportunisme et le gauchisme, sinon on glisse d’un côté ou de l’autre. Nous devons critiquer prioritairement l’extrême droite. Mais nous devons aussi, au Parti communiste, nous opposer à certains discours antiracistes contre-productifs et qui, d’une certaine manière, ne font qu’alimenter l’extrême droite. Sur le plan pratique, si le but est de faire converger les différentes fractions populaires, il nous faut des actions mettant en lumière leurs points communs. Les points communs entre les classes populaires des quartiers, des banlieues et cités, et les classes populaires des campagnes. Il faut trouver les mille et une manières de les réunir dans mille et une activités syndicales, politiques, sportives, etc.