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Patrick Staat, Secrétaire général de l’ARAC

« Il faut arrêter de croire que les États-Unis sont une puissance bienfaitrice de l’humanité »

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Mise à jour le 16 novembre 2024
Temps de lecture : 9 minutes

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Ukraine Palestine Israël Guerre États-Unis Paix

Alors qu’il y a 106 ans, la bien mal nommée « der des ders » prenait fin, les canons tonnent toujours à travers le monde. Les conflits s’enlisent et les dépenses en armement s’accélèrent.

Durant la Première Guerre mondiale, d’audacieux militants de la paix décidaient de créer l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC) pour dénoncer les causes des guerres et leurs conséquences. Membre fondateur de l’association et prix Goncourt pour son roman Le Feu, Henri Barbusse écrivait que « deux armées aux prises, c’est une grande armée qui se suicide ». Mais il ne manquait pas d’ajouter à cela les causes réelles des conflits, de pointer du doigt les provocateurs et autres semeurs de guerres.

Patrick Staat, Secrétaire général de l’ARAC répond à quelques-unes de nos questions.

Vous êtes dirigeant d’une association qui soufflera dans quelques années ses 110 bougies. Comment continuez-vous de porter le combat pour la paix aujourd’hui ?

L’ARAC, fondée en novembre 1917 par Henri Barbusse, Raymond Lefebvre, Paul Vaillant-Couturier et Georges Bruyère a pris naissance sur un fond de contestation contre la guerre.

«  Dès lors, notre mot d’ordre « guerre à la guerre » voulait dire dans notre bouche, guerre à l’impérialisme, au capitalisme, à la bourgeoisie régnante. Il nous faisait nettement tourner le dos aux pouvoirs officiels, nous sacrait force révolutionnaire et nous mêlait au mouvement et à l’organisation de la classe ouvrière  » (H. Barbusse)

Ce n’est pas accidentel si les premières initiatives des fondateurs de l’ARAC furent de prendre contact avec les soldats russes qui refusèrent de continuer la guerre, renversèrent le régime tsariste et fondèrent « la République des Soviets ».

Ce n’est pas non plus un hasard si le 11 novembre 1918, l’officier Paul Vaillant-Couturier, co-fondateur de l’ARAC, était emprisonné en forteresse pour ses positions pacifistes.

Et la première affiche éditée par l’ARAC à la signature du traité de Versailles, le 28 juin 1919, est on ne peut plus claire dans son appel : « Camarades soldats ! … Liberté des peuples. Abolition des impérialismes et des privilèges. Justice et droit pour tous et jusqu’au bout ».

Plus que jamais, la déclaration de Jaurès est illustrée par la situation actuelle : « le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage  ». Là encore, l’ARAC est fidèle au rôle révolutionnaire que ses fondateurs ont voulu.

Le travail de mémoire prend aujourd’hui une importance encore plus grande. Si les jeunes générations sont ignorantes des souffrances des poilus de 14/18, des conditions de la montée du fascisme en Europe, des horreurs créées par l’occupation nazie, par la collaboration pétainiste, si elles ignorent ce que fut vraiment la Résistance dans toutes ses composantes, si elles ne savent rien de la sauvagerie, des exactions de la France pendant la guerre d’Algérie, comment prendre conscience des valeurs républicaines dont nous souhaitons tous qu’elles en soient héritières ?

Le contexte géopolitique actuel montre la nécessité de travailler sur le passé pour comprendre le présent et de s’engager pour la paix.

Toujours pointer les conséquences des guerres, donc. Est-ce difficile de remettre dans leur contexte historique les conflits actuels, que ce soit en Ukraine ou au Moyen-Orient ?

Comprendre les causes des guerres, c’est déjà s’engager sur la défense de la paix.

N’oublions jamais que l’impérialisme, le capitalisme ont toujours utilisé la guerre pour sortir des crises économiques et sociales qu’ils engendrent.

Les guerres sont des opportunités formidables d’enrichissement pour le capital et les multinationales. La guerre en Ukraine permet aux trusts américains de gagner des milliards avec l’industrie de l’armement.

Pour une petite minorité de multinationales et d’actionnaires, la guerre n’est pas un problème, mais une affaire juteuse.

À chaque guerre son lot de drames subis par les populations. Mais surtout son flot de profits engrangés par les grands groupes industriels, notamment ceux de l’armement.

Si la Russie a clairement agressé l’Ukraine début 2022, elle l’a fait suite à un long processus de provocations, de non-respect des engagements pris par le gouvernement américain. Washington savait que l’Ukraine était une « ligne rouge » pour les Russes et qu’ils réagiraient. Les États-Unis sont donc tout autant responsables de ce conflit que Moscou.

En 1990, à la veille de la dissolution du pacte de Varsovie, le secrétaire d’État étasunien James Baker assurait le président de l’URSS Mikhaïl Gorbatchev que « l’Otan ne s’étendra pas d’un seul pouce à l’Est ». Mais en 1999, pendant qu’elle démolissait par la guerre la Fédération Yougoslave, l’Otan englobait les trois premiers pays de l’ex-pacte de Varsovie : Pologne, République Tchèque et Hongrie. Ce n’était que le début.

Pour comprendre, imaginez ce que feraient les États-Unis si des missiles russes étaient déployés aux frontières du Canada, du Mexique, de Cuba et tournés vers les USA. Vous pensez sérieusement que cela est possible.

En 2014, le protocole des accords de paix de Minsk est signé et prévoit un cessez-le-feu immédiat, mais cet accord ne sera jamais appliqué. Un autre accord en 2015 prévoyait notamment le retrait des armements lourds. De fait, il y a eu un non-respect de ces accords par le gouvernement Ukrainien avec le soutien de l’OTAN, de l’Union européenne et des États-Unis.

Il ne s’agit ni d’admirer Poutine, ni de justifier, ni d’abdiquer par peur de la Russie, mais d’avoir une vision objective de la situation, et non d’accepter celle, orientée et déformée, qu’en donnent les États-Unis et les médias d’une manière générale.

Il faut arrêter de croire que les États-Unis sont une puissance bienfaitrice de l’humanité, désintéressée, pacifique et qui ne vise qu’au bien commun. Depuis la fin de la Guerre froide, Washington fait montre d’un hégémonisme accru, imposant sans retenue ses lois au reste du monde, sanctionnant et rackettant ses alliés, saturant l’opinion d’informations qui servent ses seuls intérêts.

Et au Moyen-Orient ?

La montée de la violence entre Israël et la Palestine est la conséquence de 75 ans de violation permanente des droits du peuple palestinien et de la politique expansionniste d’Israël.

Le gouvernement israélien ne peut être dédouané d’une telle situation avec sa politique d’extension de colonies et sa politique d’extrême droite.

Il faut soutenir la mise en œuvre des résolutions des Nations Unies pour la création de 2 États. La voix du dialogue vaut toujours mieux que celle des armes. Encore faut-il que les engagements, les résolutions prises au plan international par l’ONU, soient respectées et mises en œuvre.

La communauté internationale aurait dû et devrait imposer la mise en œuvre des accords d’Oslo signés par Yitzhak Rabin, Yasser Arafat et le président américain, Bill Clinton en 1993. Accords qui avaient pour objectif la résolution du conflit.

Il faut soutenir ceux qui, en Palestine et en Israël, se battent pour la paix et le retour de la démocratie.

Pour rétablir la paix, il n’est jamais trop tard, cela passe par le respect des droits des peuples comme le stipulait l’accord de 1993.

Voilà pourquoi nous appelons à un cessez-le-feu immédiat. Les peuples israéliens et palestiniens ont besoin de la mobilisation et de l’intervention de la communauté internationale pour construire leur avenir dans le respect et la paix.

Comment analyser la relative faiblesse des mobilisations pour la paix en France, alors que des mouvements plus larges semblent naître ailleurs notamment en Allemagne ?

Connaître l’histoire nous apporte des clés pour réfléchir et agir en citoyen éclairé. La désinformation menace la démocratie et les valeurs républicaines. Il est donc nécessaire de comprendre pour mieux combattre.

Nous ne pouvons pas accepter que les luttes émancipatrices des siècles passés des nations soient effacées. Pour rappel, le Parlement européen a voté, en septembre 2019, une résolution « sur l’importance de la mémoire européenne pour l’avenir de l’Europe » qui constitue l’aboutissement stratégique de révisionnisme historique prônée par l’Union européenne. Le même Parlement en janvier 2024 a voté une résolution sur « la conscience historique européenne ».

Voilà pourquoi notre travail de mémoire, nos actions de commémorations sont importantes. Il est nécessaire de faire connaître les raisons de la Révolution française, de la Commune de 1871, de 1936, du CNR, de 1968, de la Résistance et de l’écrasement du nazisme, des combats de P. Vaillant-Couturier, H. Barbusse et tant d’autres femmes et hommes.

C’est un travail d’éducation à la paix pour permettre à chacun et à chacune de s’approprier les raisons des luttes et la construction des valeurs qu’aujourd’hui encore, nous devons défendre d’arrache-pied.

Oui, défendre d’arrache-pied, car aujourd’hui, pour les mêmes raisons qu’hier, nous sommes à la porte d’une nouvelle guerre mondiale.

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